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La vocation à l'amour

d'après Lumen Gentium et Gaudium et Spes

A. V.









Le concile Vatican II, et en particulier les constitutions Lumen Gentium et Gaudium et Spes, nous offre une série de pistes qui peuvent nous aider à éclairer le rôle important de la vocation dans nos vies. Dans le concile Vatican II il existe une perspective christocentrique qui est aussi présente dans la vocation chrétienne : le Christ doit être le centre de la vie de l'homme et la vocation de chacun s'accomplira dans la mesure où celui-ci s'incorpore au mystère du Christ.

La constitution dogmatique sur l'Église, Lumen Gentium (LG), dont le nom provient du fait que le Christ est «la Lumière des nations», fut promulguée en novembre 1964 et eut pour but de faire connaître avec plus de précision aux fidèles et au monde entier la nature de l'Église et sa mission universelle (LG 1).



Dans ce document nous pouvons trouver divers passages qui se réfèrent à l'élection par laquelle Dieu a choisi Ses disciples avant même la création du monde, les a prédestinés à être Ses enfants adoptifs (LG 3, Ep 1, 4--5 et 10) et les a chargés de différentes missions. Il y a un trait commun qui incombe à chacun des disciples du Christ: la charge de jeter la semence de la foi (LG 17). Cela signifie qu'après avoir été régénérés pour devenir enfants de Dieu, ils sont tenus de professer publiquement la foi qu'ils ont reçue de Dieu par l'Église (LG 11). Ceci s'applique aussi aux laïcs, qui doivent être, à la face du monde, des témoins de la résurrection et de la vie du Seigneur Jésus, «un signe du Dieu vivant» (LG 38) ; et encore plus : «Tous doivent être prêts à confesser le Christ devant les hommes et à le suivre sur le chemin de la croix, dans les persécutions qui ne manquent jamais à l'Église»(LG 42).

Mais, comme nous le disions, toute vocation s'insère dans une perspective christocentrique, car les chrétiens ont été constitués corps mystique du Christ : «Le Fils de Dieu (...) a racheté l'homme et l'a transformé pour en faire une nouvelle créature. Car en communiquant son Esprit, il a mystiquement établi ses frères, appelés d'entre toutes les nations, comme son propre corps» (LG 7). Même si dans ce «corps» il y a une diversité des membres et des fonctions, tous les membres doivent tendre à lui ressembler, jusqu'à ce que le Christ soit formé en eux (LG 7) et constituer, pour ainsi dire, d'autres Christs.

Les différents membres et fonctions peuvent se trouver aussi bien chez les fidèles revêtus d'un ordre sacré, qui sont établis au nom du Christ pour paître l'Église par la parole et la grâce de Dieu; que chez les époux chrétiens, en vertu du sacrement de mariage par lequel ils expriment, en y participant, le mystère d'unité et d'amour fécond entre le Christ et l'Église (Ep 5, 32), et s'aident réciproquement pour parvenir à la sainteté dans la vie conjugale comme dans l'acceptation et l'éducation des enfants (LG 11).



Quels que soient leur état et leur condition, les fidèles sont appelés par le Seigneur, chacun en suivant sa voie personnelle, à la perfection du bonheur complet et à la sainteté : «Tous les membres de l'Église, tant ceux qui appartiennent à la hiérarchie que ceux qui sont dirigés par elle, sont appelés à la sainteté» (LG 39). Et encore : «Tous les fidèles donc sont invités --- et même tenus --- à rechercher la sainteté et la perfection de leur état» (LG 42).

Tous les chrétiens pourront se sanctifier de jour en jour dans leur condition... à condition de tout recevoir avec foi de la main de Dieu et de coopérer avec la volonté divine, en manifestant à tous, même avec l'accomplissement de leur tâche temporelle, la charité dont Dieu a aimé le monde (LG 41). Ils ne doivent pas attribuer leur condition privilégiée à leurs propres mérites, mais à une grâce spéciale du Christ; et ils doivent se rappeler que s'ils n'y correspondent pas dans leurs pensées, leurs paroles et leurs actes, bien loin d'être sauvés, ils seront jugés plus sévèrement (LG 14).



