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Des mines du Roi Salomon au Voreux de l'écrivain Zola

Sylvain Perrot






Lorsqu'on parle de travail, du moins jusqu'au XIXièmesiècle, deux grands secteurs d'activités viennent à l'esprit. C'est le travail de la terre et celui de la pierre. Agriculture et industrie métallurgique apparaissent en effet comme les métiers les plus éprouvants, plusieurs siècles durant. Vous ayant présenté dans un précédent Sénevé un monde agricole1, je vous convie à présent dans un espace clos, confiné, où l'air ne circule que difficilement. J'envisagerai deux époques différentes à bien des égards, mais qui ont un point commun qui nous occupe particulièrement ici : le travail. Nous allons donc faire un petit voyage du côté de la Palestine du roi Salomon et du Nord de la France, moins exotique, au temps de Napoléon III.




Les mines du roi Salomon

Ce lieu, identifié au site de Timna, il faut bien l'avouer, relève plus du mythe que de la réalité historique. Pour reprendre les termes du Père Armogathe, si le pélerinage en Terre Sainte y prévoit une étape, c'est parce que nous passons dans les parages. Il ne justifie pas en soi de s'y arrêter, tout simplement parce que s'il en a le nom, il n'en a peut-être pas la signification.


le site de Timna




Un lieu mythique

Premier constat, un peu gênant : la Bible ne fait pas mention directe de ces mines. Leur existence est suggérée plutôt qu'avérée. Toutefois, il ne fait pas de doute que ces mines ont bel et bien existé, mais non pas comme un lieu mystérieux, qui justifierait la présence d'un Allan Quatermain comme celle d'un Indiana Jones dans un site ressemblant étrangement à Petra2. Bref, un mythe qui mérite sans doute un film à sensations, mais un lieu qui ne vaut peut-être que le détour.

Cela dit, les mines de Salomon ont sans doute existé, comme les mines d'argent du Laurion à Athènes ou les mines d'or de Bétique en Espagne, mets de choix pour l'Empire romain. Car quelle que soit la civilisation considérée, il faut des ressources premières, et en particulier la pierre et les métaux3. Certaines constructions de grande ampleur demande un surcroît de matériaux. Or quand on bâtit pour le Seigneur, on a une bonne raison de mettre les bouchées doubles. Et il faut reconnaître que Salomon ne lésine pas sur les matériaux. Je me référerai ici aux deux textes essentiels qui nous parlent de la geste de Salomon le Magnifique : le premier livre des Rois et le second livre des Chroniques4. Les dimensions exceptionnelles du temple nécessitent ainsi d'ouvrir de nouveaux chantiers aux quatre coins du royaume.


Affiche française du film King Solomon's mines, J. -L. Thompson, 1986

Une ère sans chômage...

Maintenant que nous connaissons la finalité de ces mines, le Temple, tâchons de voir qui y travaillait. Les deux livres que j'ai cités nous donnent un aperçu du cahier des charges. Voici ce que nous en dit le livre des Rois :
«Le roi Salomon leva des hommes de corvée dans tout Israël ; il y eut trente mille hommes de corvée. Il les envoya au Liban, dix mille par mois, à tour de rôle : ils étaient un mois au Liban et deux mois à la maison ; Adoram était chef de la corvée. Salomon eut aussi soixante-dix mille porteurs et quatre-vingt mille carriers dans la montagne, sans compter les officiers des préfets qui dirigeaient ses travaux ; ceux-ci étaient trois mille trois cents et commandaient au peuple employé aux travaux.»5.
Il est évident que ces chiffres ne sauraient être pris pour argent comptant, même s'ils sont repris par l'auteur du livre des Chroniques :
«Salomon fit le compte de tous les étrangers en résidence en terre d'Israël, d'après le rencensement qu'en avait fait David son père, et on en trouva cent cinquante-trois mille six cents. Il en affecta soixante-dix mille aux transports, quatre-vingt mille aux carrières de la montagne, trois mille six cents à la direction du travail de ces gens.»6.
Ce qui m'intéresse ici surtout, c'est la répartition du travail. En effet, les tâches ne sont guère développées, mais il est fait mention très précise des ouvriers devant travailler dans les carrières. La pierre qui en est extraite est considérée comme un matériau noble, puisqu'elle est utilisée pour les assises mêmes du temple :
« Le roi ordonna d'extraire de grands blocs, des pierres de choix, pour établir les fondations du Temple, des pierres de taille. Les ouvriers de Salomon et ceux de Hiram et les Gibites taillèrent et mirent en place le bois et la pierre pour la construction du Temple. »7.
Une telle insistance est révélatrice de la conception biblique du travail : il doit être tout entier au service du Seigneur. Comme l'écrira Horace à propos de son oeuvre poétique, il s'agit d'ériger un momument plus durable que l'airain. Salomon choisit la pierre. Toutefois, si la finalité du travail est sacrée, le travail en revanche est vu avec une certaine distance, voire connoté négativement. C'est peut-être l'idée qui se cache derrière la mention suivante :
«La construction du Temple se fit en pierres de carrière ; on n'entendit ni marteaux, ni pics, ni aucun outil de fer dans le Temple pendant sa construction. »8.
Le travail en lui-même semble impur dans ce lieu sacré : n'oublions pas que l'homme est condamné à travailler lorsqu'il est chassé hors de l'Éden. Ce dernier est donc fondamentalement un espace d'où est banni tout travail.

