Dans le ruisseau
Pierre Guy
Cet après-midi, je suis assis au soleil sur le bord d'un cours
d'eau. Je rêve et je reviens en arrière. La vie est apparue dans l'eau.
Tiens ! Nous aussi avons grandi dans l'eau avant de naître. Sommes-nous
maintenant en surface ? Pas si sûr... et si nous étions encore dans un
ruisseau ? Le Pape ne parle-t-il pas par bulles ?
Au commencement, l'eau claire et limpide est bercée d'une douce
lumière. Bien sûr, il y a parfois des tourbillons, mais ce sont surtout
les hommes qui, s'agitant en tous sens, troublent l'eau.
Sous l'eau, c'est parfois difficile d'imaginer qu'il y ait une
surface, et derrière la surface, un monde si nouveau, et le soleil vu de
face et sans filtre. Pourtant, c'est limpide, c'est vrai. Il y a eu cet
être profondément différent, si léger. Il nageait au-dessus des hommes,
voulant leur apprendre à s'élever par la grâce. Beaucoup n'ont pas
compris, alors ils l'ont cloué. Mais bientôt les eaux se sont ouvertes sur
lui, une lumière immense d'en haut est venue, illuminant le fond de l'eau
un instant. Il est monté dans la lumière... Il nous a envoyé son Esprit,
et l'eau est devenue la vie.
Comment donc s'élever ? Il faut nous aussi être légers ! Donner,
se laisser emporter ! Le pécheur, c'est celui qui prend quelque chose dans
l'eau au lieu de donner. Si l'on est trop lourd, comment monter ? Il faut
aussi cesser de s'agiter inutilement... cela crée des remous ! Certains se
donnent tellement qu'ils parviennent à nager juste sous la surface... il
n'y a presque plus rien entre eux et Dieu. Et lorsqu'ils meurent, Il n'a
qu'à se baisser un petit peu pour les recueillir au creux de ses mains.
C'est plus difficile d'aller chercher les hommes au fond de l'eau. Ils
peuvent se dissoudre rapidement...
Je sens toujours près de nous Marie, je la vois baignant Jésus
dans l'eau du ruisseau avec amour. Je vois aussi ses bras de mère
attendrie pour chacun de nous, prête à nous soutenir si nous voulons
sortir de l'eau ou simplement si l'eau est trop chaude. La plus patiente
et la plus douce des mères...
Le baptême nous dit tout cela : nous sommes sous l'eau, et il faut
tendre vers l'air libre. Emergeons ! Au-delà de la surface, il y a la
vraie profondeur et la vraie lumière, Dieu. Je suis dans une église comme
un poisson dans l'eau. Elle me donne des nageoires pour m'élever ; mais
surtout, ses vitraux de toutes les couleurs me laissent entrevoir la vraie
lumière.
Cet après-midi, les âmes du ciel sont assises au soleil sur le
bord du cours d'eau, et nous regardent.
Pourquoi ne pas dire alors avec humour:
Notre Père,
Qui es sur Terre,
Que ton nom soit sanctifié,
Que ton règne vienne,
Que ta volonté soit faite sous les eaux comme en Haut ;
Donne-nous aujourd'hui nos poissons de ce jour,
Pardonne-nous nos remous, comme nous pardonnons aussi, à ceux qui font des tourbillons,
Et ne nous soumets pas à la tentation,
Mais délivre-nous des crabes.
Angoulême, 3/09/01
Palaiseau, 18/10/01
P.G.