La vocation universelle à la sainteté dans l'Église, à laquelle tous les hommes sont appelés (LG 13), peut être accomplie par différentes voies: l'une est celle de ceux auxquels Dieu accorde la grâce de se consacrer à Lui seul par la virginité ou le célibat, avec un coeur plus facilement intègre (1 Cor 7, 32--34). Cette parfaite continence en vue du Royaume des cieux, l'Église la considère comme un signe et un stimulant de la charité et comme «une source peu commune de fécondité spirituelle dans le monde» (LG 42). L'autre est celle qui concerne particulièrement les laïcs, hommes ou femmes, à l'égard de leur état de vie et à leur mission. C'est à eux qu'il revient particulièrement d'illuminer et d'ordonner toutes les choses temporelles auxquelles ils sont étroitement liés, en sorte qu'elles soient toujours accomplies selon le Christ, qu'elles croissent et soient à la louange du Créateur et Rédempteur (LG 31). C'est pourquoi ils ne peuvent pas invoquer une soi-disant autonomie des choses temporelles pour «oublier» à certains moments leur vocation à la sainteté. «De même qu'on doit reconnaître qu'une cité terrestre, aux prises --- et à juste titre --- avec des problèmes terrestres, obéisse à des lois qui lui sont propres, de même faut-il, et au même titre, rejeter la théorie néfaste qui prétend construire la société sans tenir aucun compte de la religion et qui combat ou détruit la liberté religieuse des citoyens» (LG 36). Ainsi, dans toute chose temporelle, les chrétiens doivent se guider d'après la conscience chrétienne, car aucune activité humaine, même dans les choses temporelles, ne peut être soustraite à l'autorité de Dieu. Et encore plus : les laïcs, même lorsqu'ils sont accaparés par des soucis temporels, peuvent et doivent exercer une action importante à l'égard à l'évangélisation du monde (LG 35).

L'importance de la mission des laïcs, toujours en tant que disciples du Christ, est aussi soulignée par la «constitution pastorale sur l'Église dans le monde de ce temps» ---Gaudium et Spes (GS) --- qui, publiée en décembre 1965, commence avec une phrase d'ores et déjà connue : «Les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et il n'est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur coeur»(GS 1).



Le monde actuel, tel que le définit le Concile, est plein de contradictions, comme on peut le constater dans le texte suivant: «Jamais le genre humain n'a regorgé de tant de richesses, de tant de possibilités, d'une telle puissance économique; et pourtant une part considérable des habitants du globe sont encore tourmentés par la faim et la misère (...). Jamais les hommes n'ont eu comme aujourd'hui un sens aussi vif de la liberté, mais, au même moment, surgissent de nouvelles formes d'asservissement social et psychique» (GS 4). Ainsi, le monde moderne apparaît à la fois comme «puissant et faible, capable du meilleur et du pire, et le chemin s'ouvre devant lui de la liberté ou de la servitude, du progrès ou de la régression, de la fraternité ou de la haine» (GS 9).

Nous pouvons aussi être témoins d'un fait complètement nouveau dans l'histoire de l'humanité: l'athéisme des masses. Refuser Dieu ou la religion, ne pas s'en soucier, n'est plus, comme en d'autres temps, un fait exceptionnel, lot de quelques individus. Aujourd'hui, en effet, on présente un tel comportement comme une exigence du progrès scientifique ou de quelque «nouvel humanisme»1. Très souvent cette indifférence, ou même cette négation, ne s'exprime pas seulement au niveau philosophique; elle affecte aussi, et très largement, l'interprétation des sciences humaines et de l'histoire, la littérature, l'art et la législation elle-même (GS 7).

Ceci est arrivé à cause d'une fausse conception de liberté et d'autonomie. Souvent l'athéisme moderne pousse le désir d'autonomie humaine à un point tel qu'il fait obstacle à toute dépendance à l'égard de Dieu. Ceux qui professent un athéisme de cette sorte soutiennent que la liberté consiste en ce que l'homme est pour lui-même sa propre fin, le seul artisan et le démiurge de sa propre histoire (GS 20). Ils chérissent la liberté d'une manière qui n'est pas droite comme la licence de faire n'importe quoi, pourvu que cela plaise, même le mal. Pourtant, ce concept de liberté est erroné. Il est vrai qu'il faut estimer grandement la liberté et la poursuivre avec ardeur, car c'est toujours librement que l'homme se tourne vers le bien. Mais la vraie liberté est en l'homme un signe privilégié de l'image divine. Car Dieu a voulu le laisser à son propre conseil pour qu'il puisse de lui-même chercher son Créateur et, en adhérant librement à Lui, s'achever ainsi dans une bienheureuse plénitude (GS 17).

