À propos du sacrement du baptême.
Philippe Saudraix
À tous ceux qui l'ont accueilli, il a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu. Jn 1, 12
Je suis la porte. Si quelqu'un entre par moi, il sera sauvé. Jn 10, 9
Le baptême est le premier des sacrements, la porte par laquelle on entre dans l'Église du Christ. L'adulte qui, touché par la grâce de Dieu, désire passer par cette porte doit "subir" une préparation de deux ou trois ans, à la différence du petit au berceau. Et pourtant, c'est le même sacrement. C'est sur cette préparation que je voudrais revenir, mais je dois commencer par un conte. D'après des sources assez bien informées, toute ressemblance avec la réalité n'est en aucun cas fortuite.
Un conte :Dieu, le prince et le petit d'homme.
Il était une fois un petit d'homme qui n'avait jamais entendu parler de Dieu, Père, Fils et Saint Esprit. Plein de raison, il pense que l'on ne peut ni ne doit croire à rien puisque toute croyance est illusion. Objection : depuis des siècles, certaines gens, qui se nomment chrétiens, semblent croire. Réponse à l'objection : ils donnent l'impression de croire parce qu'ils ont été éduqués de telle sorte qu'ils ont l'illusion de croire et qu'ils croient réellement croire. Tel est l'avertissement de la sage prudence : ne pas se laisser aiguiller sur la voie de l'illusion, ne pas s'arrêter à la gare de La Foy et ne pas emprunter la correspondance pour La Croix. Le petit d'homme habite dans un endroit où personne ne se dit ouvertement croyant, où il n'y a pas d'église, où l'on n'entend pas de cloches : il est sagement indifférent.
Et pourtant, Dieu l'a rattrapé au coeur de cette indifférence et de cette ignorance : quittant un jour la sagesse de l'indifférence, le petit d'homme s'est s'arrêté à la gare de La Foy et a emprunté la correspondance pour La Croix. Où est-il arrivé ? Aux pieds de Celui qui a dit :
Je suis la porte. Si quelqu'un entre par moi, il sera sauvé. Et sur le pas de cette porte, il y avait une cuve baptismale. Au coeur de l'apparence du néant, le Christ a surgi et a montré toute la plénitude de Sa Présence qui n'avait jamais cessé d'être. Le petit d'homme est devenu croyant par une immense grâce du Seigneur et pour cette seule raison que Dieu est vraiment à l'oeuvre en cet âge.
Poussé par l'Esprit en la personne de son directeur de maîtrise, il partit pour une lointaine capitale, de lui inconnue, Vienne. En bon touriste, il a visité quelques unes des églises de cette ville, qui en comporte plusieurs dizaines, non pas pour y chercher Dieu (quelle idée baroque !) , mais pour admirer un morceau de patrimoine artistique et culturel. Il entre un jour dans la cathédrale et brusquement, une pensée surgit telle une évidence : << Je ne suis pas digne >>. Malgré ses certitudes et sa prétendue force, le petit d'homme se découvre indigne. Indigne de qui ? Eh bien, de ces gens qui remettent tout en Dieu, de ces hommes qui ont construit cette cathédrale, de ceux qui se sont rassemblés là, maintenant, pour une messe. Pour ce vieil idolâtre, qui a fait de la Culture et de la raison deux idoles, se découvrir indigne de gens dont il ne connaît rien et pour cette seule raison qu'ils croient en Quelqu'un en lequel il ne croit pas, c'est un choc lunaire et c'est le début de la foi. Entré en touriste, il en sort presque converti et une forme de prière naît en lui à son insu. Lorsque les cloches des églises qui entourent le palais de l'Empereur du pays l'appellent plusieurs fois par jour et que cet appel résonne en lui, lorsque Dieu le guide dans ces mêmes églises et que ce n'est qu'en elles qu'il trouve la paix, quel appel et quelle grâce !
Six semaines plus tard : retour en France. Le petit d'homme n'a rien compris et tente de reprendre sa vie ordinaire. Trop tard : Quelqu'un a surgi et depuis qu'il ne Le voit plus, nulle plénitude, nulle paix, mais la faiblesse, le trouble, l'angoisse, le vide. Que faire ? Pourquoi pas des bêtises ? Peut-être, mais laissons ceci dans la cuve baptismale. Dieu est bon, Dieu est patient et Il lui fait la grâce de l'appeler toujours et encore, de façon plus pressante. Un jour, sans savoir pourquoi, sans savoir ce qu'il faisait, le petit d'homme interroge M. Google et lance << baptême >>. Réponse de M. Google : le baptême des enfants. Réaction du petit d'homme : ce n'est pas pour moi, je ne suis pas comme ces bambins qui n'ont pas choisi d'être baptisés. Heureusement, M. Google lui parle du baptême des adultes. Réaction : c'est pire, attendre trois ans pour recevoir le baptême et en plus, avec un paquet de grossiste, avec la confirmation et la communion. Je ne veux pas la confirmation, communier, ça ne m'intéresse pas, je ne suis pas une vieille bigote donc je ne vais tout de même pas me mettre à prier. On ne peut donc pas avoir le baptême, juste comme ça ? Désormais, le petit d'homme veut vraiment le baptême, il sent que c'est la porte d'une vie dont il ignore tout. M. Google n'était pas une bonne solution.