Le travail entre liberté et esclavage

Qui travaille ? On peut relever une différence entre les deux textes sus-cités : dans le premier, Salomon lève des hommes de corvée dans tout Israël ; mais selon le second auteur, c'est parmi les étrangers résidant dans son royaume qu'il trouve les travailleurs. Si l'on raisonne par le négatif, alors on doit conclure que les Israélites ne travaillent pas à la construction du Temple. Comment comprendre alors cette non-participation à une oeuvre qui doit pourtant les préoccuper en premier lieu ?

Peut-être à titre de comparaison serait-il utile de rappeler la conception du travail dans le monde gréco-romain. Le travail n'y est pas jugé négativement --- qu'on pense à l'idéal du paysan-citoyen ---, mais ceux qui en ont les moyens s'en passent bien volontiers. Car s'il n'est pas décrié, le travail manuel n'en est pas moins peu attirant, surtout lorsqu'on a la chance de naître dans une famille qui peut aisément se procurer des esclaves. Un homme riche par ailleurs doit plutôt se consacrer à une forme de travail bien moins fatigante, mais tout aussi prenante, la politique. Car le problème du travail manuel, c'est qu'il prend du temps et détourne l'esprit de la vie citoyenne. L'homme en vue se doit de jouir de l'otium, temps libre qu'il va consacrer à la vie publique. Il va de soi donc que le travail, dans les mines à plus forte raison, est réservé aux esclaves, comme on le sait notamment des mines du Laurion d'Athènes. Il existait un système de concessions, les personnages riches les acquéraient et devaient les faire fructifier. Il emploie donc des esclaves à cet effet. Aussi la frontière entre travail pénible et servitude s'est-elle vite estompée.

Toutefois, on ne saurait poursuivre le même raisonnement dans le monde juif, qui ne repose pas sur les mêmes valeurs. Nous ne sommes pas dans un contexte dans lequel l'homme libre consacre son temps aux affaires politiques. Que doit-on comprendre dans ces conditions ? Salomon fait-il appel à des étrangers parce que ce sont eux qui doivent travailler dans les carrières ou parce que Salomon a besoin d'autres travailleurs en plus des Israélites ?

Le travail, source de richesses ?

