Compte-rendu d'une catéchèse du groupe EVEN

Pierre Petit


  Le groupe EVEN, ou « École du Verbe éternel et nouveau », est constitué de jeunes adultes (et ouvert à toute nouvelle participation — message subliminal...), et animé par le père Leproux. Nous nous réunissons tous les lundis soirs, à 20h30, au 1 rue Saint-Étienne-du-Mont, pour deux ans de catéchèses en vue des JMJ de 2008 à Sydney.   

Prise de conscience du péché



«Ce que ces gens-là font en cachette, on a honte d'en parler. Mais quand ces choses-là sont démasquées, leur réalité apparaît grâce à la lumière, et tout ce qui apparaît ainsi devient lumière.»1

Voilà comment Paul parle des profondeurs de mon âme. Je suis irrémédiablement pécheur et je suis constamment appelé à mourir au péché, tâche ô combien difficile. Mais quelle joie aussi d'être transfiguré ! À chaque fois que mon âme se laisse illuminer de l'amour du Christ, s'opère en elle une pâque, un passage, des ténèbres de sa misère à la lumière de la Vérité.

Qu'est-ce qu'un enfant de lumière ? C'est un homme libre, non dans le sens où il ne pécherait plus — ce serait bien illusoire —, mais dans le sens où il reconnaît ses péchés et peut en parler. Et cette libération se poursuit dans une action de grâce de plus en plus forte. Je dois être capable de dire avec sainte Thérèse de l'Enfant Jésus : «Tout est grâce.»

Mais qu'est-ce au juste que le péché ? C'est une rupture d'alliance avec mon Créateur et Rédempteur : quand je fais le mal, je m'éloigne de Celui qui est mon tout, ma vie. «Mon âme a soif de toi ; après toi languit ma chair, terre aride, altérée, sans eau.»2 Voilà le cri du pécheur. J'ai même envie de dire : il est pécheur car il se reconnaît pécheur. Plus je suis superficiel dans mes relations, avec Dieu et donc avec les autres, et moins je suis pécheur à mes yeux. Mais plus j'avance sur le chemin de la foi, plus j'aime Dieu, plus je prends conscience de ce qu'est être comme Dieu et plus j'abhorre tous les actes horribles qui m'éloignent de Lui. «Mon âme a soif de toi». Qui me donne cette soif, ce désir ardent, sinon Toi ? Je ne peux prendre conscience de mon péché que s'il m'est révélé. Et Tu me le révèles souvent dans le regard des autres. Tu me fais cette grâce, libre à moi ensuite de fermer les yeux ou de me reconnaître pécheur. «Mon âme a soif de toi». Ces mots me viennent-ils assez souvent à la bouche ? Peut-être pas. Se confesser, c'est se reconnaître loin de Dieu et, pour cela, il faut se libérer de notre côté moralisateur. Dans mon examen de conscience, je ne peux pas me contenter de passer en revue les dix commandements : bien entendu que je n'ai tué personne. Que pouvaient bien raconter sainte Thérèse et Jean-Paul II pendant les heures qu'ils passaient au confessionnal ? Je n'ai tué personne. Est-ce si sûr ? La grille morale de la loi de Moïse est transcendée par le nouveau commandement : «Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme et de tout ton esprit.» C'est à la lumière de cet amour que je dois cheminer. Et me rendre compte que, chaque jour, chaque fois que je dis «non» en mon coeur, que je méprise un frère, c'est une âme que je blesse, que je tue même, et le Christ que je crucifie à nouveau.

Pour commencer, l'acédie



Il est sept heures, ce fichu réveil sonne. Non, encore un quart d'heure de sommeil. Il fait si bon dormir...

Eh bien, chaque matin, je peux commencer par dire : «Seigneur Jésus, aie pitié de moi.» Plutôt que d'exploser le réveil (sic) ! Dès l'aube, ma nature pécheresse se manifeste comme le nez au milieu de la figure. Et combien de fois, dans la journée qui suit, n'ai-je pas le courage ou l'envie de répondre au courrier en retard, de faire mon repassage, de me mettre à mon article pour le Sénevé... La paralysie de l'agir est omniprésente. Et l'acédie n'est pas seulement cette paresse passive : c'est aussi le défaut de l'«hyperactif» qui se disperse. «L'acédie est la tentation de se soustraire à l'étroitesse du présent pour se réfugier dans l'imaginaire.»3. Elle s'accompagne parfois de mélancolie et il faut être conscient que tous les actes horribles de la société, dont je suis membre, toutes les décisions qui éloignent de Dieu contribuent à cette mélancolie.

La bonne réaction contre le vague à l'âme ou le découragement, c'est de dire : «C'est Ton problème.» Oui, je me remets dans Tes bras, car sans Toi je ne peux rien, sans Toi je ne suis rien. Bien entendu, dire : «le mémoire que je dois rendre la semaine prochaine, c'est Ton problème ; vas-y, je te regarde», je doute que cela fonctionne. Non, sans Toi je ne suis rien et donc je te prie de me donner le courage d'agir : encore faut-il que je sois disposé à ce don. Et c'est pourquoi il me faut persévérer à tout prix. «C'est Ton problème» aussi dans le sens où c'est pour Toi que j'agis, pour louer mon Créateur qui m'a fait créature douée de talents. Si je n'agissais plus pour moi, ou pour avoir l'impression d'être utile, mais pour Dieu seul, tout deviendrait si simple. Je ne peux pas ne pas faire ce que Tu veux que je fasse. Cela demande donc du discernement et de la volonté. L'acédie n'est rien d'autre qu'une blessure de la volonté.