Parfois, un prince tala vaut mieux que Google : << Quand Google te décevra, prince tala tu n'oublieras.
1
Se préparer au baptême : le catéchuménat.
De ce jour béni, le petit d'homme devient catéchumène et se prépare à recevoir les sacrements de l'initiation chrétienne des adultes (les SICA, en langage ecclésial) : pendant trois ans, on l'instruit en vue du baptême, de la confirmation et de la communion. Cette préparation est bien spécifique et n'a rien à voir avec la préparation d'un concours : on prépare un concours, on ne s'y prépare pas ; on ne prépare pas le baptême, on s'y prépare. À la différence d'un examen ou d'un concours, le baptême n'est pas la reconnaissance d'un quelconque niveau atteint par ses lauréats. Se préparer au baptême, c'est marcher vers un sacrement, c'est-à-dire vers quelque chose qui échappe à tout homme : à la différence du candidat à un conoours au moment de ses épreuves, lors de l'administration du sacrement, le catéchumène est passif. Et pourtant, recevoir ce sacrement nécessite de s'y préparer.
Par un surcroît d'étrangeté, il s'agit de se préparer au même sacrement que celui qui est administré aux tout petits, qui, eux, ne s'y préparent pas. En prendre conscience, c'est accepter que l'adulte doit se présenter au baptême tel un enfant au berceau. Devant Dieu, il ne vaut pas plus qu'un enfant : c'est une question d'humilité et d'indignité personnelle. En effet, nul n'est trop petit pour aller vers Dieu et celui qui se croit grand se ferme la porte de la Vérité et de la Vie : l'adulte qui demande le baptême doit reconnaître qu'il est aussi petit que le petit enfant au berceau, aussi faible, aussi fragile. Mais loin de s'enfermer dans la contemplation narcissique de sa propre nullité (auquel cas nul n'aurait besoin d'une piscine baptismale et il suffirait de plonger dans la mer), être un enfant, c'est accepter que quoique adulte et responsable, l'on a besoin d'un père et être chrétien, c'est reconnaître que ce père existe ; recevoir le baptême, c'est oser devenir fils adoptif de Dieu. Quelle merveille qu'une telle grâce ! Nous qui ne sommes rien et qui ne cessons de chuter, Dieu nous aime tant qu'Il nous élève jusqu'à faire de nous ses fils adoptifs ! En ce sens, il est essentiel que le baptême des enfants et le baptême des adultes soient une seule et même chose. En outre, administrer le baptême aux adultes permet de mieux comprendre le baptême des tout petits : celui-ci n'est pas un rite social et humain, dont l'objet serait de signifier la naissance d'un enfant et de l'intégrer dans la communauté des hommes, avec du religieux, parce que c'est plus chic que le simple enregistrement à l'état-civil. Le baptême, comme sacrement, est le moment où le nouveau baptisé, quel que soit son âge, devient enfant de Dieu et où le Créateur et Maître de Tout devient vraiment le Père : en retour, la réalité du sacrement du baptême joue dans la vie de tous les baptisés, quel que soit l'âge auquel ils ont reçu ce sacrement.
