Justice et salut

Philippe Saudraix


Premier avertissement : je suis en exil chez les Saxons et je n'ai presque rien avec moi. Ceci signifie que hormis les citations bibliques, tout le reste est sorti de ma pauvre tête et est donc à prendre avec des pincettes.

La Chute

Au soir du sixième jour, « Dieu vit tout ce qu'il avait fait. Cela était très bon.»1 La Création est achevée et l'homme vit dans le jardin d'Éden. Il y est soumis à deux commandements : « Soyez féconds, multipliez, emplissez la terre et soumettez-la »2 et « De l'arbre de la connaissance du bien et du mal, tu ne mangeras pas car, le jour où tu en mangeras, tu deviendras passible de mort.»3

Raté: Adam mange du fruit défendu. La Création, cette oeuvre d'Amour du Dieu bon, est à peine achevée que ce Dieu bon est amené à exercer ses qualités de justicier, à cause du double mystère du Mal et du péché originel. Je suis déformé par le latin (et j'ignore beaucoup du grec et tout de l'hébreu) et dans juste, je ne peux m'empêcher d'entendre jus, le droit. Être juste, c'est respecter le droit et commettre une injustice, c'est commettre une infraction au droit. Il va donc de soi que lorsqu'Adam mange du fruit de l'arbre de la connaissance du bien et du mal, il commet une injustice; en conséquence, le Créateur juge Adam, Ève et le serpent. Chacun des trois coupables est puni et l'homme est chassé du jardin d'Éden. D'emblée, l'homme a été injuste et Dieu l'a jugé avec justice. Il me semble important de voir que le jugement de Dieu qui chasse l'homme du jardin d'Éden est un jugement juste. J'ai à ce propos le souvenir d'une méditation écrite par Silouane, moine orthodoxe du début du xxième siècle, qui essaie de se mettre à la place d'Adam venant d'être chassé du Paradis. Dans cette méditation intitulée Lamentation d'Adam après la Chute, Adam pleure sur son sort, non pas sur le fait d'avoir été chassé du Jardin, car il sait parfaitement que cette punition est juste et que ce ne serait qu'aggraver son cas que de s'en plaindre, mais il pleure parce qu'il a conscience qu'il a commis bien plus qu'une injustice, il a commis une faute et quelle faute! En effet, son acte n'est pas du tout du même ordre que n'importe quelle transgression du droit civil: ce dernier, si je simplifie, est conçu pour faire durer une société et en protéger les membres individuellement et collectivement, il émane des hommes qui forment cette société. Au contraire, dans cette histoire de la Chute, Dieu le Créateur donne deux commandements: ne pas les respecter, ce n'est pas agresser d'une façon ou d'une autre son semblable, c'est bien pire, c'est se révolter contre Dieu, Lui, à qui nous devons tout, qui nous a créés dans un dessein d'amour infini. Si nous renversons la proposition, cela signifie qu'être juste devant Dieu, c'est reconnaître à tout instant qu'Il est notre Créateur et que hors Lui, nous ne sommes rien: autrement dit, être juste n'est pas simplement un ajout moral à un contenu de la foi, c'est quelque chose qui est intrinsèquement lié à la foi. Un acquis certain de cet épisode de la Chute est le lien qu'il y a entre l'injustice, la faute et le péché. Si Adam avait été juste envers son Créateur, c'est-à-dire s'il avait reconnu que sans Lui, il n'était rien et qu'il avait agi en conséquence, il n'aurait pas péché, il n'y aurait pas eu de faute. Du même coup, le poids du péché originel fait qu'il est très difficile à l'homme d'être juste.


Raté: Adam mange du fruit défendu.

Il me semble qu'il ne faut pas minimiser l'importance du péché originel dans l'idée que l'on se fait de l'homme et des sociétés humaines. En effet, il existe tout un rameau de la pensée européenne qui nie le péché originel et qui fait de l'homme une créature par nature bonne et juste. Ce courant, qui prend des formes très diverses, est confronté à une difficulté majeure: comment expliquer que toute l'histoire de l'humanité est faite d'injustices? Comment expliquer ce fait expérimental, l'incapacité de l'homme à être juste? Ce courant apporte deux types de réponses, qui ne s'excluent nullement. Il y a d'abord l'explication sociale de l'injustice: c'est la faute à la société et à son organisation si l'homme est injuste; il faut donc réformer la société de façon à obtenir un homme juste et, si après tant de réformes, on n'y est pas arrivé, c'est qu'on s'est trompé dans la réforme. Il y a ensuite l'explication que je ne sais pas comment qualifier: l'homme est par nature bon et juste, mais cette nature ne s'est pas encore exprimée, parce que l'homme est d'abord barbare et qu'il doit se civiliser; le progrès, l'avancement de la civilisation devraient donc permettre à l'homme d'être juste. Nier le péché originel signifie à terme la possibilité d'avoir une société juste avec des hommes justes. Autrement dit, être juste pourrait être le terme d'un effort humain et il incomberait aux hommes de construire cette humanité juste. Pour le plaisir de la polémique, j'ajoute que ce rameau de la pensée européenne n'est peut-être pas le plus fécond4.

