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Les Églises catholiques orientales

Signes d'universalité et espoirs d'unité

Sébastien Ray



On les a vus, aux funérailles de Jean-Paul II, se regrouper devant le cercueil après l'absoute des évêques latins, et se recueillir au son de chants étranges, en grec et en arabe. Ils étaient vêtus curieusement d'ornements exotiques, de chasubles dorées, de mitres éblouissantes ou de sortes de couronnes à forme majestueuse ; certains portaient à la main des objets difficilement identifiables. Ce n'étaient pas des orthodoxes venus rendre un hommage oecuménique au Pape défunt, mais bien des évêques catholiques qui priaient pour le successeur de Pierre, garant de l'unité de l'Église catholique à travers les Églises particulières dont ils sont les représentants. Patriarches, archevêques majeurs, métropolites, tous ont reçu de Jean-Paul II, au moment de leur élection, l'assurance de la pleine communion avec le Saint-Siège, et lorsqu'ils célèbrent la messe, dans des rites qu'un catholique occidental a généralement le plus grand mal à suivre, ils n'omettent pas de mentionner l'évêque de Rome dans la prière eucharistique. Les catholiques orientaux, largement méconnus de l'Église latine, ont eu, ce 8 avril, l'honneur d'avoir le dernier mot de la célébration, comme si Jean-Paul II avait une dernière fois voulu souligner l'importance de l'équilibre entre l'Orient et l'Occident au sein même de la catholicité. Passionné depuis longtemps par ces frères étrangers mais non séparés, je dresse ici leur portrait en espérant que cela contribuera à un regain d'intérêt pour leurs incroyables richesses culturelles, liturgiques et spirituelles.

Histoire et organisation

Dans l'esprit de nombreux catholiques, le schisme d'Orient a séparé le catholicisme occidental de l'orthodoxie orientale. Le premier parle latin, l'autre grec ou slavon. C'est confondre là deux notions distinctes : la communion (ou non) avec le Siège romain et le rite liturgique (latin ou non). Il s'est trouvé que le schisme, d'origine plus politico-culturelle que religieuse, a séparé l'Église latine de la quasi-totalité des Églises d'Orient, grecques ou autres ; mais les siècles suivant ont vu réapparaître des Églises orientales unies à Rome, tout en conservant leur caractère oriental, en particulier leur rite bien distinct du rite romain, et leur discipline propre --- un exemple célèbre étant le célibat des prêtres, discipline latine non imposée en Orient ; de même, on parle d'éparchie et non de diocèse. Alors que l'énorme majorité de l'Église catholique est latine, et que l'énorme majorité des orientaux est séparée de Rome, ces Églises font figure de double exception, voire d'aberration historique. Elles sont pourtant le signe concret de la possibilité de l'unité autour du Pape dans la diversité des rites et l'autonomie hiérarchique interne.

Après le schisme, consommé par le sac de Constantinople par les Latins en 1204, plusieurs tentatives furent faites pour réunir les deux parties de la chrétienté déchirée, en particulier aux conciles de Lyon II (1274) et de Ferrara-Florence (1439). Aucun n'obtint de succès durable. Du fait du développement d'une ecclésiologie mettant l'accent sur la juridiction du Pape, la chrétienté orientale fut alors l'objet, à partir du xviième siècle, d'une véritable activité missionnaire, en particulier de la part des jésuites, parfois avec l'appui politique des États catholiques, dans le but de les ramener à la communion avec Rome, avec pour conséquence que, dans la majorité des Églises séparées, une partie des fidèles constitua une Église parallèle unie à Rome, alors qu'une Église séparée continuait d'exister. Cette politique « uniate », aux conséquences assez regrettables sur les relations avec les orthodoxes, n'est toutefois pas à l'origine de toutes les Églises qui subsistent actuellement, et certaines d'entre elles sont issues d'un mouvement spontané de réunion, souvent de la part de l'épiscopat.