Toutefois, n'en déplaise au petit d'homme qui avait vraiment imaginé entrer un jour dans une église, la première venue, y trouver un prêtre, recevoir le baptême et repartir, l'adulte qui désire le sacrement du baptême doit s'y préparer pendant au moins deux ans. L'Église n'est pas folle, elle sait bien que la démarche de l'adulte qui frappe à sa porte est différente de celle de l'enfant à qui ses parents, parrain et marraine ont offert le plus beau don qu'ils pouvaient. De ce que j'en ai vu, ces deux ou trois ans de préparation au baptême ne sont vraiment pas de trop, parce que le nouveau converti est une pousse fragile, qu'il faut affermir. Il y a plus, attendre le baptême pendant deux ou trois ans, c'est apprendre à le désirer : l'Église vivant des sacrements, la soif de Dieu et le désir du sacrement vont de pair. Pendant le temps du catéchuménat, la foi en Dieu se nourrit du désir du premier des sacrements : l'on apprend à aller à la messe, à voir tous les gens communier sauf soi et à ne pas en désespérer, on apprend à entendre parler du peuple des baptisés en sachant qu'on n'en fait pas partie. Je suis le premier à reconnaître que ce n'est pas toujours facile, ni au début ni à la fin du catéchuménat, mais l'épreuve de ce manque aiguise notre patience, notre désir, notre amour, notre foi. Bien que l'Église soit le rassemblement de ceux qui partagent la même foi en Christ et bien que le baptême soit le premier signe de ce rassemblement, il n'est pas question de se sentir exclu : il est beau de voir la conscience de l'absence de son propre baptême cesser de tourner sur elle-même de façon égocentrique et devenir désir de communion, de salut, désir d'une porte. En d'autres termes, le catéchumène n'a pas à se sentir exclu de l'Église, mais il doit rester à sa place :
Minute de pub de ce point de vue, je voue une forte reconnaissance à la communauté tala, qui m'a accueilli de façon admirable pour cette seule raison que Dieu m'avait envoyé là. Si je ne devais retenir qu'une seule chose de mes années passées à l'École, ce serait à coup sûr tous ces instants passés au milieu des talas, aux laudes, à la prière de Taizé, à la messe du jeudi ou en pélé
2.
L'on n'a pas toujours la chance d'avoir des talas à sa porte et l'intégration du catéchumène dans l'organisation ecclésiale est manifestée par une cérémonie appelée signation, au cours de laquelle le célébrant accompagne les nouveaux venus de la porte de l'église à l'autel, les présente à l'assemblée paroissiale et les signe sur le front, les oreilles, les yeux, la bouche, les épaules et le coeur. La lente préparation au baptême peut commencer. Voici comment ça marche à Saint-Étienne du Mont, là où le petit d'homme s'est retrouvé : environ une fois par mois, le P. Palaz, prêtre responsable de cette préparation, des laïcs et les catéchumènes se retrouvent ; ils lisent ensemble un bout d'Évangile, discutent librement puis le P. Palaz termine généralement par un enseignement doctrinal ; les textes sont choisis en fonction de la liturgie du moment et de façon à avoir une bonne image de l'Évangile au bout de deux ou trois ans. Ces réunions mensuelles, qui regroupent de 15 à 25 personnes, ne sauraient suffire et un laïc doit assurer un accompagnement plus personnalisé de l'un des catéchumènes. J'ai eu la grâce d'avoir deux accompagnateurs admirables, un couple de la paroisse qui ne s'était jamais engagé ainsi et qui s'est acquitté à merveille de sa mission : c'était l'occasion d'une catéchèse plus spécifique et le lieu d'un accompagnement spirituel essentiel ; on allait ainsi des Pères de l'Église grecque au plus intime de la foi. Pendant ces années, le catéchumène apprend à laisser Dieu être en lui à la première place, à rebours de ses habitudes passées : plein de bonne volonté, il tente de devenir prêt, comme la Fiancée s'apprête à recevoir son Époux. Chacun a son propre cheminement, ses propres épreuves, l'un peut errer sur un volcan éteint, l'autre s'installer en Terre Sainte, un autre voguer sur les mers, un autre encore rester chez lui, mais tous les chemins mènent à la même porte, à la même cuve baptismale, au même sacrement. Au bout d'un certain temps, le P. Palaz et l'accompagnateur laïc finissent par dire : Untel, on peut le présenter au baptême. L'on ne dit pas que quelqu'un est prêt, mais qu'il est présentable, pour cette excellente raison que nul n'est jamais prêt, car au début comme à la fin du catéchuménat, l'on est toujours aussi indigne du baptême. Mais s'il fallait attendre d'être prêt pour être baptisé, qui pourrait l'être ?
Recevoir le sacrement du baptême.
Automne 2005, c'est mon tour la prochaine fois, à la prochaine Vigile pascale. Branle bas de combat : le parrain est vite trouvé. Le petit d'homme a appris à désirer le baptême, mais en ce mois de novembre, il a dû apprendre à ne désirer que le baptême. Succombant doublement à la tentation, il a voulu aller trop vite et s'est demandé ce qu'il allait faire de sa vie de baptisé : la question est fausse, car nul ne doit se demander ce qu'il va faire de sa vie de baptisé, ce serait se donner beaucoup trop d'importance et ne pas laisser Dieu agir en soi. En outre, le catéchumène ne fait pas partie du peuple des baptisés, il est de l'autre côté de la porte que constitue la cuve baptismale : quand bien même j'aurais la foi, quand bien même je désirerais le baptême, quand bien même je serais certain de le recevoir, tant que je ne suis pas porté par le premier des sacrements, je ne peux pas prétendre avoir clairement discerné quelle doit être ma place dans l'Église du Christ, laquelle Église vit des sacrements.