Vivre dans la conscience du péché originel, c'est vivre à l'opposé de ce courant et proclamer, non seulement tous les vendredis matins, mais aussi à tout instant: « Oui, je connais mon péché, ma faute est toujours devant moi. Contre Toi et Toi seul j'ai péché, ce qui est mal à Tes yeux, je l'ai fait. [...] Moi, je suis né dans la faute, j'étais pécheur dès le sein de ma mère.»5 Avant même que de naître, l'homme est pécheur, il n'est pas un seul instant de sa vie où il ne soit pas pécheur. Concrètement, ça ne veut certes pas dire qu'il passe son temps à commettre des injustices, mais ça veut dire qu'il n'existe aucun instant de la vie d'un homme où celui-ci soit par nature et par essence juste. En corollaire, ça n'exclut pas qu'il existe des instants de la vie d'un homme où celui-ci soit accidentellement juste. Mais, a contrario, ça veut dire aussi que tout homme peut potentiellement commettre une injustice. C'est un peu ce qui est raconté dans la Genèse: les hommes sont tellement mauvais et incapables d'être justes que Dieu se repent d'avoir fabriqué un animal pareil6. C'est l'origine du Déluge: effacer toute injustice de la surface de la Terre, afin de pouvoir repartir sur de meilleures bases. Un homme et sa famille échappent à cette catastrophe universelle: « Noé était un homme juste, intègre parmi ses contemporains.»7 Et parce qu'il est juste, il trouve grâce devant Dieu et est sauvé du Déluge. Apparaît donc une logique de rétribution très simple: le juste sera récompensé et il aura la vie, l'injuste sera puni de mort. L'événement du Déluge aurait dû être quelque chose de suffisamment marquant pour inciter les hommes à être justes, mais c'était peine perdue..., comme en témoigne l'histoire de Sodome et de Gomorrhe. Autrement dit, à cause du péché originel et du mystère du mal qui traverse le monde, l'homme laissé à lui-même ne peut pas par lui-même devenir un être juste: il y aura toujours quelque chose pour le rendre injuste, pour le pousser au péché et réitérer la rébellion d'Adam8.

La grâce de la Loi.

Longtemps après tous ces événements, un peuple est élu, la descendance d'Abraham, qui est appelée à briller devant les nations, à montrer que Dieu est et qu'Il aime son peuple, qu'Il le soutient. En contrepartie, ce peuple a une chose à faire, respecter la Loi. Dans ces conditions, le discernement est simple: est juste celui qui respecte la Loi, n'est pas juste celui qui ne respecte pas la Loi et, pour la même raison que dans le jardin d'Éden, comme la Loi est donnée par Dieu, le Juif qui ne la respecte pas commet bien plus qu'une injustice, il commet une faute. Le Décalogue9 est une grâce du Seigneur, un don gratuit trois mois après la sortie d'Égypte, après la libération de l'esclavage de Pharaon: le peuple d'Israël, devenu libre et en quelque sorte livré à lui-même, a pour mission d'être une nation sainte au milieu des autres hommes et le moyen de cette sanctification est la Loi. On retrouve d'emblée ce lien intime entre la justice et la foi. Les premiers articles du code sont en effet:« Je suis le Seigneur ton Dieu, tu n'auras pas d'autres dieux que moi, tu ne te prosterneras pas devant les idoles.»10 Le Décalogue est suivi d'articles beaucoup plus techniques, concernant les esclaves, les coups donnés et reçus, le droit d'asile etc. Ces derniers pourraient se trouver dans n'importe quel code civil, mais ils prennent une dimension tout autre par le seul fait qu'ils sont précédés de cet article fondamental « Je suis le Seigneur Ton Dieu etc. »: l'on entend parfois des railleries envers le caractère nécessairement procédurier du respect de la Loi par un Juif pieux. Il me semble que nous devrions être un peu plus humbles: la Loi n'est pas un carcan imposé au peuple juif (puis aux Chrétiens), elle est d'abord une grâce donnée par le Seigneur, pour nous permettre de nous tourner vers Lui. Grâce à la Loi, l'homme a un moyen d'être juste et ce moyen est bon parce qu'il lui est donné par Dieu, ce n'est pas une méthode humaine conçue par des hommes pour des hommes, c'est un don de Dieu, conçu pour sanctifier l'homme. Le juste est celui qui ne transgresse jamais cette Loi.