Étant donné le romanocentrisme très fort de cette époque, les nouvelles Églises subirent largement l'influence de la latinité dans leurs rites et leur organisation --- un signe particulièrement regrettable en étant l'abandon, dans la plupart des Églises, d'une riche tradition monastique orientale. Ce complexe oriental vis-à-vis d'une latinité considérée comme plus catholique ne cessa qu'à Vatican II, où le document Orientalium Ecclesiarum mit l'accent sur l'égalité des Églises et l'importance des racines orientales.

Les rapports des Églises d'Orient avec Rome passent par la Congrégation pour les Églises orientales, créée en 1862 ; leur vie est réglée par un Code de droit canon particulier, promulgué en 1990. Les Patriarches ne sont pas choisis par Rome, mais élus par les synodes des évêques. De même, les évêques orientaux sont élus de façon interne à chaque Église, leur ordination étant ensuite soumise à l'approbation de Rome. Ce mode de fonctionnement assure un équilibre entre le besoin d'autonomie de chaque Église et le maintien de la pleine communion avec le siège pétrinien.

Les Églises syro-chaldéennes : Iraquiens et Malabars

L'Église chaldéenne

L'Église chaldéenne, ou assyrienne, est issue du schisme nestorien refusant le Concile d'Éphèse (431) ; implantée principalement en Perse, elle reçut des missionnaires dominicains et franciscains dès le xiiiième siècle, avec quelques ralliements individuels à Rome, mais sans formation de communauté stable.

Ce n'est qu'au xviième siècle que le catholicisme prit une place importante : des évêques indignés par la transmission héréditaire du patriarcat d'oncle à neveu (maintenue jusqu'en 1976) refusèrent l'autorité du Patriarche en 1552 et élurent, bien malgré lui, l'abbé Yuhannan Sulaka comme Patriarche, envoyé à Rome pour demander la communion au Saint-Siège. Le Pape Jules III l'ordonna évêque et le proclama Patriarche des chaldéens sous le nom de Simon VIII.

Le retour de Simon VIII en Orient provoqua de vives querelles ; lui-mêmes fut exécuté en 1555 et sa communauté fut en grande partie réintégrée à l'Église assyrienne ; il s'ensuivit une période troublée où catholiques et nestoriens se combattirent avec acharnement en changeant de temps à autres de parti. Ce n'est qu'en 1830 que la situation se stabilisa, avec la confirmation par Pie VIII de Jean Hormizdas comme Patriarche de Babylone des chaldéens avec son siège à Mossoul. Les catholiques devinrent largement majoritaires parmi les assyriens, mais souffrirent lourdement des massacres de 1918, perdant 70 000 fidèles ; il en résulta un mouvement des chaldéens vers le sud, et le siège patriarcal fut finalement transféré à Baghdad en 1950.

En 1994, Jean-Paul II signa un accord christologique avec le Patriarche assyrien Khanania Mar Dinkha IV, mettant fin à la controverse nestorienne, ce qui améliora spectaculairement les relations entre les chaldéens catholiques et la petite Église assyrienne, liens resserrées encore par les événements actuels et le danger islamiste qui pèse sur l'ensemble de la chrétienté iraquienne.

La liturgie est célébrée en syriaque oriental selon le rite chaldéen. Le Patriarche de Babylone, S.B. Emmanuel III Karim Delly, dirige actuellement les 250 000 chaldéens catholiques d'Iraq, principalement à Baghdad ; s'y ajoutent des éparchies en Iran et dans d'autres pays du Proche-Orient, ainsi que deux éparchies aux États-Unis, totalisant 380 000 chaldéens, avec 23 évêques et 139 prêtres.

L'Église syro-malabare

Une curiosité peu connue du christianisme oriental est son extension jusqu'au Kerala, au sud de l'Inde, évangélisé, dit-on, par l'apôtre Thomas. Les Portugais furent bien surpris de découvrir, en 1498, dans ce qu'ils pensaient être une terre complètement païenne, l'Église malabare nestorienne, dont beaucoup d'évêques avaient continué malgré leur isolation séculaire à reconnaître la primauté de Rome et accueillirent les Portugais comme frères dans la foi. Malheureusement, ces derniers, n'acceptant pas les traditions malabares, imposèrent une latinisation forcée qui provoqua une crise allant jusqu'au schisme en 1653. La médiation des carmélites envoyés par Alexandre VII permit de résorber le schisme, mais l'influence latine resta très prégnante : il fallut attendre 1896 pour que soient nommés des évêques non latins ; une hiérarchie complètement syro-malabare fut établie par Pie XI en 1923. Il en résulta un fort mouvement de renouveau de l'Église, dont les effectifs furent multipliés par 20 en un siècle. Les vocations sont très nombreuses, et la vie de l'Église a un fort dynamisme.