Jusqu'ici j'ai parlé de carrières. Or le substantif mines ne semble pas recouvrir la même réalité, du moins dans nos appellations modernes. D'où vient donc ce terme ? En fait, on ne trouve dans le texte biblique que la mention de carrières de pierre. Par contre, un matériau autre que la pierre est cité abondamment : il s'agit du bronze. Les quantités sont colossales : il ne s'agit plus des assises du Temple, mais de sa décorations et de son mobilier. Salomon fait appel à un très grand bronzier de son temps, un certain Hiram de Tyr :
«Hiram fit les bassins, les pelles, les bois à aspersion. Il acheva tout l'ouvrage dont l'avait chargé le roi Salomon pour le Temple de Yahvé : deux colonnes ; les deux tores des chapiteaux qui étaient au sommet des colonnes ; les deux treillis pour couvrir les deux tores des chapiteaux qui étaient au sommet des colonnes ; les quatre cents grenades pour les deux treillis : les grenades de chaque treillis étaient en deux rangées, pour couvrir les deux tores des chapiteaux qui étaient au sommet des colonnes ; les dix bases et les dix bassins sur les bases , la Mer unique et les douze taureaux sous la Mer ; les bassins, les pelles, les bois à aspersion. Tous ces objets que Hiram fit au roi Salomon pour le Temple de Yahvé étaient en bronze poli. C'est dans la plaine du Jourdain que le roi les coula en pleine terre, entre Sukkot et Cartân ; Salomon déposa tous les objets ; à cause de leur énorme quantité, on ne calcula pas le poids du bronze.»9.
Or, comme vous le savez sans doute, le bronze est un alliage d'étain et de cuivre. La Palestine abonde en ce dernier matériau : l'île de Chypre, qui appartenait à ce territoire en des temps antédiluviens, lui doit son nom 10. Pour couler de telles quantités de bronze, il fallait une énorme quantité de cuivre, et donc des mines de cuivre. C'est probablement de là que provient la légende de ces mines, confondues alors tout naturellement avec des mines d'or, puisque dans notre imaginaire, l'or a plus de valeur qu'aucun autre métal. Et dans la Bible, Salomon est décrit comme un roi jouissant d'une très grande richesse, comme le rappelle l'épisode de la reine de Saba. Mais la plupart des objets qui font le luxe du Temple ne sont pas en or, mais en bronze, en particulier cette grande vasque destinée aux ablutions des fidèles :
«Il fit un autel de bronze, long de vingt coudées, large de vingt et haut de dix. Puis il coula la Mer en métal fondu, de dix coudées de bord à bord, à pourtour circulaire, de cinq coudées de hauteur ; un fil de trente coudées en mesurait le tour. Il y avait, sous le pourtour, des animaux ressemblant à des boeufs, l'encerclant tout autour. Incurvées sur dix coudées du pourtour de la Mer, deux rangées de boeufs avaient été coulées avec la masse. la Mer reposait sur douze boeufs, trois regardaient vers le nord, trois regardaient vers l'ouest, trois regardaient vers le sud, trois regardaient vers l'est : la Mer s'élevait au-dessus d'eux et tous leurs arrière-trains étaient tournés vers m'intérieur. Son épaisseur était d'un palme et son bord avait la même forme que le bord d'une coupe, comme une fleur. Elle contenait trois mille mesures. »11.
Ce travail nécessite naturellement une seconde corporation d'artisans dont le domaine, tel Hiram, est la fonderie. Ce lien entre mine et fonderie, entre mine et forge, Zola l'a bien mis en évidence dans un de ses romans les plus fameux, Germinal.

Le Voreux de l'écrivain Zola

Un second roman ouvrier

Lorsque Zola publie Germinal, il a déjà derrière lui douze romans des Rougon-Macquart, chacun d'entre eux étant concentré sur un aspect de la société de son temps. Le travail naturellement occupe une place majeure, puisque Zola s'impose de décortiquer toutes les professions --- ou presque --- de l'Empire. Que l'on pense aux paysans (La Terre), aux primeurs (Le Ventre de Paris), au petit et grand commerce (Au Bonheur des Dames), aux cheminots (La Bête Humaine)... Zola réserve donc une place toute naturelle au monde ouvrier, ce qu'il fait dans l'Assommoir : c'est l'histoire d'une blanchisseuse, Gervaise Macquart, qui épouse un ouvrier du bâtiment, un zingueur plus exactement, un dénommé Coupeau. Ce dernier est dépeint comme un grand travailleur, qui boit peu. Un jour, funeste entre tous, il fait une chute d'un toit et se blesse très gravement, au point d'en garder des séquelles physiques à vie. Il perd son goût au travail et s'adonne à la boisson12. En effet, il ne trouve pas de salut dans la religion, comme le montre un fameux épisode du roman, le baptême de la petite Anna, vécu plus comme l'occasion d'une journée plaisante avec visite d'un musée que comme un jour saint.

Pourquoi alors écrire un nouveau roman sur le monde ouvrier ? Tout s'explique essentiellement par le contexte du roman : la victoire des républicains aux élections de 1879 fait naître un espoir socialiste et les grèves se multiplient en France, en particulier dans le monde de la mine, où les conditions de vie sont particulièrement pénibles. Comme il l'écrit dans son Ébauche, «le roman est le soulèvement des salariés, le coup d'épaule donné à la société qui craque un instant : en un mot la lutte du capital et du travail. C'est là qu'est l'importance du livre, je le veux présidant l'avenir, posant la question qui sera la question la plus importante du xxièmesiècle.» Il ne croyait pas si bien dire...

