Que ta volonté soit faite...
Nathalie Ray
Devant le thème de ce Sénevé, j'ai eu l'idée de choisir une phrase du
Notre-Père et de la méditer... Et puis je suis tombée (par hasard ?) à
la Procure sur le livre de Jacques Fesh «Dans 5 heures, je verrai
Jésus 1» dont j'avais beaucoup entendu parler. Et là... le «que
ta volonté soit faite» transparaissait à chaque ligne ! Je vous
livre donc ma méditation sur le sujet, à l'aide de ce livre que je
vous conseille fortement... au coeur de notre prison quotidienne.
Mais que je vous présente d'abord Jacques Fesch. Il est un condamné à
mort pour vol prémédité et meurtre non prémédité, guillotiné en 1957 à
l'âge de 27 ans, après quatre ans d'incarcération à la prison de la
Santé. C'est là qu'il a rencontré Dieu, grâce à son avocat et grâce à
Dieu Lui-même ! C'est une conversion fulgurante : «C'est alors
qu'un cri jaillit de ma poitrine, un appel au secours : «Mon
Dieu ! »et instantanément, comme un vent violent qui passe
sans qu'on sache d'où il vient, l'esprit du Seigneur me prit à
la gorge. [...] A partir de ce moment-là, j'ai cru, avec une
conviction inébranlable qui ne m'a pas quitté
depuis.2» «Dans 5 heures je verrai
Jésus» nous livre le testament qu'il a rédigé durant les
deux derniers mois de sa vie sous la forme d'un journal pour sa fille
Véronique, âgée alors de six ans. Pour qu'elle connaisse la vie
de son père et surtout son combat pour se purifier et essayer
d'être digne de rencontrer Jésus face à face.
Que ta volonté soit faite... Cela signifie, au premier abord,
laisser Dieu agir à sa guise dans notre vie et donc accepter que
tout ce qui va nous arriver sera son bon vouloir. Pour Jacques, son
avenir est tout tracé : c'est la guillotine. Ce qui signifie
purement et simplement que Dieu désire non seulement sa mort, mais
une agonie lucide ! Comment accepter
cela ? Et pourtant, il y réussi merveilleusement bien : à aucun
moment il ne se révolte contre ce qui lui arrive. «Il ne
m'appartient pas de discuter cet arrêt mais seulement de me
soumettre de tout mon coeur à la volonté de
Dieu.3» Tout cela peut paraître évidemment
barbare... mais Dieu n'est pas seulement un Dieu de justice, il est
aussi et surtout le Dieu d'Amour et de Miséricorde que nous
révèle l'Evangile. Il faut donc aller plus loin et voir dans tout
ce qui nous arrive (et nous ne sommes pas condamnés à
l'échafaud...) l'amour de Dieu pour nous, la grâce qu'il nous fait
: Jacques voit en la prison sa conversion et en sa condamnation la
grâce d'offrir sa mort et de pouvoir la préparer, non pas en toute
sérénité, loin de là car il ne se sent jamais prêt, mais en
toute lucidité. «Je comprends que tout ce qui est arrivé
et que j'appelais un horrible coup du sort, procède de la bonté
divine... «Je ne veux pas la mort de l'impie, mais qu'il se
détourne de ses voies et qu'il vive»... mais que de drames
pour en arriver là !4» Il ne faut donc pas
seulement accepter ce qui nous arrive de bon ou de mauvais (à nos
yeux) mais aussi le considérer comme un bien, une grâce de Dieu et
en remercier le Seigneur ! «C'est pourquoi tu ne dois pas
accepter ton châtiment comme une dette qu'on rembourse, mais tu
dois croire que par ce châtiment, c'est Dieu, l'infini de son
amour, qui se donne à toi.5»
De quoi essayer de relire toute sa vie sous un autre regard...
On est loin de la soumission passive à un Dieu janséniste, juste et
lointain, mais on est dans la confiance absolue en l'Enfant de la
crèche, en Christ mort par Amour sur la croix. Confiance ! Il n'y a
que cette confiance en Dieu qui puisse expliquer le courage et la
volonté de Jacques : «Il faut avoir confiance, se dire
qu'il est préférable qu'il en soit ainsi, même si nous pensons
le contraire.6» Et cette confiance permet
l'abandon total, qui est celui de Jacques («Jésus fait tout
de moi et moi je le laisse faire, même s'il me fait un peu
mal.7»), de Thérèse de Lisieux («Aimer, c'est tout donner et se donner soi-même.») et de
Jésus sur la croix («Entre tes mains, je remets mon
esprit.»).
Cependant, la confiance en Dieu est si facile à perdre... En lisant
ce livre, on se demande comment Jacques a tenu jusqu'au bout, avec un
parcours certes en montagnes russes quand il s'agit du moral, mais au
beau fixe quand il s'agit de l'abandon et de la confiance. D'un point de
vue simplement humain, c'est impossible ! Dieu nous accorde-t-il donc
la grâce d'avoir confiance en Lui ? Le «Tout est
grâce» de Bernanos signifierait-il donc que tout nous est
donné par la grâce, que rien ne vient de nous seuls ? C'est la
Petite Voie de Thérèse. Mais je diverge... vers un ancien
Sénevé !
Tout cela est très beau théoriquement, mais dans la pratique ?
Comment faire confiance, toujours confiance, en un Dieu qui permet
toutes sortes de choses horribles (je vous épargnerai le listing...)
? Et non seulement faire confiance, ne pas se rebeller, mais croire
que tout cela fait partie du «plan de Dieu» ?