Ils pensent, en autre, que l' «autonomie du temporel» veut dire que les choses créées ne dépendent pas de Dieu, et que l'homme peut en disposer sans référence au Créateur. Mais ils ne voient pas que la créature sans Créateur s'évanouit --- du reste, tous les croyants, appartenant à n'importe quelle religion, ont toujours entendu la voix de Dieu, et sa manifestation, dans le langage des créatures ; «l'oubli de Dieu rend opaque la créature elle-même» (GS 36). La vraie autonomie des réalités terrestres consiste en ce que les choses créées et les sociétés elles-mêmes ont leurs lois et leurs valeurs propres, que l'homme doit peu à peu apprendre à connaître, à utiliser et à organiser. Une telle exigence d'autonomie est pleinement légitime et elle correspond à la volonté du Créateur. Néanmoins, la recherche méthodique, dans tous les domaines du savoir, si elle est menée d'une manière vraiment scientifique --- et vraiment autonome... --- et si elle suit les normes de la morale naturelle, ne sera jamais réellement opposée à la foi: les réalités profanes et celles de la foi trouvent leur origine dans le même Dieu (GS 36).



Face au refus de Dieu à un niveau philosophique, dans les sciences humaines et de l'histoire, dans l'art et la littérature et dans la législation même, les chrétiens, par leur compétence dans les disciplines profanes et grâce à leur action, élevée à une valeur surnaturelle par la grâce du Christ, sont appelés à contribuer de toutes leurs forces à «la mise en valeur des biens créés, selon le commandement donné par le Créateur et à la lumière de sa Parole; et cela grâce au travail humain, à la technique et à l'oeuvre civilisatrice, pour l'utilité de tous les hommes sans exception» (LG 36). Les laïcs doivent donc s'efforcer tous ensemble d'assainir les institutions humaines et les conditions de vie, si les moeurs qu'elles comportent entraînent tant soit peu au péché (LG 36). La vocation des laïcs, même si elle est dirigée à la sainteté, est très liée aussi aux occupations «mondaines». L'espérance eschatologique de la vocation chrétienne ne diminue pas l'importance des tâches terrestres, mais en soutient bien plutôt l'accomplissement par de nouveaux motifs (GS 20). L'attente de la nouvelle terre, loin d'affaiblir en nous le souci de cultiver cette terre, doit plutôt le réveiller (GS 39). L'importance du souci du temps présent nous est manifeste aussi dans un texte de la Lumen Gentium : «Les laïcs se montrent fils de la promesse, si, persévérant dans la foi et dans l'espérance, ils mettent à profit le temps présent (Ep 5, 16 ; Col 4, 5) et attendent avec patience la gloire future (Rm 8, 25).» (LG 35).

Pour trouver et pour mener à bien sa très haute vocation, l'homme doit se mettre face au mystère du Christ. C'est en Lui qu'il trouvera sa vocation et par Lui qu'il pourra l'accomplir. «L'Église, quant à elle, croit que le Christ, mort et ressuscité pour tous, offre à l'homme, par Son Esprit, lumière et forces pour lui permettre de répondre à sa très haute vocation. Elle croit qu'il n'est pas sous le ciel d'autre nom donné aux hommes par lequel ils doivent être sauvés. Elle croit aussi que la clef, le centre et la fin de toute histoire humaine se trouvent en son Seigneur et Maître» (GS 10). Le mystère de l'homme ne s'éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe Incarné. Christ, dans la révélation même du mystère du Père et de Son amour, manifeste pleinement l'homme à lui-même et lui découvre la sublimité de sa vocation. «Il n'est donc pas surprenant que les vérités ci-dessus trouvent en lui leur source et atteignent en lui leur point culminant.» (GS 22).