Certes, mais est-il possible de ne pas transgresser la Loi? Une Loi dont les premiers articles sont, je le répète, «Tu n'auras pas d'autres dieux que Moi» et »Tu n'auras pas d'idoles». Cela suppose qu'à chaque instant de sa vie, l'on reconnaisse le Seigneur pour son Dieu, pour l'unique Dieu. Cela suppose aussi qu'à aucun instant de sa vie, l'on n'ait d'idoles. Vu la facilité avec laquelle les hommes se fabriquent des idoles, on peut douter de la possibilité de respecter la Loi. C'est déjà ce que raconte le livre de l'Exode, au chapitre 32: les Hébreux s'ennuient pendant que Moïse discute avec Dieu sur la montagne et, oubliant leur vocation à la sainteté, perdant confiance, ils se fabriquent un veau d'or, une idole. La Loi venait à peine de leur être donnée! Tout bascule tout d'un coup et, l'espace d'une seconde, la foi a été oubliée et la faute commise. Nous ne valons pas mieux que ces braves gens et, nous aussi, l'espace d'une seconde, nous nous fabriquons une idole, quand bien même nous allons à la messe tous les dimanches et tous les jeudis, quand bien même nous allons aux laudes tous les matins. Ne voulant pas céder à la tentation de la polémique, je ne donnerai pas d'exemples d'idoles contemporaines. Tout ça pour dire que le respect de la Loi ne peut absolument pas être quelque chose d'extérieur à soi, une liste de procédures et de protocoles à appliquer en temps voulu: respecter la Loi, c'est vivre en tout temps, quoi qu'il arrive, avec foi en Son Créateur. Tant que durera cet âge, il nous sera difficile d'être justes et, à chaque fois que nous reconnaissons que nous avons été injustes, nous nous tournons vers le Seigneur, nous nous convertissons. Je dirai même plus, comme les frères Dupond et Dupont: « Ne joue pas au juste devant le Seigneur » et « Le Seigneur seul sera proclamé juste.»11




La Loi, grâce de Dieu et moyen de sanctification.

Le juge et le roi.



En dépit de son caractère admirable, la Loi n'a pas permis au peuple d'Israël d'être juste et de briller par sa justice devant les nations païennes. Ce n'était pas la faute de la Loi, car, don de Dieu, elle ne peut qu'être juste et bonne. C'était donc la faute de ceux qui avaient la mission de respecter cette Loi de façon exemplaire. Pour rendre l'homme juste, il n'est donc pas question de réformer la Loi, qui n'est pas sujette à la réforme: « En vérité, avant que ne passent le ciel et la terre, pas un i, pas un point sur l'i, ne passera de la Loi, que tout ne soit réalisé.»12 Il n'est pas question non plus de réformer les hommes, puisque le péché originel et le mal seront toujours là. D'où une idée qui surgit, encadrer Israël, lui créer une institution qui l'aide à être juste: ce sont les juges. Josué, le successeur de Moïse, a fait entrer le peuple d'Israël dans la Terre promise, après avoir dévalé le mont Nebo, il a conquis le pays de Canaan et réparti le nouveau territoire entre les différentes tribus. Puis il meurt et l'on en arrive ainsi à une génération qui n'a pas connu la traversée du désert, mais qui a toujours vécu dans la Terre promise: « Les enfants d'Israël délaissèrent le Seigneur, le Dieu de leurs pères, qui les avait fait sortir du pays d'Égypte.»13 Ces hommes accomplissent le mal et, oubliant qu'ils doivent tout au Seigneur, le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, oubliant l'alliance passée à l'époque de Moïse, ils transgressent les premier et troisième commandements. Dieu exerce donc sa fonction de justicier: puisqu'ils ne m'ont pas écouté, je ne les sauverai pas. Concrètement, le premier grand abandon de la foi a pour conséquence la défaite militaire face au roi d'Édom et pendant huit ans, les Hébreux connaissent la captivité14. L'on voit donc ici une logique de rétribution: puisqu'Israël n'a pas reconnu qu'il tient sa puissance, non de lui-même, mais de Dieu, son Créateur qui a passé une alliance avec lui, il est abandonné par Dieu lors d'une bataille décisive. Tout le texte laisse entendre que si Israël avait été juste, tout ceci ne serait pas arrivé. C'est aussi ce que fait dire le psalmiste à Dieu: « Puisqu'il s'attache à moi, je le délivre ; je le défends car il connaît mon nom. Il m'appelle, et moi, je lui réponds ; je suis avec lui dans son épreuve.»15