Portrait d'une famille de travailleurs

Zola a construit son univers romanesque autour d'une seule et même famille, les Rougon-Macquart, et c'est la circulation de ses membres dans la France du Second Empire qui permet à l'écrivain de se confronter à diverses réalités. C'est ainsi qu'Étienne Lantier, fils illégitime de Gervaise Macquart, en quête de travail, se retrouve dans le Nord de la France. Il arrive dans une région minière, où l'exploitation du charbon commence à rapporter... du moins pour les propriétaires. Ce roman est, entre autres, une quête du travail. C'est autour du personnage d'Étienne que se construit tout le roman : l'incipit le montre arrivant et l'épilogue quittant la région. C'est en apparence l'histoire d'un échec puisque le séjour d'Étienne verra la ruine totale de la mine et le funeste destin de toute une famille de mineurs, les Maheu.

C'est l'exemple même d'une famille qui voit toute sa vie s'articuler autour du travail. Leurs journées sont rythmées par leur labeur : les hommes vont travailler à la mine, les femmes entaillent en surface les parois pour faciliter le travail des hommes, et les enfants --- tous sexes confondus --- accomplissent les menues tâches liées à la mine, comme le transport de sacs de charbons... La paye est tellement misérable qu'il faut que toute la famille travaille, soit le père (Maheu), la mère (la Maheude) et les enfants (l'aîné Zacharie, Catherine, Alzire, Jeanlin, Lénore et Henri). Leur demeure, les fameux corons, est en lien symbiotique avec le travail. Et c'est ce même labeur qui anéantira toute la famille : le grisou aura raison de Zacharie, la participation de Maheu à la grève fera de lui la victime des gendarmes, l'inondation de la mine provoquera la perte de Catherine...

Le travail, un enfer ?

Si un mythe s'est construit progressivement autour des mines du roi Salomon, c'est avec tout l'héritage mythique que peut connaître un intellectuel du xixièmesiècle que Zola interprète les mines de son temps, les puits de houille qui peuplent le Nord de la France. Mais au lieu d'y voir un lieu de richesses tant convoitées, Zola les comprend comme autant de monstres gigantesques avalant les hommes sans les rendre à leurs familles. Lorsqu'on lit les descriptions saisissantes du Voreux, le plus grand puits de l'exploitation houillère, on est toujours ramené au même mythe : celui du Minotaure, mais à des degrés divers. Le nom, comme toujours chez Zola, a une importance majeure : le Voreux doit son nom à sa voracité. Le Voreux, c'est donc à la fois la bouche béante du monstre qu'a vaincu Thésée et le labyrinthe, où les hommes, Athéniens comme Français, trouvent la mort. Déjà les carrières de Salomon, du moins le site de Timna, inquiétaient par leurs dédales de galeries.

Du mythe du labyrinthe, il n'y a qu'un pas à franchir pour se retrouver dans les Enfers13. Les monstres de la mythologie grecque sont relégués dans les entrailles de la terre. Il en est de même pour le Minotaure zolien14. La mine pour Zola est un univers où règne le feu, ce qui au premier abord peut paraître étrange. Cette idée est probablement due aux accidents nombreux qui s'y produisent. C'est le tristement fameux «coup de grisou, c'est-à-dire un brusque dégagement de gaz qui s'enflamme à la lumière des lampes utilisées par les mineurs15. On peut dès lors se représenter aisément ce que pouvaient être les différents conduits enflammés : une véritable fournaise, un enfer16... C'est ainsi que Catherine sent, lorsqu'elle travaille dans la mine, un souffle chaud, brûlant, dont on raconte qu'il brûle les femmes qui ont fauté, et Catherine en fait partie, car elle s'est donnée à Chaval et se donnera à Étienne : elle restera à tout jamais dans cet Enfer, à ceci près qu'elle meurt non par le feu mais par l'eau. Les mineurs sont les «damnées de la terre» : «Prenez garde, regardez sous terre, voyez ces misérables qui travaillent et qui souffrent. Il est peut-être temps encore d'éviter les catastrophes finales. Mais hâtez-vous d'être justes, autrement, voilà le péril : la terre s'ouvrira et les nations s'engloutiront dans un des plus effroyables bouleversements de l'Histoire.»