Tout bascule définitivement à l'entrée en Carême 2006 : au mercredi des Cendres, le petit d'homme sait que c'est ce Carême qui va le mener à Pâques, passage au cours duquel il va devenir fils adoptif de Dieu. Plus il traverse le désert qu'est le Carême, plus les ténèbres de la Passion du Christ sont obscures, plus la lumière du salut se fait proche et elle rayonne de façon extraordinaire lors de la Vigile pascale. Ce Carême est particulièrement dense pour les futurs néophytes : le samedi qui suit les Cendres est le jour de l'appel décisif, qui, cette année, a eu lieu en l'église Saint-Honoré d'Eylau. Mgr Vingt-Trois a réuni les 338 futurs baptisés du diocèse de Paris, ainsi que leurs parrains et marraines : chaque catéchumène est présenté à l'archevêque et se voit remettre une écharpe violette, signe d'une démarche pénitentielle particulière, par laquelle il se prépare à abandonner ses péchés, ses idoles, ses vieux fantômes dans la cuve baptismale et à y mourir pour se laisser prendre par le Christ en Sa Résurrection. Au cours des quarante jours du Carême, l'assemblée paroissiale est invitée à soutenir les futurs baptisés et manifestant que depuis près de 2000 ans, l'Église est tradition, elle leur transmet le Notre Père et le Credo, la prière du Christ et la foi de l'Église.
Puis vient ce moment de grâce qu'est la Vigile pascale : le baptême, comme tout sacrement, est à la fois le signe et le moyen d'une réalité spirituelle, mais ce que nul ne peut imaginer avant de l'avoir vécu, c'est à quel point le sacrement est à lui seul réalité. En dépit de la nécessité des deux ou trois ans de préparation, l'on n'est jamais prêt pour le baptême pour cette belle raison que le sacrement n'est pas un aboutissement, mais un commencement, le début de la vie dans l'Église du Christ. Quelques jours avant la Vigile Pascale, le P. Palaz m'a dit : << Va au baptême avec audace >>. Sur le coup, je n'ai vraiment pas compris ce qu'il voulait dire, mais voici ce que j'en ai pensé après coup : oui, il faut une sacrée audace pour oser se faire baptiser, audace de se laisser prendre par Dieu alors qu'on n'est rien, audace de se laisser naître à nouveau, alors qu'on en est toujours aussi indigne. Cette audace prend toute son ampleur dans le sacrement : ce dernier est amené par la liturgie du Feu et de la Lumière. Après la proclamation de la Résurrection du Christ, l'illumination de l'église et la litanie des saints, chaque catéchumène s'avance à son tour, avec son parrain ou sa marraine, il s'approche de la cuve baptismale, le prêtre lui baisse la tête et l'asperge par trois fois. Le nouveau baptisé en ressort illuminé, non pas au sens figuré, mais au sens propre. J'en ai été le premier surpris, car vraiment, je ne m'y attendais pas : Il s'est passé quelque chose d'absolument imprévisible dans cette seconde au cours de laquelle le baptisé est happé par la lumière, est pris par le Christ dans Sa Résurrection et ne peut rien faire d'autre que se laisser prendre dans cette lumière. Par ce sacrement de lumière, les néophytes peuvent entrer dans la vie sacramentelle, sans laquelle il n'y a pas d'Église
3. Voilà cette magnifique porte à laquelle tout homme est appelé : << Je suis la porte, si quelqu'un entre par moi, il sera sauvé >>. La porte, parce que le néophyte est passé dans la cuve baptismale, il est devenu fils adoptif du Seigneur et il est arrivé ailleurs ; il entre dans une nouvelle vie, celle de l'Église, celle des sacrements et de la prière ; l'on voit ainsi que le paquet de grossiste de M. Google prend tout son sens. Dieu fait à un homme la grâce de l'appeler pour qu'il rentre à la bergerie, celui-ci se laisse enfin appeler, il est happé dans ce sacrement de lumière, où le Christ agit réellement et voilà que la fin de l'histoire n'est qu'un commencement.
Que dire de plus ? Rendre grâce, toujours rendre grâce, en tout lieu et en tout temps rendre grâce !
P.S.