Prière de Saint Grégoire de Narek
proposée par Clément Meunier
Saint Grégoire de Narek est le grand auteur mystique que l'Église
d'Arménie a donné à la tradition chrétienne. Il a vécu à la charnière
des dixième et onzième siècles et les églises de tradition arménienne
le fêtent le 25 février. Son oeuvre la plus célèbre est son recueil
de Prières dont la liturgie arménienne a tiré trois extraits qui sont
utilisés l'un lors du Sacrifice de la messe, l'autre dans la prière
des Complies et le dernier comme prière à lire sur les malades. Autre
signe de l'influence durable de ces prières sur les Arméniens: jusqu'à
la fin du dix-neuvième siècle, après avoir appris l'alphabet et lu les
Psaumes, les élèves en recevaient un exemplaire et devaient en
apprendre de larges extraits par coeur... La traduction ici présentée est celle du Père Kéchichian, publiée dans la collection des Sources chrétiennes.
Les thèmes principaux de l'oeuvre de S. Grégoire sont la solidarité dans le péché, la confiance en la Miséricorde divine malgré la nécessité absolue du combat spirituel, et, enfin, l'amour de la vie mystique. L'alliance qu'il réalise entre la pureté de la foi (on dit même que le monastère de Narek était l'un de ceux qui, dans une Arménie qualifiée un peu rapidement de monophysite, tenaient pour la doctrine chalcédonienne de la double nature) et d'une expression poétique vigoureuse font de lui le frère arménien de S. Jean de la Croix.
Le passage que nous vous présentons vient juste après un examen de conscience particulièrement douloureux qui a mené l'auteur au bord du désespoir. C'est l'une des seules prières du recueil qui s'adresse à la Très Sainte Vierge Marie.
I
« A présent (...) c'est toi que je supplie, Sainte Mère de Dieu.
Ange issu des hommes, Chérubin revêtu d'une chair visible, Reine du ciel,
limpide comme l'air, pure comme la lumière, immaculée telle une fidèle image de l'Etoile du matin au plus haut point de son essor.
Ô plus sacrée que la Demeure impénétrable du Saint des Saints, Lieu de l'heureuse Promesse, vivant Eden, Arbre de la Vie immortelle, gardé de tous côtés par l'épée flamboyante.
Toi qui a été fortifiée et protégée par le Père Très-haut, préparée et consacrée par l'Esprit qui s'est reposé sur toi, embellie par le Fils qui a habité en toi et qui t'a rendue son Tabernacle:
le Fils unique du Père est devenu ton Premier-né, ton fils par la naissance et ton Seigneur par la création.
En ta pureté sans souillure et sans tache, tu es bonne; en ta sainteté immaculée, tu es une avocate tutélaire.
Reçois de moi cette prière de supplication, présente-la, offre-la à Dieu (...), entrelace et unis en elle mes soupirs amers de pécheur avec tes demandes bienheureuses au parfum d'encens, ô plante de vie du Fruit de bénédiction,
afin que par toi toujours secouru et comblé de tes bienfaits, ayant trouvé refuge et lumière auprès de ta sainte Maternité, je vive pour le Christ ton Fils et Seigneur.
II-
Assiste-moi par les ailes de tes prières, ô toi que l'on proclame Mère des vivants,
afin que à ma sortie de cette vallée terrestre, je puisse sans tourment marcher vers ta demeure de vie qui nous a été préparée, afin que soit rendue légère la fin de cette vie alourdie par mon iniquité.
Change pour moi en fête d'allégresse mon jour d'angoisse, guérisseuse des blessures d'Ève!
Sois mon avocate, demande, supplie: car comme je crois à ta pureté indicible, voici que je crois aussi au bon accueil qui est fait à ta parole.
De tes larmes, aide-moi, moi qui suis dans le péril, ô Toi, bénie entre les femmes,
Fléchis le genoux pour obtenir ma réconciliation, ô Toi, Mère de Dieu,
Aie souci de moi qui suis malheureux, ô Tabernacle du Très-haut,
Tends-moi la main dans ma chute, ô Temple céleste.
Glorifie ton Fils en toi: qu'il daigne opérer divinement en moi le miracle du pardon et de la miséricorde, Servante et Mère de Dieu:
que ton honneur soit exalté par moi, et que mon salut soit manifesté par toi!
III-
(Il en sera ainsi) si tu réussis à me retrouver, ô Mère du Seigneur; si tu as pitié de moi, ô Sainte;
si dans ma perdition tu me recouvres, ô Immaculée; si dans ma frayeur tu m'accueilles, ô Bienheureuse;
si, dans la honte où je suis, tu me fais approcher, ô Toute-Gracieuse; si, coupé que je suis de tout espoir, pour moi tu intercèdes, Vierge toujours sainte;
si de l'exil tu me fais entrer dans la Famille, ô toi que Dieu a exaltée; si à mon égard tu montres ta compassion, Toi qui romps les liens de la malédiction;
si dans mon agitation tu me tranquillises, ô Repos; si le trouble de mes émotions, tu le changes en paix, ô Pacificatrice;
si de mon égarement tu me donnes le moyen de revenir, ô Louée; si pour ma défense, tu entres en lice, toi qui fais reculer la mort;
si mes amertumes, tu les adoucis, ô Suavité; si tu abolis la distance qui me sépare de Dieu, ô Réconciliation;
si mes impuretés, tu les enlèves, ô toi qui foules aux pieds la corruption; si, livré que je suis à la mort, tu me délivres, ô Vivante Lumière;
si la voix de mes sanglots, d'un seul coup tu l'arrêtes, ô Allégresse; si, alors que je suis terrassé, tu me redonnes de la vigueur, ô Remède de vie;
si dans ma ruine tu jettes un regard sur moi, ô Pleine de l'Esprit; si avec miséricorde tu viens à ma rencontre, toi qui en legs nous fut donnée.
Ô toi, qui n'es bénie que par les lèvres immaculées des bouches bienheureuses, voici qu'une seule goutte de ton lait virginal, tombée en pluie sur mon âme, me redonne force et vie,
ô toi, Mère du Très-haut Seigneur Jésus, Créateur du ciel et de la terre entière, que d'une manière indicible tu as enfanté avec toute son humanité et toute sa divinité,
Lui qui est glorifié avec le Père et l'Esprit-Saint en son Essence et en notre nature qu'il s'est unie d'une manière inscrutable, Lui qui est tout et en toutes choses, Un de la Trinité.
A lui gloire dans les siècles des siècles!
Amen.»
Sources chrétiennes n.78, 428---432.