Cependant, cette logique de rétribution est indissociable de l'immense miséricorde du Seigneur, comme nous l'entendons dans le De profundis: « Si tu retiens les fautes, Seigneur, Seigneur, qui subsistera ? Mais près de toi se trouve le pardon pour que l'homme te craigne.»16 Celui qui, après avoir commis le mal, retrouve le chemin de la justice et pleure pour retourner auprès des voies de Dieu, celui-là peut obtenir le pardon: Dieu est à la fois un juge inflexible, qui sait tout, et un père très miséricordieux, tout simplement parce qu'il est tout Amour. Cela étant posé, revenons à nos enfants d'Israël de la première génération après la mort de Josué: « Les Israélites furent asservis à Kushân-Rischeatayim pendant huit ans. Alors les Israélites crièrent vers le Seigneur et le Seigneur suscita aux Israélites un sauveur qui les libéra, Otniel fils de Qenaz, frère cadet de Caleb. L'esprit du Seigneur fut sur lui ; il devint juge d'Israël.»17 Le Seigneur se laisse attendrir par la plainte de son peuple et le sauve du joug du roi d'Édom, grâce à une nouvelle institution, le juge: il faut voir ici que ce n'est ni quelque chose de naturel, ni un dû, mais une grâce du Seigneur au moment du retour de l'enfant prodigue. Un modèle est mis en place qui se réitère un certain nombre de fois: le peuple élu oublie Dieu, il est puni par une défaite militaire, il se souvient de Dieu, qui le sauve et lui donne un juge. Voilà une institution assez étrange, car il est très net qu'il ne s'agit pas d'un chef, ni d'un roi: le juge est un homme choisi par Dieu et a pour mission de juger, c'est-à-dire de discerner le juste de l'injuste, le bon du mauvais et, vu le contexte, de respecter la Loi et de la faire respecter par le peuple d'Israël. Par lui, le peuple d'Israël doit pouvoir se conduire droitement, parce qu'il lui indique quel est le sentier droit. Durant les 40 ans qu'Otniel a été juge, le pays est en paix, n'est donc pas soumis à la vindicte du Seigneur, ne connaît pas l'épreuve. C'est pour cette raison que je me demande si le juge n'a pas un rôle beaucoup plus élevé que celui d'un simple garde-fou pour le peuple: c'est lui qui a délivré les Israélites du joug étranger, il a été choisi par Dieu uniquement lorsque le peuple a crié vers Lui. Autrement dit, tant qu'il vit, il est un témoin devant les Israélites de la justice et de la miséricorde du Seigneur, il est un témoin de ce que le peuple élu est sauvé par son Dieu du moment qu'il ne transgresse pas la Loi, qu'il vit avec foi et sans idole; en retour, le juge est le garant devant Dieu de ce que le peuple sera juste et n'oubliera pas le Seigneur. J'ai donc l'impression qu'il s'agit d'une institution qui est au coeur de l'Alliance entre Dieu et son peuple.

L'on parle ici de juge et il n'est pas question de parler de roi, car il n'y a qu'un roi, c'est Dieu et le peuple d'Israël n'ayant qu'un seul dieu, il se doit de ne pas avoir de roi: il n'est pas question de faire concurrence à Dieu en inventant un roi à côté de celui qui est le seul à vraiment régner18. En affirmant que tel homme règne sur le peuple d'Israël, on court le risque de diminuer le seul véritable roi et de minimiser la valeur de l'Alliance. Au contraire, avec un juge, tous ces inconvénients sont évités et la valeur de l'Alliance est d'autant mieux mise en lumière. Toutefois, cette institution des juges n'a pas duré, par la faute du peuple d'Israël. Le dernier juge a été Samuel; lorsqu'il se fait vieux, les anciens viennent le trouver et lui disent: « Établis-nous un roi, pour qu'il nous juge, comme toutes les nations.»19 Dieu dit alors à Samuel: « ce n'est pas toi qu'ils ont rejeté, c'est moi qu'ils ont rejeté, ne voulant plus que je règne sur eux.» Israël pèche quand il refuse sa spécificité, être le peuple sur lequel Dieu règne tout spécialement, et quand il réclame d'être semblable aux autres, il se révolte une nouvelle fois contre Dieu, mais en dépit de cela, il est exaucé et ce mal est retourné en bien: après les épisodes désastreux de la royauté de Saül, David puis Salomon donnent le modèle d'une royauté juste, aimée de Dieu et l'on peut presque dire que l'institution du juge trouve sa continuation dans la royauté sur Israël. Le roi juif n'est pas un chef de guerre s'exaltant lui-même au point de se prendre pour un dieu, il n'est pas non plus un barbare considérant ses sujets comme des pantins, il a une fonction politique, morale et religieuse: en particulier, il a pour mission d'être juste envers ses sujets, afin de mener ceux-ci sur des sentiers de justice; au vu du Décalogue, ceci signifie qu'il a un rôle à jouer quant à la foi d'Israël envers Dieu et quant au refus des idoles. Il ne me semble pas anodin de souligner, pour notre propre conscience historique, que c'est là un modèle dont sont largement tributaires les monarchies chrétiennes occidentales: le roi chrétien est celui qui doit juger ses sujets avec justice et les conduire avec foi à leur salut.