Si Dieu existait, il ne permettrait pas tout cela... refrain bien connu
auquel nous avons, en tant que chrétiens, l'habitude de répondre
que le mal ne vient pas de Dieu, mais de la liberté des hommes. Ce
qui me convenait très bien jusque là... mais comment
«caser» la volonté de Dieu dans tout ça ? Dieu aurait-il une
volonté concernant notre propre vie, mais pas en ce qui concerne
l'humanité et le mal en général ? Je n'ai pas trouvé de
réponse satisfaisante à cela... seulement une piste : Dieu ne fait
pas supporter à chacun plus qu'il ne le peut et il lui donne sa
grâce et sa force pour cela. Reste à comprendre la volonté de Dieu dans
la souffrance des autres... Notre intelligence n'est pas encore capable de
comprendre le sens de la souffrance des innocents et se rebelle.
Une autre approche, au lieu de se demander si le mal qui est dans le
monde est la volonté de Dieu (ce qui me paraît tout de même
être une hérésie...) est de rechercher quelle est la volonté
de Dieu. Pour cela, rien de mieux que l'Evangile et Jésus qui nous
dit : «C'est la volonté de celui qui m'a envoyé que je ne
perde rien de tout ce qu'il m'a donné, mais que je le ressuscite
au dernier jour.8» La volonté de Dieu est
donc «que tous les hommes soient sauvés et parviennent à
la connaissance de la vérité9» qu'est le
Christ : n'est-ce-pas là une preuve que la volonté de Dieu est une
volonté d'Amour, puisqu'il veut tous ses enfants avec lui, dans son
royaume, pour l'éternité ? Quitte à ce que certains aient besoin
de passer par le mal et la souffrance... «A certains, il est
donné une vie paisible et heureuse parce qu'ils ont su se
préserver de la pourriture et du péché. Et Dieu, qui aime
répandre avec profusion ses largesses, leur prodigue nombre de
satisfactions terrestres, parce qu'ils en feront bon usage. Aux
autres, ces mêmes largesses seraient cause de leur mort
spirituelle et s'il existe dans une âme, même totalement
corrompue, encore une petite lueur d'amour, à cause d'elle le
Seigneur la sauvera en lui donnant les moyens de recevoir la
plénitude de la vie.10»
La volonté de Dieu
est donc de nous sauver... mais il faut, pour être sauvé, faire la
volonté de Dieu ! «Ce n'est pas en me disant Seigneur,
Seigneur, qu'on entrera dans le royaume des cieux, mais c'est en
faisant la volonté de mon Père qui est dans les
cieux.11» Le même passage dans Luc nous dit
«Pourquoi m'appelez-vous Seigneur, Seigneur et ne faites vous
pas ce que je vous dis ?12» La volonté de
Dieu est donc que nous obéissions aux commandements du Christ et
plus particulièrement à son «Aimez-vous les uns les autres
comme je vous ai aimés». Que votre volonté soit faite... ce
n'est donc pas seulement l'acceptation plus ou moins passive de ce qui
nous arrive, mais également une ligne de conduite à tenir : il
faut que nos actes, notre volonté s'accordent à la volonté de
Dieu. C'est un engagement, rude évidemment, surtout qu'il s'agit de
le tenir toujours et partout. «Il n'y a jamais eu encore une
telle lutte en moi, d'une part le souhait permanent de vivre selon
la volonté divine, et d'autre part les tentations et les
révoltes exacerbées par trois ans de cellule. L'ange et la
bête !13», nous confie Jacques. Que de fois
n'avons-nous pas envie d'abandonner cette lutte, qui semble trop
difficile et jamais gagnée ?
Et pourtant, elle en vaut le coup ! Dieu ``récompense'' ceux qui lui
font toujours confiance et qui font sa volonté. «Parce que
j'accepte de tout coeur cette volonté du Père, je reçois joies
sur joies. [...] Celui qui s'abandonne ainsi, ce n'est plus un coeur de chair qu'il a dans la poitrine, mais un globe de
feu.14» Dieu n'abandonne pas ceux qui se jettent
éperdument dans ses bras, même au milieu des plus grandes
épreuves, et leur accorde des grâces d'autant plus grandes que leur
épreuve est difficile à traverser : «Je me dirige vers ma
mort, l'accepte, l'offre et Dieu dans sa bonté me montre sa
satisfaction.15» Faire la volonté de Dieu nous
fait également entrer dans la grande famille de Jésus : «Car quiconque fait la volonté de mon Père qui est aux cieux,
celui-là m'est un frère et une soeur et une
mère.16» Et en faisant partie de cette
grande famille, de la Communion des Saints, nous pouvons intercéder
auprès de Dieu pour les êtres qui nous sont chers et pour tous les
hommes : «Nous savons que Dieu n'écoute pas les pécheurs,
mais si quelqu'un est religieux et fait sa volonté, celui-là il
l'écoute.17» Est-ce un hasard si, cinq jours
avant la mort de Jacques, sa femme Pierrette communie pour la
première fois depuis dix ans ? si quelques co-détenus se sont
convertis ? Jacques, comme Thérèse et sa pluie de roses, promet de
veiller sur sa fille, sur les personnes de sa famille et, n'en doutons
pas même s'il n'en parle pas, sur ses compagnons de détention,
d'hier et d'aujourd'hui.
La confiance et l'amour de Jacques pour son Dieu resteront intacts
jusqu'au bout... même si la dernière nuit est loin d'être facile
! Et pourtant... «Mon avocat vient de venir m'avertir que
l'exécution aurait lieu demain, vers les 4h du matin. Que la
volonté du Seigneur soit faite en toute chose ! J'ai confiance en
l'amour de Jésus et je sais qu'il commandera à ses anges de me
porter dans leurs mains.18» «Je crois
que je vais arrêter ce journal là où il en est, vu que
j'entends des bruits inquiétants. Pourvu que je tienne le
coup. Sainte Vierge, à moi ! Adieu à tous et que le Seigneur vous
bénisse.19»
N.R.