Varkey, cardinal Vithayathil, archevêque majeur (syro-malabar) d'Ernakulam




L'influence du rite latin a été tel que la liturgie syro-malabare se distingue à peine de la liturgie romaine. Dès 1934, Pie XI chercha à initier un mouvement de réforme liturgique pour retrouver les racines syriennes de l'Église ; une nouvelle liturgie eucharistique, en malayalam, fut approuvée par Pie XII en 1957, mais la réforme fut mal acceptée, et la majorité des diocèses utilise toujours un rite très proche du latin. Les controverses liturgiques sont encore graves aujourd'hui ; Jean-Paul II a donné aux évêques en 1998 l'autorité complète en matière liturgique pour tenter de résoudre le problème. La superposition de structures ecclésiales syro-malabares et latines dans certains territoires de l'Inde pose également des problèmes de cohabitation --- certaines éparchies syro-malabares dépendent de provinces latines, en particulier celle de Bhopal.

Depuis 1992, l'Église est dirigée par l'archevêque majeur d'Ernakulam-Angamaly, actuellement S.Ém. Varkey, cardinal Vithayathil. Elle comprend 33 évêques et 4 900 prêtres, ainsi que 32 000 religieuses et religieux non prêtres. L'Église regroupe 3 750 000 fidèles, dont 100 000 dans l'éparchie de Chicago, aux États-Unis.

Antioche : du Liban au Kerala

L'Église maronite

Dans la liste des Églises non latines, l'Église maronite est une exception en ce que d'après sa tradition, sa communion avec Rome n'a jamais été rompue. Elle a son origine dans une communauté monastique syriaque formée autour de saint Maroun au vième siècle, réfugiée au mont Liban du fait de son acceptation du concile de Chalcédoine et de son opposition aux monophysites alors majoritaires en Syrie. Isolés du reste de la chrétienté chalcédonienne, les maronites développèrent une identité particulière et une structure épiscopale ; leur évêque prit le titre de Patriarche d'Antioche et de tout l'Orient au viiiième siècle, lors d'une vacance du siège patriarcal.

Le contact avec Rome fut renoué au moment des Croisades : les maronites confirmèrent leur union au Saint-Siège en 1182, et le Patriarche Jérémie II al-Amshitti participa au concile Latran IV en 1215. Les Patriarches actuels prennent tous le nom de Pierre pour rappeler leur fidélité à Rome. Les relations avec l'Église latine restèrent par la suite très développées, au point que le rite antiochien des maronites fut largement latinisé. La langue utilisée dans la liturgie est l'arabe, avec quelques passages importants en syriaque (le Qadishat aloho, équivalent de notre Sanctus Deus, et surtout les paroles de la Consécration).

Le Liban est la patrie des maronites ; le Patriarche (actuellement S.B. Nasrallah Pierre, cardinal Sfeir) y réside, à Bkerké, avec 17 autres évêques et un million et demi de fidèles. Il existe également des communautés de quelques milliers de maronites dans d'autres pays du Proche-Orient, ce qui en fait la communauté catholique la plus nombreuse de cette région. La guerre civile a néanmoins fait fuir un grand nombre de maronites en Occident et outre-mer (principalement en Argentine, au Brésil et en Australie), où une hiérarchie épiscopale s'est constituée, regroupant un autre million et demi de maronites, portant le total à plus de trois millions, avec 39 évêques et 1 200 prêtres.