La raison humaine peut découvrir que l'homme, de par sa nature profonde, est un être social : sans relation avec autrui, il ne peut ni vivre ni épanouir ses qualités (GS 12). Mais c'est le Christ qui révèle que Dieu est charité (1 Jn 4, 8) et qui nous enseigne en même temps que la loi fondamentale de la perfection humaine, et donc de la transformation du monde, est le commandement nouveau de l'amour (GS 38). «L'homme, seule créature sur terre que Dieu a voulue pour elle-même, ne peut pleinement se trouver que par le don désintéressé de lui-même» (GS 25, qui reprend lui-même Mulieris Dignitatem 30).



Sur ce point on se retrouve de nouveau avec le destin commun de toute vocation chrétienne: la sainteté. Et quel est le point commun que l'on peut trouver dans toutes les manières d'atteindre cette sainteté, soit dans la vie consacrée soit dans le mariage? Cette question a été résolue par sainte Thérèse de Lisieux, qui avait déjà trois privilèges: sa vocation de carmélite, d'épouse --- du Christ --- et de mère --- des âmes. Mais cela ne lui suffisait pas. Elle sentait aussi les vocations de guerrier, de prêtre, d'apôtre, de docteur, de martyr; ainsi que le besoin et le désir «d'accomplir pour toi Jésus, toutes les oeuvres les plus héroïques» (Histoire d'une âme, ch. 9). Ces désirs la faisaient souffrir, car elle ne savait pas comment elle pouvait les réaliser. «Ah ! malgré ma petitesse, je voudrais éclairer les âmes comme les Prophètes, les Docteurs, j'ai la vocation d'être Apôtre... je voudrais parcourir la terre, prêcher ton nom (...)». Afin de chercher quelque réponse, elle tomba sur le chapitre XII de la première Épître aux Corinthiens, où il est dit que tous ne peuvent être apôtres, prophètes et docteurs, car l'Église est composée de différents membres, et que l'oeil ne saurait être en même temps la main. Mais cette réponse n'a pas donné la paix à sainte Thérèse, qui continua sa lecture : «Recherchez avec ardeur les dons les plus parfaits, mais je vais encore vous montrer une voie plus excellente» (1 Co, 12, 31). À partir de ce passage l'Apôtre explique comment tous les dons les plus parfaits ne sont rien sans l'amour et que la charité est la voie excellente qui conduit à Dieu d'une manière sûre. C'est à ce moment que sainte Thérèse s'exclama :
«Enfin j'avais trouvé le repos... Considérant le corps mystique de l'Église, je ne m'étais reconnue dans aucun des membres décrits par saint Paul, ou plutôt je voulais me reconnaître en tous... La Charité me donna la clef de ma vocation. Je compris que si l'Église avait un corps, composé de différents membres, le plus nécessaire, le plus noble de tous ne lui manquait pas, je compris que l'Église avait un Coeur, et que ce Coeur était brûlant d'amour. J'ai compris que l'Amour seul faisait agir les membres de l'Église, que si l'Amour venait à s'éteindre, les Apôtres n'annonceraient plus l'Évangile, les Martyrs refuseraient de verser leur sang... Je compris que l'amour renfermait toutes les vocations, que l'amour était tout, qu'il embrassait tous les temps et tous les lieux... en un mot, qu'il est éternel !...

Alors, dans l'excès de ma joie délirante, je me suis écriée : Ô Jésus, mon Amour... ma vocation, enfin je l'ai trouvée, ma vocation, c'est l'amour !...

Oui j'ai trouvé ma place dans l'Église et cette place, ô mon Dieu, c'est vous qui me l'avez donnée... dans le Coeur de l'Église, ma Mère, je serai l'Amour... ainsi je serai tout... ainsi mon rêve sera réalisé !!!».
Cette découverte de sainte Thérèse, chaque chrétien peut, d'une certaine manière, la faire sienne. La charité doit lui donner la clef de sa vocation. Il doit comprendre, avec Thérèse, que seul l'amour fait agir les membres de l'Église et que l'Amour renferme toutes les vocations. Cet Amour envers Dieu et envers les hommes est rendu possible parce que le Fils de Dieu a racheté l'homme par Sa mort et Sa résurrection et l'a transformé en une nouvelle créature qui, désormais, par le don désintéressé de soi-même, peut trouver sa véritable vocation, soit à travers le mariage soit à travers la vie consacrée.


Sainte Thérèse de Lisieux

A.V.

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