David, roi choisi par Dieu, et pécheur.

Certes, mais un roi, même choisi par Dieu, reste pécheur, même un roi juste comme David, comme le montre ses démêlés avec Urie le Hittite20: David commet l'adultère avec Bethsabée, la femme d'Urie et s'arrange pour que ce dernier soit tué au cours d'une bataille. Le prophète Nathan vient trouver le roi et lui dit: « Ainsi parle le Seigneur Dieu d'Israël : Je t'ai oint comme roi d'Israël [...] Pourquoi as-tu méprisé le Seigneur et fait ce qui Lui déplaît ?» La faute de David est d'autant plus grave qu'il est roi, donc juge et garant de son peuple. La suite de l'histoire des rois d'Israël ne fait que recommencer l'histoire de l'époque des juges, jusqu'à la punition suprême: la destruction de Jérusalem et la déportation à Babylone sous le règne de Nabuchodonosor. La situation change considérablement, puisqu'il n'y a plus de roi en Israël et qu'il y a au contraire cet espoir de revenir à Jérusalem et de voir la royauté refondée, ce qui serait la preuve manifeste que Dieu est avec son peuple. Celui qui n'a qu'un seul dieu, qui refuse d'adorer des idoles, qui a foi en la promesse faite à ses aïeux Abraham, Isaac et Jacob, ne peut qu'espérer le retour en Terre Promise et une fois ce retour rendu possible sous Cyrus avec la restauration du Temple (livres d'Esdras et de Néhémie), espérer l'arrivée du roi messianique qu'a chanté David, le roi juste, dans ses psaumes et dont ont tant parlé les grands prophètes. Autrement dit, l'on voit ici à quel point la justice est liée à la deuxième vertu théologale, l'espérance: celui qui n'a qu'un seul dieu et qui a foi en ce dieu ajoute foi à la promesse qui a été faite à ses pères, ce n'est que justice car Dieu n'est pas trompeur, il ne fait pas de promesses de dupes, à la différence des hommes.

Épilogue : le Christ

Si nous résumons l'histoire, une fois la Création achevée, don gratuit du Créateur, Adam a péché. Puni, il est chassé du jardin d'Éden et, avec lui, toute l'humanité. Mais ça n'a pas suffi et les hommes ont continué de commettre le mal. Dieu fait alors à son peuple élu le don gratuit de la Loi, afin qu'il brille par sa justice devant les nations. La Loi était à peine donnée que les Hébreux se sont détournés du juste. Dieu est patient, il leur donne des juges puis des rois pour les aider à être enfin justes et à se tourner vers Lui. Peine perdue, même les rois sont pervertis. Dieu est bon, Il est tout Amour, Il veut sanctifier les hommes. Il fait encore plus: Il donne aux hommes un juge inouï, un juge qui ne faillit pas et qui juge de façon étonnante, Il donne Son Fils unique aux hommes, pour qu'Il se charge de tous leurs péchés et les porte, Lui qui est sans péché, sur l'arbre de la Croix. Puisque les hommes ne peuvent pas par eux-mêmes être justes, le Christ les transfigure et les rend justes. C'est en ce sens que sont renouvelées les dimensions de la foi et de l'espérance qui sont comprises dans la justice: le juste a foi en Dieu qui le sauve, il a donc foi dans le Christ et, ce faisant, il rend justice à sa propre injustice, il reconnaît d'une part qu'il est juste qu'il soit traité comme un injuste et d'autre part que la miséricorde de Dieu est telle qu'il peut toutefois être justifié, grâce à Dieu. L'homme sait qu'il est injuste et qu'il n'a pas droit au Salut, mais ayant foi dans le Ressuscité, il espère en la Miséricorde infinie du Père. Par sa foi et par son espérance, il se laisse transfigurer par le Christ et peut alors devenir tout brûlant de charité.

P.S.


Index du numéro.