L'Église syrienne

L'histoire du rapprochement des Syriens monophysites avec Rome remonte également aux Croisades, mais rien ne se concrétisa avant les missions jésuites d'Alep (1626), qui eurent un grand succès ; un puissant parti catholique se forma dans l'Église d'Antioche, et un Patriarche catholique, André Akhidjan, fut même élu en 1662 ; l'opposition fut telle que cette première lignée patriarcale disparut en 1702. La communauté catholique, opprimée par l'occupation ottomane, devint alors presque clandestine, jusqu'à l'élection en 1782 du Patriarche Michel Jarweh, qui se déclara immédiatement catholique et fut reconnu par Rome. Il fut rapidement forcé de s'exiler au Liban alors que les opposants à l'union élisaient un nouveau Patriarche jacobite d'Antioche. L'Église formée autour des Patriarches catholiques fut reconnue officiellement par les Turcs en 1829.

Après des pérégrinations qui les menèrent d'Alep à Mardin, les Patriarches s'installèrent finalement à Beyrouth après la Première Guerre mondiale, où l'Église souffrit durement du massacre des chrétiens de Turquie. Une communauté de 15 000 syriens catholiques entoure le Patriarche Ignace Pierre VIII au Liban, mais la majorité des fidèles réside en Iraq, en Syrie et aux États-Unis, totalisant 123 000 personnes, avec 16 évêques et 106 prêtres --- effectifs comparables à ceux de l'Église orthodoxe syrienne et de l'Église jacobite (non chalcédonienne). Le précédent Patriarche, Ignace Moussa I er , cardinal Daoud, a été nommé en 2001 préfet de la Congrégation pour les Églises orientales : il est le premier non-latin à ce poste.

L'Église syro-malankare

Cette seconde partie de l'Église catholique indienne provient d'une révolte contre la latinisation portugaise de l'Église syro-malabare, en 1653. Les évêques, dits syro-malankars, se soumirent alors à la juridiction du Patriarche jacobite (monophysite) d'Antioche. Après quatre tentatives manquées de rapprochement avec Rome au xviiiième siècle, c'est une querelle avec Antioche qui fut à l'origine de la formation d'une Église catholique malankare. En effet, en 1926, un évêque, Mar Ivanios, fut envoyé à Rome par quatre de ses confrères opposés à la juridiction antiochienne pour négocier une réconciliation.

Un arrangement fut conclu, que deux seulement des cinq évêques acceptèrent. Une petite communauté catholique fut ainsi formée en 1930, rapidement augmentée par l'adhésion de deux autres évêques, étrangers aux premières négociations. L'Église syro-malankare comprend actuellement cinq éparchies, organisées d'abord en province métropolitaine, puis depuis 2005 en archéparchie majeure de Trivandrum. Elle tient un rôle important dans l'éducation au Kerala, et est très engagée dans le dialogue oecuménique avec les Syro-malankars séparés. Un trait proprement indien de cette Église s'est manifesté en 1958, lors de la fondation par Don Bede Griffiths et Francis Mahieu de Kurisumala Ashram, communauté monastique de type cistercien pratiquant une ascèse inspirée de l'hindouisme.

L'archevêque majeur de Trivandrum est aujourd'hui Cyril Baselios Mar Marancharuvil ; il y a 400 000 catholiques syro-malankars (soit un cinquième des syro-malankars), 7 évêques et 900 prêtres.





Cyril Mar Baselios, archevêque majeur (syro-malankar) de Trivandrum

Alexandrie : Coptes et Guèzes

L'Église copte

Les premiers efforts de rapprochement entre Rome et la chrétienté copte (égyptienne), issue, selon la tradition, de la prédication de saint Marc, mais refusant le Concile de Chalcédoine, datent du Concile de Florence, sans résultat concret. Les missions capucines du xviiième siècle eurent plus de succès, constituant une petite communauté de quelques centaines de personnes. Un vicariat apostolique fut instauré par Benoît XIV ; le patriarcat catholique d'Alexandrie des Coptes, créé sur le papier plus ou moins par erreur en 1824, fut effectivement érigé en 1895, avec Cyril II Makarios pour Patriarche. Suite à des controverses au sein de son Église, il démissionna en 1908 et ne fut remplacé qu'en 1947.