Le travail, entre fécondité et stérilité

Le Voreux tue, c'est la terrible vérité du roman. La mine toutefois semble aussi produire, «engendrer». En effet, l'enjeu du travail dans ce roman est de faire accoucher la terre d'une certaine forme de richesse, rôle déjà dévolu aux mines de l'Ancien Testament. Zola est tourmenté dans tous ses romans par la question de la fécondité : je parlais plus haut du travail de la terre, et Zola a consacré un de ses romans au monde paysan17. Nous sommes donc là conviés à nous interroger sur les deux sens du terme travail dans la langue française, et dont la dualité de sens est attestée pour la première fois dans la Bible : l'homme et la femme sont tous deux condamnés au travail, le premier à l'exploitation du sol et la seconde à l'accouchement. De ce point de vue, la tétralogie inachevée de Zola est révélatrice : elle porte le titre général d'Évangiles, ceux des temps modernes. Et figurent parmi les quatre titres Travail et Fécondité. Enfin, est-il besoin de rappeler que le projet de Zola est d'écrire une «histoire naturelle et sociale d'une famille au Second Empire» ? Zola envisage dans ce sous-titre des Rougon-Macquart les deux sens du mot travail, lui dont la devise était Nulla dies sine linea18.

La mine est donc prise dans ce piège de sens. Et c'est ce qu'illustre une des dernières scènes du roman, sans doute une des plus terribles à lire. Étienne, Catherine et Chaval, le violent amant de Catherine, se retrouvent prisonniers de la mine qui est en train inexorablement de se remplir d'eau : un militant anarchiste, Souvarine, a fait exploser une bombe. Les deux hommes se vouent une haine mortelle, car ils sont rivaux pour gagner le coeur de Catherine. Se retrouvant dans une sorte de salle, ils se mettent à se battre dans un combat à mort. Étienne l'emporte, son rival se fracassant le crâne (au sens propre) contre une roche en saillie. L'eau continue de monter. Sentant leur dernière heure proche, Étienne et Catherine se rapprochent dans une étreinte ultime, leur «nuit de noces». Mais l'eau monte et Étienne ne parvient pas à la sauver19. C'est avec l'énergie du désespoir qu'il réussira à sortir de ce piège. Cette scène porte donc une promesse de fécondité qui avorte très rapidement. La mine féconde en quelque sorte la jeune fille mais en même temps la garde en son ventre, refusant de la rendre à la surface.

Du travail finalement naît un espoir de vie. C'est le sens du titre Germinal. Il y a évidemment derrière tout l'héritage de 1790, puisque Germinal est le mois de la germination dans le calendrier révolutionnaire. Révolution certes, mais fécondité aussi : temps de l'éclosion de la vie. Et c'est précisément ce qui se passe dans la nature au moment du départ d'Étienne : c'est le printemps. Déjà en 1848, le «Printemps des Peuples»...

Conclusion

«Si tu veux te faire mineur, c'est facile, et alors tu pourras te satisfaire. Au reste, le métier n'est pas plus mauvais qu'un autre, et, si tu as peur de la pluie et du tonnerre, c'est celui qui te convient.» C'est en ces termes qu'Alexis, jeune mineur, s'adresse à Rémi, le héros de Sans famille. Mais quelque temps plus tard, Rémi comprendra que son cousin a bien enjolivé les choses et que les conditions de vie des mineurs ne sont pas aussi idéales : « je fus à même d'apprendre dans toutes leurs horreurs, de sentir dans toutes leurs épouvantes, les dangers auxquels sont quelquefois exposés les mineurs.». Quelle que soit l'époque, le travail dans les mines est fondamental pour la constitution d'une civilisation : le Temple est au coeur de la vie hébraïque comme les houillères sont au fondement de la révolution industrielle. Le travail est donc production, il appartient à la culture humaine. Mais il peut provoquer la perte de nombre d'innocents. C'est une idée qui tourmente Zola, qui se sent attiré par le positivisme avec un certain recul : est-ce que le progrès est bon pour l'humanité ? C'est à la toute fin de La Bête Humaine qu'on le voit le mieux : le train fou, sans conducteur, est identifié au progrès, qui quoi qu'il arrive continue sa marche, mais pour la perte de tous ceux qui se trouvent sur son passage. Ne nous méprenons pas : Zola n'est pas un partisan inconditionnel du progrès, il constate simplement que c'est un processus inexorable, qui, il faut le souhaiter, apportera le bonheur.
S. P.

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