Rencontre avec saint Just et saint Louis
Sylvain Perrot
Infatigable, notre
reporter, en mission spéciale en Autriche, a quand même pu rencontrer deux
saints qui s'y connaissent en matière de justice. Le premier ne jouit que
d'une vénération bien limitée, même s'il est remarquablement mis à
l'honneur dans la commune de Danjoutin
1, où votre
serviteur a reçu le premier sacrement... L'autre est un peu plus célèbre,
pour avoir été roi de France: saint Louis, ex Louis IX.
— Sénevé : Vos Saintetés, merci d'avoir accepté de répondre aux questions
de notre journal.
— Saint Just : Merci à vous, c'est un honneur d'être interviewés dans
cette publication... Elle est lue en haut lieu !
2
— S : Ma première question sera simple: comment peut-on être juste?
— L : À vrai dire, il est donné à peu de gens de naître juste... Mon
voisin a eu cette chance (rires) ! Mais le sujet mérite tout notre
sérieux. C'est ma vie tout entière qui m'a valu cette renommée de
justice.
— S : Oui, on vous imagine souvent en train de rendre la justice sous un
chêne. Comme dit le proverbe, il y a rarement de la fumée sans
feu. Pourquoi a-t-on retenu cette image de votre règne ?

Saint Louis sous son chêne
— L : Disons que c'est une image d'Épinal... Vous la devez en fait à mon
biographe et ami, Joinville. C'est lui qui m'a dépeint rendant la
justice sous un chêne près de mon château de Vincennes.
— S : Mais pourquoi vous représenter juste plutôt que glorieux ou pieux?
— L : Parce que c'est à l'image de la vie que j'ai toujours voulu
mener. Je n'ai pas été un grand conquérant, même si j'aurais voulu
reprendre Jérusalem
3... Quant à la piété, il ne
me semble pas que justice et piété se contredisent, bien au
contraire. C'est ma profonde foi en Dieu qui m'a toujours incité à être
le plus juste possible.
— S : Oui, vous êtes connu pour avoir fait construire plusieurs
monastères, et surtout la Sainte Chapelle à Paris, qui accueille
aujourd'hui encore des morceaux de la couronne d'épines. Un vrai
chef-d'oeuvre architectural, cette châsse de lumière! Vous avez donc
pratiqué la justice pour ressembler au Christ?
— L : Oui, et c'est aussi pour cette raison que j'ai toujours encouragé
les frères mendiants dans leur volonté de suivre les pas du Christ.
— S : À ce propos, nous avons un invité surprise dans cette sacrée
soirée
4.
* musique de circonstance *
— S : Bienvenue à vous, Monsieur...
— L'invité : Rutebeuf, qui se dit de rude et de boeuf. Je suis jongleur
de profession.
— S : Artiste de cirque?
— R : Bien sûr que non! Je suis, enfin j'étais, poète à la cour de ce roi
impie!
— S : Pardon?
— R : Ce mauvais roi s'est en effet montré injuste envers ma profession :
il nous a fermé les portes de son palais, il nous a mis à la rue, tout
ça pour donner de l'argent à ces profiteurs de Franciscains et
Dominicains!!! Il a préféré s'occuper de misérables petits profs venus
de la banlieue de l'Europe plutôt que du grand Guillaume de Saint-Amour,
impérissable pour ses grands écrits théologiques... Vous ne trouvez pas
ça injuste?
— L : Il ne me semble pas que j'aie fait le mauvais choix Les petits
profs dont vous parlez, c'est quand même saint Thomas d'Aquin et saint
Bonaventure: je préférais avoir à ma table ces grands théologiens, dont
les écrits ont montré la grande intelligence des choses divines; on ne
peut pas passer son temps à s'amuser à des jeux de mots, un peu lourds à
la longue... Quant à votre ami Guillaume, il n'est pas aussi
impérissable que vous le dites...
Rutebeuf s'en va furieux...
— S : (se tournant vers saint Just): on ne vous a pas encore beaucoup
entendu. Qu'est-ce qu'être juste selon vous?
— J : En fait je n'ai pas mené une vie aussi trépidante que Louis. Je n'ai
pas vraiment marqué l'histoire: elle aura retenu de moi que j'étais
archevêque de Lyon au
ivième siècle.
— S : Mais si nous vous connaissons sous ce nom, Justus, c'est sans doute
que vous l'étiez !
— J : Oui, bien sûr, mais je ne suis pas le seul dans ce cas: saints
Justin et Justinien, mais aussi Justine portent cette racine dans leur
prénom. Mais je crois que tous les saints peuvent mériter ce titre de
juste, au-delà du prénom. C'est juste parce que nous avons consacré
notre vie à la justice transmise par le Christ. Mais parfois le prénom
révèle bien la personnalité: ce n'est pas un hasard si Justinien s'est
senti obligé de faire du droit et de pondre un code qui est resté dans
l'histoire!
— S : Il ne me reste plus qu'à vous remercier tous les deux et à vous
demander de prier le Seigneur pour nous aider dans la voie de la justice!
— Les deux : Cela est juste et bon...
S.P.