Marie conduit au Christ
Matthieu Cassin
Hors de toute mariolâtrie, je voudrais tenter de mettre en
évidence la juste place de la très sainte Mère de Dieu dans
la foi et le culte catholique. Pour cela, je m'appuierai sur trois
textes principaux, le dernier chapitre de la constitution sur
l'Église du Concile Vatican II, Lumen Gentium,
l'exhortation apostolique de Paul VI Marialis cultu, de
février 1974, et le document du groupe des
Dombes1 publié en 1999
sous le titre Marie dans le dessein de Dieu et la communion
des saints2. En lien avec l'article
d'une camarade talo et dans la perspective du document du groupe
des Dombes, particulièrement de son dernier chapitre «Pour la
conversion des Églises», il s'agirait de montrer que la position
catholique est fort éloignée des excès que l'on a pu et que
l'on peut lui reprocher. Partant de la place centrale de Marie dans la
foi et la vie chrétienne, nous rappellerons ensuite quelques
points d'attention, en un chemin de conversion qui doit sans cesse
être poursuivi.
La place centrale de Marie
[Marie] est saluée comme un membre
suréminent et absolument unique de l'Église, modèle et
exemplaire admirable pour celle-ci dans la foi et dans la
charité, objet de la part de l'Église catholique, instruite
par l'Esprit-Saint, d'un sentiment filial de piété, comme il
convient pour une mère très aimante3.
Celle à qui le concile d'Éphèse a reconnu
le titre de «Mère de Dieu», «théotokos», ne peut
qu'avoir une place particulière dans la pensée, la foi et le
culte des fidèles ; c'est en elle que le Fils de Dieu, le Christ
Jésus a pris chair, par l'Esprit-Saint, et s'est fait
homme4. C'est
d'elle que Jésus a reçu sa chair d'homme, et elle l'a suivi tout
au long de sa vie terrestre, sa vie publique comprise, jusqu'au
pied de la Croix.
Marie a été élevée, par la grâce de Dieu, au-dessous de son
Fils, au-dessus de tous les anges et de tous les hommes comme la
Mère très sainte de Dieu, présente aux mystères du Christ;
aussi est-elle légitimement honorée par l'Église d'un culte
spécial5.
Femme qui a porté en son sein le Verbe de Dieu, elle est en
même temps mère de tous les croyants, de tous les hommes,
Mère de l'Église ; par sa place auprès de son Fils, elle est
amenée à jouer un rôle de troisième terme,
d'intermédiaire entre chaque homme et son Fils, mais non de
médiatrice, puisque le Christ est seul médiateur6. Le document déjà cité du groupe des Dombes lui
attribue trois rôles principaux, proximité, «mère attentive
à tous ses enfants», défense de l'identité culturelle,
«célébrée sous les traits de chaque peuple concerné»,
protection et guérison7. C'est à elle que l'on s'en remet, comme figure
d'intercession privilégiée auprès de son Fils : Mère
aimante et attentive, elle transmet à son Fils aîné la
prière de ses enfants, frères cadets du Christ.
Elle est pour l'Église le modèle parfait de la foi, de la
charité et de l'union au Christ8 ; en disant9 au
disciple bien-aimé, sur la Croix, «voici ta mère», en disant
à Marie, «voici ton fils», Jésus a confié son Église naissante,
en la personne du disciple, à l'amour maternel de Marie, a
recommandé à cette Église naissante de se confier en
l'intercession de sa Mère, devenue par lui mère de tout homme.
Points d'attention, perspectives de conversion
Les avertissements du Concile, répétés par Paul VI dans son
exhortation apostolique déjà citée, portent avant tout sur
la liturgie et le culte ; les remarques que contient le document du
groupe des Dombes portent davantage sur des clarifications de
concept et de vocabulaire, mais les deux aspects ne peuvent être
séparés, car ils ne sont chacun qu'une expression l'un de l'autre.
Que les fidèles se souviennent qu'une véritable dévotion ne
consiste nullement dans un mouvement stérile et éphémère
de la sensibilité, pas plus que dans une vaine crédulité ;
la vraie dévotion procède de la vraie foi, qui nous conduit
à reconnaître la dignité éminente de la mère de Dieu, et
nous pousse à aimer cette Mère d'un amour filial, et à
poursuivre l'imitation de ses vertus10.
Or, il faut sans doute rappeler ici que la vraie foi est foi
en Dieu un et trine, que le vrai culte est rendu au Père, par le
Fils, dans l'Esprit. Le culte rendu à la Vierge a de fait un
caractère éminent, surpassant celui rendu aux saints, mais il
diffère par son essence du culte d'adoration rendu à Dieu. Le
chapitre de la constitution du Concile Vatican II consacrée à
l'Église et l'exhortation apostolique de Paul VI insistent très
souvent et très fermement sur cette dissociation et cette
différence fondamentale.