L'orgueil : de Charybde en Scylla



Parfois, je remédie au découragement par l'orgueil, par l'ambition : je n'ai vraiment pas envie de nettoyer la cuisine, mais, allez, ça épatera les copains. Sur le plan professionnel, combien de fois serai-je amener à dépasser ma paresse avec la motivation de réussir ? Où est l'amour dans cette attitude ? Et, dépassée la cinquantaine, l'ambition ne sera plus au rendez-vous : ou bien j'aurai tout loupé dans ma vie, ou bien je me retrouverai tout seul sur ma montagne. Comment alors éviter les deux travers de la paresse et de l'orgueil ? Toujours en agissant par amour. Si j'apprends des histoires pour enfants ou des anecdotes, ce n'est pas pour épater la galerie, c'est par amour pour les petits-enfants que j'aurai un jour.

L'orgueil n'est pas l'apanage du présomptueux. Disons même que la manifestation privilégiée de l'orgueil, c'est la timidité. Le timide, c'est celui qui a peur de ce qu'on va penser de lui. Les deux attitudes sont souvent liée à un complexe, de supériorité ou d'infériorité. Le présomptueux se croit le meilleur, ou, au contraire, tente de cacher ses défauts derrière une façade. Le timide ne se sent pas compétent pour agir, ou a la prétention d'arriver à la perfection avant d'agir. Et l'on se rend compte que l'on ne tombe pas, en général, dans l'un des deux excès, mais qu'on oscille constamment de l'un à l'autre. Le timide, qui n'ose pas, ne se dit-il pas momentanément qu'il est le meilleur quand il vient tout de même de réussir ?

L'orgueil du présomptueux et du timide sont tous deux le comble de la bêtise. Ils témoignent d'un manque total de réalisme. Or l'intelligence, c'est le réalisme. De même que l'acédie est une blessure de la volonté, l'orgueil est une blessure de l'intelligence. Qu'est-ce qu'être réaliste ? C'est avant tout reconnaître que le réel m'échappe. Je suis profondément idéaliste, autrement dit j'ai des idées : en témoigne le fait incontestable que je juge les autres régulièrement. Je suis donc bien loin du réel. Quand on me lance une pique, qu'on en vient à critiquer ce que je fais, et que naît en moi le sentiment de révolte, voilà ma susceptibilité qui s'exprime. Pour autant, mon coeur ne doit pas rester imperméable aux propos d'autrui : je dois être capable d'accueillir la parole de l'autre et de discerner si elle est juste ou fausse. L'insensibilité de l'ego n'est en rien absence d'écoute. C'est grâce à cette rencontre d'autrui que je me rapproche du réel, que je sors de mon monde imaginaire et idéal.

«Le principe de l'orgueil humain, c'est d'abandonner le Seigneur et de tenir son coeur éloigné du Créateur.»4 C'est en ce sens que les grands saints font de l'orgueil le père de tous les vices. Il y a orgueil dès que je m'attache à ma personne ou au monde terrestre et que je les fais passer avant Dieu. Comment donc puis-je rester attaché à cette nature humaine qui me dégoûte tant elle est empreinte du péché ? «Pourquoi tant d'orgueil pour qui est terre et cendre, un être qui, vivant, a déjà les tripes dégoûtantes ?»5

De même, sainte Thérèse de Jésus écrit : «Or c'est une très haute vérité que, de nous-mêmes, nous n'avons rien de bon, mais plutôt misère et néant. Quiconque ne le comprend pas marche dans le mensonge»6. Le réel, c'est la Vérité : «Dieu est la suprême vérité, et [...] l'humilité consiste à marcher selon la vérité»7. Je ne dois plus juger les autres en termes de bien ou de mal, je ne dois être ni méprisant, ni flatteur : je dois avoir une pensée juste. Et cela est valable pour moi aussi. Quand je rencontre des gens, j'ai la fâcheuse tendance (là je parle en mon nom) à me présenter non comme normalien, mais comme étudiant. Et où ça ? À la fac d'Orsay. Il paraît légitime de ne pas vouloir se mettre sur son piédestal. Voilà encore de la vanité, comme on le lit dans l'Ecclésiastique : «Mon fils, glorifie-toi modestement et apprécie-toi à ta juste valeur»8. Je suis normalien, c'est un fait indéniable, et ce n'est pas pour autant qu'il faut en tirer une gloriole. Ce n'est pas le fait de le dire qui est mauvais, c'est celui d'en tirer de l'orgueil. Mais puis-je l'éviter ?

Conclusion



De moi-même, certainement pas : je suis pécheur et, sans la grâce de Dieu, je n'y peux rien. De toute façon, ne pas être vaniteux, ce n'est pas mon problème. Plus généralement, mon problème n'est pas de ne pas pécher, c'est de me reconnaître pécheur et de prier le Seigneur de m'accorder sa grâce sanctifiante. Car mes péchés m'accablent, mais heureusement le Christ me porte. Sans Lui, je ne pourrais supporter cet état d'alliance rompue. Et c'est par la seule grâce de Dieu que je pourrai ne plus penser à moi. Je ne me rendrai même pas compte que Dieu place un trésor dans son vase d'argile, sinon ma libération ne sera pas effective.

«Tout est grâce.» L'orgueil, c'est la prise de possession de ce que je suis, c'est faire d'un don un dû. Non, «tout est grâce». Comme sainte Thérèse de Jésus, il faut parvenir à se reconnaître «misère et néant» et, simultanément, proclamer : «Je te rends grâce, Seigneur, pour la merveille que je suis»9. Voilà ce qu'il convient d'appeler la «maîtrise» de sa vie : j'accepte, en disciple du Christ, la place que le Créateur m'a donnée.

P. P.


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