La liturgie est en langue copte, dérivée de l'égyptien ancien, et en arabe. Le Patriarche actuel, S.B. Stephanos II Andraos, cardinal Ghattas, c.m. (qu'on a entendu chanter en arabe aux funérailles de Jean-Paul II), est entouré de 9 évêques, dans des éparchies situées principalement en haute Égypte ; on compte 300 prêtres en Égypte. En plus des 240 000 coptes catholiques d'Égypte --- perdus parmi sept millions de coptes non chalcédoniens ---, on compte une dizaine de milliers de fidèles dans la diaspora. L'existence des Coptes catholiques, minorité d'une minorité perdue dans une population essentiellement musulmane, est perpétuellement menacée ; les ordres religieux, peu importants numériquement, sont néanmoins très actifs dans les oeuvres de charité et garantissent une certaine reconnaissance à l'Église.

L'Église abyssinienne

À la différence des pays cités jusqu'ici, l'Éthiopie est un pays resté officiellement chrétien, malgré une population musulmane aussi nombreuse que la population chrétienne. Entraînée dans le schisme monophysite avec l'Église copte dont elle dépend, l'Église d'Éthiopie a reçu dès le xivième siècle des missions catholiques envoyées par Eugène IV, sans succès. L'aide militaire portugaise envoyée pour contrer l'avance musulmane au xviième siècle permit de nouvelles tentatives, qui culminèrent lors de la réunion proclamée en 1626 après le ralliement de l'empereur Susenyos. Mais la latinisation brutale imposée par le Patriarche portugais mena à une nouvelle rupture en 1636, à la mort de Susenyos, et le pays se ferma complètement à l'influence catholique.

Lorsque des missionnaires lazaristes et capucins revinrent en 1839, l'hostilité de la population était encore forte, mais ils parvinrent à former une petite communauté ; en 1889, l'Italie prit le contrôle de la côte érythréenne, et Menelik II devint empereur d'Éthiopie, ce qui permit à l'activité missionnaire de reprendre dans tout le pays. Une structure ecclésiastique fut mise en place en 1961, avec un archevêché d'Addis-Abeba des Éthiopiens (aujourd'hui tenu par Mgr. Berhane-Yesus Demerew Souraphiel) et quatre éparchies suffragantes, une en Éthiopie et trois en Érythrée, où se trouve la majorité de la population abyssinienne catholique. La liturgie copte est célébrée en langue guèze.

Les 200 000 fidèles de l'Église catholique abyssinienne, avec huit évêques et 550 prêtres, principalement religieux, sont encore moins nombreux que les catholiques latins en Éthiopie ; une véritable culture catholique éthiopienne a du mal à s'implanter dans cette terre encore très imprégnée du monophysisme officiel.

L'Église arménienne

La très ancienne Église d'Arménie, fondée selon la tradition par les apôtres Thaddée et Barthélémy, refusa le Concile de Chalcédoine et n'eut aucun contact avec le catholicisme jusqu'aux Croisades, où une alliance politique entre les Arméniens de Cilicie et les croisés se solda en 1198 par une union religieuse assez artificielle, terminée en 1375 par l'invasion tatare. Une nouvelle tentative d'union fut faite au Concile de Florence, sans résultat immédiat, mais qui encouragea les prédications catholiques des Frères de l'Union, ancien ordre arménien analogue aux Dominicains. Une communauté catholique se développa au cours des siècles, et en vint à demander l'établissement d'un patriarcat, ce qui fut fait en 1742, quand Benoît XIV nomma l'évêque Abraham Ardzivian Patriarche de Cilicie des Arméniens ; il prit le nom de Pierre (Bedros), que tous ses successeurs ont repris par la suite.