Il convient que
les exercices de piété envers la Vierge Marie expriment
clairement une note trinitaire et christologique, qui leur est
essentielle et intrinsèque. Le culte chrétien est, par nature,
culte rendu au Père, au Fils et à l'Esprit-Saint, ou mieux,
selon la formule liturgique, au Père, par le Fils, dans
l'Esprit11.
Comme le rappelle Paul VI à la fin de cette section de
l'exhortation, il faut que soit rendu explicite le contenu
ecclésiologique de la vénération pour la Vierge.
Aussi, dans la ligne des remarques précédentes, Paul VI juge
bon de mettre en avant quatre orientations pour le culte qui est
rendu à la Vierge, quatre orientations qui permettent de lui
conserver sa juste place, c'est-à-dire non pas une place
réduite ou honteusement cachée, mais une place qui respecte la
hiérarchie des créatures ; toute autre position serait une
offense aussi bien à Dieu qu'à la très humble Servante du
Seigneur. Voici ces quatre orientations :
-
une orientation biblique, qui doit être présente dans toute
forme de culte, ce qui est un postulat général de toute
piété chrétienne12 ;
- une orientation liturgique, puisque les exercices et les
marques de piété mariaux doivent s'harmoniser avec la
liturgie, non se confondre avec elle ou la
remplacer13 ;
- une orientation oecuménique, puisque «la volonté de
l'Église catholique, sans atténuer le caractère propre du culte
marial, est d'éviter avec soin toute exagération susceptible
d'induire en erreur les autres frères chrétiens sur la
doctrine authentique de l'Église catholique, et de bannir toute
manifestation cultuelle contraire à la pratique catholique
légitime14.» Une fois encore, il ne
s'agit pas de cacher pour ne pas gêner, mais que la
délicatesse de la charité fraternelle nous écarte des
exagérations auxquelles nous pourrions nous laisser entraîner,
que le dialogue oecuménique nous aide à acquérir une
connaissance plus juste de notre foi ;
- une orientation anthropologique, enfin, puisque l'on peut trouver
en Marie un modèle à imiter pour grandir en la proximité du
Christ15.
Il convient en effet de ne jamais faire disparaître sous les
honneurs et la glorification la nature humaine de Marie ; quelque
privilégiée qu'elle soit, c'est en Christ et par le Christ
qu'elle est sauvée, non d'elle-même. Elle a été conçue
sans péché, mais par une anticipation du salut en Christ, non en
se sauvant elle-même ou par ses propres mérites.
Je renvoie ceux qui souhaitent approfondir les sources
bibliques, théologiques et dogmatiques du culte à la Vierge
Mère aux textes que j'ai cité en commençant, et plus
particulièrement, pour une lecture éclairée par les
exigences du dialogue oecuménique, aux premiers chapitres du
document du groupe des Dombes.
Tout comme le sacerdoce du Christ est participé sous des
formes diverses, tant par les ministres que par le peuple
fidèle, et tout comme l'unique bonté de Dieu se répand sous
des formes diverses dans les créatures, ainsi l'unique
médiation du Rédempteur n'exlut pas, mais suscite au contraire
une coopération variée de la part des créatures, en
dépendance de l'unique source. Ce rôle subordonné de Marie,
l'Église le professe sans hésitation ; elle ne cesse d'en faire
l'expérience ; elle le recommande au coeur des fidèles pour
que cet appui et ce secours maternels les aident à s'attacher
plus intiment au Médiateur et Sauveur16.
Ces quelques lignes du Concile résument et rassemblent ce que je
voulais rappeler ici : la place unique de Marie dans la vie de
l'Église doit rester à la fois objet de méditation, comme un
moyen de s'approcher du Christ, en s'approchant de lui avec sa
mère, et objet d'attention, pour éviter toute dérive vers un
sentimentalisme ou un culte purement extérieur, ce qui serait en
tout contraire à la foi chrétienne reçue des Apôtres. En ce
chemin de dévotion filiale à la Servante du Seigneur, nos
frères orientaux peuvent nous guider, apportant un éclairage
différent dans la piété justement rendue à la Mère de
Dieu, éclairage non moins riche que celui de la tradition
d'Occident.
Le noeud de la désobéissance d'Ève a été
dénoué par l'obéissance de Marie, car ce que la vierge Ève
avait noué par son incrédulité, la Vierge Marie l'a
délié par sa foi17.
M.C.