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Impressions guinéennes

Bruno Kauffmann









Cet été, avec six amis, nous sommes partis en Guinée. Il s'agissait du projet humanitaire de notre équipe compagnon Scouts de France. Nous avions pour principal objectif commun de rencontrer des Guinéens et de dialoguer avec eux. Pour cela, nous avons opté pour la participation à la construction d'un presbytère pour une des rares paroisses chrétiennes du pays. Le chantier nous permettrait d'établir un contact intéressant avec ceux qui y participeraient. Mais principalement, cette paroisse comprenait un groupe scout avec qui les liens pouvaient se révéler des plus enrichissants. L'objectif «missionnaire» n'était pas vraiment développé car notre équipe comprenait des non-pratiquants et des non-croyants.


Le chantier

Je ne raconterai pas ici le séjour dans le détail1, mais me concentrerai sur le côté chrétien, de la cohabitation avec les paroissiens (et leur accueil formidable) à la description de la vie dans la paroisse et leur conception de leur foi.

Dès l'aéroport, nous avons été saisis par l'accueil. Le prêtre était venu nous chercher avec quelques paroissiens et notamment des scouts (un groupe scout se réunit sur la paroisse). Les scouts nous ont salués tout de suite, d'un salut «impeccable», presque militaire. Tous nous ont embrassés, puis nous sommes montés dans les voitures, pendant que certains scouts rentraient à pied, faute de place2. Nous sommes allés chez notre hôte Emmanuel (chef de cabinet du président de l'Assemblée Nationale, excusez du peu) et sa femme Christine. Le conseil paroissial en entier et tous les scouts nous attendaient. Nous nous sommes présentés et avons été présentés à tout le monde, à la lueur des bougies (le courant est bien sûr en mode aléatoire). Le lendemain, le programme a été établi, essentiellement par le père Apollinaire. Les scouts et les jeunes de la paroisse ont récupéré les miettes qu'ils pouvaient mais la paroisse est essentiellement dirigée par les «vieux».

Nous abordons là sans doute une différence fondamentale par rapport à nos communautés. En Guinée, à quatre-vingt-dix pour cent musulmane3, il n'y a évidemment aucun soutien public à l'Église, pas plus que de soutien étranger majeur. Tout est donc quasimment entièrement auto-financé par les fidèles. En combinant ceci à une très forte pauvreté qui fait que la majorité n'a pas les moyens de joindre les deux bouts, la quasi totalité des coûts est supportée par ceux qui ont les moyens. Ces «personnes ressource4», une quinzaine environ dans notre cas, ont donc un pouvoir immense dans la paroisse. Ce sont elles qui «entretiennent» le curé, financent la construction de l'église et du presbytère, ou plus simplement, sont au conseil paroissial et décident des actions de la paroisse. Il s'agit évidemment de personne d'au moins 40 ans5, qui ne voient pas toujours les idées des jeunes d'un bon oeil. Et ces derniers sont vraiment dépendants d'eux et acceptent donc sans trop broncher toutes les remarques et réorientations de projets6. Ceci dit, les «personnes ressource» comme les scouts étaient tous là pour nous recevoir, et ont vraiment donné du temps pour s'occuper de nous. Et nous avons apprécié les échanges avec les deux groupes.

Sans doute dû à la culture guinéenne, et accentué par le sentiment d'être en minorité, la communauté forme aussi une véritable famille. Il y avait continuellement du monde chez Emmanuel et Christine7. Ils y étaient toujours bien reçus et y mangeaient souvent. Nous avons également été sans cesse invités à venir chez les gens, plus ou moins loin, plus ou moins longtemps. Ceux qui n'étaient pas sur le programme originel ont tout fait pour se faire rajouter dans les rares trous. Nous avons aussi été reçus par le directeur et le gestionnaire d'une des principales usine de Guinée, au Nord du pays, qui produit des millions de tonnes de bauxites de Guinée. Il leur a été naturel de nous faire visiter eux-mêmes l'usine, après leur journée de travail. Pourtant, nous n'étions que de passage dans la région et ne les avons guère vus qu'à cette occasion.

Dans le même esprit, nous avons participé à des dîners dans les CCB (communauté chrétienne de base). Une CCB fait à peu près la taille d'une de nos paroisses en nombre de fidèles (actifs). En superficie, je vous laisse imaginer... C'est dans le cadre des CCB qu'ont lieu beaucoup d'activités comme le catéchisme ou des prières régulières. Elles sont gérées par un conseil indépendant dont le président fait en général partie du conseil paroissial. Au lieu de fusionner les différentes paroisses en communautés paroissiales avec un seul prêtre, ils ont créé de grandes paroisses, gérées par un seul curé, mais divisées en secteurs qui sont pris en charge par des laïcs. Je n'ai pas eu l'impression d'un nombre de prêtres par fidèle supérieur mais le curé, bien que n'habitant pas le quartier (faute de presbytère), connaissait remarquablement bien ses fidèles.

Au nombre des moments festifs ont figuré les trois célébrations. Le nombre de fidèles était impressionnant, et pourtant, il n'y en avait qu'un dixième environ. Nous étions en pleine saison des pluies, il n'y a aucun toit ou abri et le sol est en terre battue. De plus, il s'agissait des vacances scolaires et une bonne partie des jeunes était rentrée dans son village d'origine, pour la plupart en forêt8. Mais les «survivants» étaient largement assez nombreux pour célébrer des messes exceptionnelles. La liturgie était des plus classiques mais de nombreux chants et une manière différente de la vivre la rendait étonnament vivante. La chorale, avec ses choeurs de basses véritablement impressionants et ses filles qui donnent en groupe l'impression de chanter comme des grands-mères, rythmait une bonne partie de la messe. Le prêtre, en général, s'adressait aux fidèles dans les sermons9 en s'appuyant sur les coutumes diverses ou en leur demandant d'expliquer le texte. Lors de l'Assomption, pour commenter la Visitation, il a demandé à une personne par ethnie d'expliquer comment cela se passe chez eux quand une femme se lie d'amitié avec une autre10. C'était très intéressant tant que nous n'avons pas eu à expliquer comment cela se passe en France avec les filles (nous étions six garçons). À la fin de la messe, il y a souvent des annonces importantes : la somme récoltée par les quêtes ou quêtes spéciales pour la construction du presbytère, une annonce du conseil paroissial ou une exhortation de notre hôte (poids lourd du conseil paroissial) à donner plus et ordonnant à chacun de donner au moins une somme fixée avant le mois d'octobre (lui, en même temps, donne vraiment beaucoup à la paroisse). Nous nous sommes ainsi présentés trois fois, sous les applaudissements11. Le tout prend deux bonnes heures, sauf fête spéciale. Heureusement que le soleil ne tappait pas trop...


Le lieu de la messe

Globalement, nous avons été reçus de manière extraordinnaire. Les paroissiens s'intéressaient véritablement à nous (on a juste eu un léger différend avec une partie du groupe scout, qui visiblement trouvait qu'on ne donnait pas assez d'argent. Mais pour les autres, l'argent n'a jamais été une question, et le curé ne nous a jamais demandé d'augmenter notre participation, bien que nous ayons dès le début divisé par dix ses attentes (irréalisables). Les échanges ont été très très enrichissants. Nous avons découvert une autre culture, mais aussi une autre façon de vivre sa foi qui, à mon sens, comble un manque que certains ressentent dans la «spiritualité» occidentale.
B. K.

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