Initialement basé au Liban, le patriarcat fut déplacé à Constantinople en 1867 pour des raisons administratives, puis retourna à Beyrouth en 1928 à la suite du génocide de 1915 qui avait fait 100 000 victimes parmi les catholiques. En Arménie même, une éparchie fut établie au xixième siècle, mais fut abandonnée du fait de l'hostilité du pouvoir tsariste. Le Patriarche Nerses Bedros XIX Tarmouni dirige actuellement, avec 13 évêques et 75 prêtres, environ 370 000 fidèles dispersés au Proche-Orient (principalement Liban et Syrie), en Europe orientale, en France et en Amérique ; une petite communauté catholique renaît depuis la fin du communisme en Arménie même.

Les Églises byzantines, bêtes noires des communistes

L'Église ukrainienne

Sans doute la plus célèbre des Églises catholiques orientales, elle est aussi celle dont l'existence a provoqué le plus de conflits. Issue de l'union de Brest (1596) proclamant l'union de la province orthodoxe de Kiev à Rome, principalement devant la crainte de l'expansion du protestantisme et pour contrer la latinisation de l'Ukraine pratiquée par la Pologne qui dominait la région, elle posa problème dès son début, la Galicie ne l'acceptant qu'à la fin du xviiième siècle. L'affaiblissement de la Pologne et l'avancée de la Russie menèrent à l'abrogation de l'union dans tous les territoires russes par le tsar Nicolas I er en 1839. Le catholicisme byzantin avait disparu de l'Empire russe, mais subsistait en Galicie, gouvernée par les Habsbourg catholiques puis en 1918 par la Pologne. André Cheptytski, archevêque de Lviv, conduisit l'Église à son apogée malgré l'hostilité latente des Polonais latins.

Mais cette hostilité n'était rien devant la volonté de Staline de supprimer cette Église avant-garde du Vatican dès que la Galicie fut annexée à l'URSS en 1945. Après l'arrestation et la déportation de tous les évêques, il convoqua un synode fantoche qui réintégra officiellement l'Église d'Ukraine dans l'Église orthodoxe russe ; le gouvernement communiste de Pologne fit également tout, de son côté, pour supprimer ce qui restait de byzantin dans leur pays. La résistance était systématiquement déportée ; le métropolite Josef Slipyj ne fut relâché qu'en 1963 pour être exilé à Rome. Paul VI l'éleva immédiatement au titre d'archevêque majeur et le créa cardinal.







Lubomyr, cardinal Husar, archevêque majeur de Lviv des Ukrainiens




La communauté catholique clandestine d'Ukraine fit une réapparition totalement inattendue lors de la restauration de la liberté religieuse par Gorbatchev, ce qui posa immédiatement un problème de cohabitation avec les orthodoxes à qui le pouvoir soviétique avait confié les 3 000 anciennes églises catholiques. Alors que certains prêtres orthodoxes ou faisant semblant de l'être passaient ouvertement au catholicisme, d'autres, restant fidèles à Moscou, se retrouvaient avec une paroisse massivement catholique demandant leur départ. Les autorités locales tranchèrent généralement en faveur des catholiques, mais de nombreux incidents se produisirent, conduisant à une situation très tendue, peu améliorée par le schisme ukrainien autocéphale à l'intérieur de l'Église orthodoxe, mais heureusement largement apaisée actuellement.

La résurrection de l'Église catholique ukrainienne fut spectaculaire ; l'archevêque majeur est maintenant revenu à Lviv et de nombreux diocèses ont été créés en Ukraine et en Pologne. L'archevêque majeur est actuellement S.Ém. Lubomyr, cardinal Husar. L'Ukraine comprend environ 5 000 000 catholiques ; une important émigration porte le total à 6 000 000, avec 40 évêques et 2 800 prêtres. C'est numériquement l'Église catholique la plus importante derrière l'Église latine.

L'Église melkite

Ainsi appelés parce qu'ils refusaient l'Église monophysique de Jacques Baradaï et gardaient la religion du roi (melekh), les melkites sont des Grecs arabophones de Syrie restés dans l'orthodoxie, célébrant la liturgie de saint Jean Chrysostome en grec et en arabe, organisés en patriarcat orthodoxe d'Antioche. Les missions jésuites du xviiième siècles aboutirent à la formation d'un parti catholique basé à Damas, et d'un parti anti-catholique principalement à Alep. L'élection patriarcale de 1724, contrairement aux voeux du Patriarche défunt, vit désigné un catholique, Cyril VI. Son opposant orthodoxe, Sylvestre, fut néanmoins reconnu et ordonné par le Patriarche oecuménique de Constantinople, tandis que Cyril VI, exilé au Liban (pour changer), était reconnu par Benoît XIII en 1729, scindant ainsi l'Église melkite en deux. L'adjectif « melkite » est aujourd'hui limité aux catholiques.

L'émigration des melkites en Palestine et en Égypte conduisit Grégoire XVI à donner au Patriarche melkite le titre, toujours en cours, de Patriarche d'Antioche, d'Alexandrie et de Jérusalem. Le siège fut transféré à Damas lorsqu'en 1848 le gouvernement ottoman reconnut officiellement la nouvelle Église. Celle-ci fut néanmoins l'un des pôles de la résistance arabe aux Turcs, et gagna grandement en audience au cours du xixième siècle. Dans le même temps, les relations avec Rome étaient tendues du fait des pressions latinisantes et de la centralisation romaine. Le concile Vatican I fut accepté avec fort peu d'enthousiasme par le Patriarche Grégoire II, qui avait quitté Rome avant le vote de Pastor Æternus. Le Patriarche Maxime IV fut la « voix de l'Orient » à Vatican II, demandant une plus grande reconnaissance des traditions orientales. En même temps, les relations renouées avec l'Église orthodoxe syrienne aboutirent en 1995 à une déclaration commune visant à résorber le schisme de 1724.

Les melkites sont aujourd'hui 1 340 000, dont environ 800 000 au Proche-Orient, le reste au Brésil et dans divers pays d'émigration. Le Patriarche est S.B. Grégoire III Loufti Laham, b.s. ; la hiérarchie compte 27 évêques et 500 prêtres.





Grégoire III, Patriarche (melkite) d'Antioche, d'Alexandrie et de Jérusalem

Autres Églises byzantines

Il serait trop long de détailler toutes les autres Églises grecques-catholiques : celle de Ruthénie, en Slovaquie orientale et Ukraine transcarpathique, fut créée sous l'influence hongroise au xviiième siècle par les unions d'Ujgorod et de Mukatchevo, qui intégrèrent toute l'orthodoxie de la région dans une Église catholique. Réintégrée de force à l'orthodoxie après l'annexion de la région par l'URSS, elle revint à la surface en même temps que l'Église d'Ukraine. Ses relations avec celle-ci, quoiqu'amicales, posent des problèmes d'identités à cette petite Église, qui a deux contreparties indépendantes aux États-Unis et en République tchèque, totalisant 600 000 fidèles. L'Église slovaque, très liée à l'Église ruthène, a pu sortir des catacombes dès le Printemps de Prague de 1968 ; elle compte 230 000 fidèles.

L'Église de Roumanie fut créée lors de l'union acceptée par le métropolite orthodoxe de Transylvanie sous la pression des rois Habsbourg en 1700. Marie-Thérèse fut néanmoins obligée d'accepter un retour de la moitié de la population roumaine de Transylvanie à l'orthodoxie en 1759 ; mais même les grecs catholiques avaient des difficultés à obtenir des droits civiques. La cohabitation avec les orthodoxes de Roumanie lors de l'annexion de la Transylvanie en 1918 se passa bien jusqu'à l'avènement du communisme qui força l'abrogation de l'union et fit arrêter les évêques. De nouveau, cette Église émergea des catacombes en 1990, avec d'inévitables problèmes de propriété des églises attribuées par le pouvoir déchu aux orthodoxes. Les chiffres varient, selon les sources, entre 200 000 et 700 000 fidèles.

Il existe aussi une éparchie de Hajdúdorog (Hongrie), sur la base d'une communauté byzantine hongroise très ancienne, comprenant actuellement 270 000 fidèles, et une éparchie de Krizevci (Croatie) pour les byzantins (essentiellement serbes) de Croatie et de Bosnie, avec 42 000 fidèles.

Mentionnons également : une communauté grecque à Athènes (2 300 fidèles), très mal acceptée par l'orthodoxie, une communauté en Serbie-Montenegro et Macédoine (34 000), et une communauté bulgare (10 000) issue de l'exaspération des orthodoxes bulgares devant la centralisation de Constantinople, mais largement vidée par la création d'un exarchat orthodoxe bulgare séparé --- une des rares communautés catholiques byzantines à n'avoir pas été interdite par le régime communiste, peut-être grâce à l'influence de Jean XXIII, ancien visiteur apostolique en Bulgarie. Une importante communauté biélorusse issue de l'union de Brest célèbre la liturgie catholique byzantine en biélorusse. On trouve aussi des catholiques byzantins russes, géorgiens et albanais. Toutes ces communautés sont sans structure diocésaine.

Une curiosité historique enfin : l'Église italo-albanaise. Le sud de l'Italie, longtemps sous influence grecque, ne perdit sa culture byzantine qu'après la conquête normande ; elle revint lorsqu'au xvième siècle des immigrés albanais orthodoxes fuyant les Turcs s'y installèrent et tinrent, tout en étant unis à Rome, à garder leurs rites byzantins. Malgré les encouragements des Papes du xviième siècle, ils eurent du mal à s'imposer à la hiérarchie latine locale, jusqu'à la bulle Etsi Pastoralis de Benoît XIV en 1742, menant progressivement à la reconnaissance de l'égalité des rites latin et byzantin au xixième siècle. Il existe actuellement deux éparchies italo-albanaises, Lungo (Calabre) et Piana (Sicile), en plus de l'abbaye territoriale de Grottaferrata près de Rome. La population byzantine d'Italie méridionale s'élève à 61 000 personnes.

Uniates et oecuménisme

La multiplicité des Églises et des rites au sein de la communion catholique illustre bien ce que pourrait être la chrétienté réunifiée, intégrant les richesses de l'Orient et de l'Occident, et renonçant fraternellement tant à une centralisation romaine trop pesante à l'Ouest qu'à un indépendantisme national trop fermé à l'Est. L'autorité pontificale au sens de la primauté de Pierre n'est pas à confondre à l'autorité disciplinaire que l'évêque de Rome a dans l'Église latine comme Patriarche d'Occident. Jean-Paul II avait déjà appelé à une redéfinition de la place de Pierre dans l'Église, et Benoît XVI prend le même chemin ; les avancées de Vatican II sous l'influence de Maxime IV sont déjà de grands progrès en ce domaine, donnant aux Églises catholiques orientales un cadre d'autonomie leur permettant d'épanouir leur identité et leurs richesses culturelles, en particulier dans la liturgie.

Bien entendu, la formation historique de ces Églises n'a pas toujours été caractéristique d'un modèle d'esprit oecuménique de la part des missionnaires catholiques, particulièrement en ce qui concerne les Églises orthodoxes byzantines ; aussi le Saint-Siège et les orthodoxes sont-ils récemment tombés d'accord pour dire que « l'uniatisme » tel que pratiqué au xviiième siècle n'était pas une solution adaptée pour se diriger vers l'unité1. Il est difficile pour un orthodoxe de considérer un grec catholique autrement que comme un traître rallié à la latinité ou comme un latin déguisé en byzantin. Il n'en reste pas moins que ces Églises existent, souvent issues de véritables désirs d'unité, et ont toute leur place tant dans la catholicité qu'au milieu de leurs frères séparés, où elles sont le signe que l'union tant désirée est possible, particulièrement en un temps où la chrétienté est si menacée au Proche-Orient. Déjà les rapports entre Églises jumelles, catholique et séparée, donnent des signes encourageants --- avec pour effet pas forcément très désirable que les catholiques orientaux se sentent souvent plus proches des non-catholiques pratiquant le même rite qu'eux que des Latins. Il est à espérer que les mouvements d'union constatés ces derniers siècles finiront par avoir raison des schismes déjà millénaires qui divisent le corps du Christ.
S.R.

Références

Le lecteur intéressé est invité à se reporter aux sites suivants :

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