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La Parole de Dieu et les Prophètes

dans la Bible et dans l'Islam

Nathalie Ray

Dans le jardin d'Éden, Yahvé parlait directement à Adam et Ève. Cependant leur péché les a éloignés de lui et, depuis lors, Dieu cherche à parler aux hommes mais ceux-ci ne l'écoutent pas. Il a donc «voulu se révéler à nous en se servant de la parole des hommes 1» par les prophètes puis par son propre Fils : «Après avoir, à maintes reprises et sous maintes formes, parlé jadis aux Pères par les prophètes, Dieu, en ces jours qui sont les derniers, nous a parlé par le Fils 2.» La Révélation passe ainsi en partie à travers les paroles, les gestes et la présence de ces hommes. Leur parole d'homme est transformée de l'intérieur par le souffle de l'Esprit et acquiert une profondeur nouvelle, divine, elle devient chemin vers le mystère de Dieu, enseignement de Dieu sur lui-même et non plus seulement partage d'expériences et de points de vue individuels.

Dans une première partie, nous tenterons d'aborder l'attitude des prophètes bibliques face à la Parole reçue de Dieu et face au peuple à qui ils doivent la transmettre ; dans une seconde partie, l'accent sera mis sur la personne du Prophète Mohammed et la Parole de Dieu perçue par les musulmans dans le Coran 3.

La Parole de Dieu et les Prophètes bibliques

La plupart des prophètes ont été désignés directement par Dieu: choisis avant leur naissance comme Jérémie («Avant même de te former au ventre maternel, je t'ai connu, avant même que tu sois sorti du sein, je t'ai consacré ; comme prophète des nations, je t'ai établi 4»), pendant leur enfance, comme Samuel 5 ; ou à l'âge adulte, comme Ézéchiel («Fils d'homme, tiens-toi debout, je vais te parler [...] je t'envoie vers les Israëlites 6»). D'autres sont appelés par un ange, comme Daniel qui reçut une vision de Gabriel lui disant : «Daniel, homme des prédilections, comprends les paroles que je vais te dire ; lève-toi, me voici, envoyé à toi 7.» Certains enfin sont choisis sur ordre divin par d'autres prophètes comme successeurs, tel Élisée par Élie 8. La manière dont certains personnages bibliques ont reçu leur vocation de prophète est donc variable, mais ils ont été choisis explicitement par Dieu, qui les appelle par leur nom. Seul Isaïe s'est lui-même désigné comme prophète de Yahvé auprès de son peuple: «Me voici, envoie-moi 9

Les prophètes sont choisis par Dieu pour transmettre aux hommes un message. Ces messages varient dans leur forme comme dans leur contenu.

Dans leur forme d'abord : certains prophètes ont reçu des visions, qu'ils décrivent ensuite au peuple ou à certaines personnes en particulier, ou qu'ils écrivent eux-mêmes, tel Daniel dont les visions sont accompagnées de souffrances physiques intolérables. D'autres répètent ce que Yahvé ou un ange leur a dit : «Je vais t'annoncer ce qui est écrit dans le livre de Vérité 10.» D'autres enfin laissent Dieu parler à son peuple par leur bouche : «Je ferai coller ta langue à ton palais, tu seras muet [...] et lorsque je parlerai, je t'ouvrirai la bouche 11

Dans leur contenu : Dieu prépare son peuple à la venue du Verbe par une première alliance conclue avec Abraham («Je ferai de toi un grand peuple, je te bénirai, je magnifierai ton nom, sois une bénédiction 12»), par le renouvellement de cette alliance avec le peuple d'Israël : «Je vous tiendrai pour mon bien propre parmi tous les peuples, car toute la terre est à moi 13.» Les prophètes sont alors chargés par Dieu de dénoncer la trahison de son peuple infidèle («Malheur ! nation pécheresse ! peuple coupable ! race de malfaiteurs ! fils pervertis ! Ils ont abandonné Yahvé, ils ont méprisé le Saint d'Israël, ils se sont détournés de lui 14») mais aussi de rappeler encore et toujours l'amour gratuit, infini et miséricordieux de leur Dieu : «Ne crains pas, car je t'ai racheté, je t'ai appelé par ton nom : tu es à moi [...] car tu comptes beaucoup à mes yeux, tu as du prix et je t'aime 15.» Ils annoncent également la Nouvelle Alliance 16 et la venue du Verbe de Dieu parmi les hommes, qui leur dévoilera le visage du Père et leur expliquera les Écritures.

Les prophètes sont donc des hommes qui ne parlent ni par eux-mêmes ni pour eux-mêmes, mais qui ont été choisis pour être la voix d'un autre, pour transmettre le point de vue d'un autre. D'un Autre qui est Dieu. Leur rôle n'est donc évidemment pas de révéler l'avenir, mais de dévoiler Dieu ; les prophéties, au sens commun du terme, celles qui annoncent des événements proches ou lointains, ne sont là que pour renforcer la véracité du message transmis aux hommes. Une prédiction réalisée différencie le vrai du faux prophète de Dieu, mais ce n'est qu'un encouragement à écouter la Parole. Comme le dit André Neher, «ce que dévoilent la vision et les paroles des prophètes, ce n'est pas l'avenir, c'est l'absolu. La prophétie répond à la nostalgie d'une connaissance, mais non de la connaissance du lendemain, de celle de Dieu 17

Mais la mission de prophète n'est pas de tout repos ! La Parole de Dieu n'est pas à sa mesure, il est fait pour la recevoir et la transmettre et non pour la refaire à sa guise. Même si le message ne lui paraît pas adapté aux circonstances («Malheur à moi, ma mère, car tu m'as enfanté homme de querelle et de discorde pour tout le pays 18 !»), il doit néanmoins le transmettre intégralement car sa crédibilité, son effet, ne dépendent pas de l'homme qui parle mais du message lui-même : «Tu leur diras toutes les paroles que je t'ai ordonné de leur dire ; ne retranche pas un mot 19.» Même si transmettre la Parole de Dieu serait mettre sa vie en péril (cf. Jr 26, 11), le prophète fait confiance à Yahvé pour le protéger : «N'aie aucune crainte en leur présence car je suis avec toi pour te délivrer 20

Certains trouvent cela trop difficile, tel Jonas qui veut s'enfuir à Tarsis au lieu de prophétiser à Ninive sa destruction si elle ne se convertit pas, mais Dieu les rattrape... Ils ne peuvent faillir à leur mission annonciatrice, sinon ils sont aussi coupables que les pécheurs à qui ils doivent s'adresser : «Si je dis au méchant : "Méchant, tu vas mourir" et que tu ne parles pas pour avertir le méchant d'abandonner sa conduite, lui, le méchant, mourra de sa faute, mais c'est à toi que je demanderai compte de son sang. Si au contraire tu as averti le méchant et qu'il ne s'est pas converti, il mourra, lui, à cause de son péché, mais toi, tu auras sauvé ta vie 21

Dieu n'est certes pas tendre non plus envers ceux qui, au contraire, se prétendent prophètes, annoncent malheurs et joies, alors qu'ils n'ont reçu aucune parole de Dieu : «Malheur aux prophètes insensés qui suivent leur propre esprit sans rien voir 22 !» De fait, suite à une altercation avec Jérémie, le faux prophète Hananya mourut l'année même 23.

Ainsi, «le prophète qui a eu un songe, qu'il raconte un songe ! Et celui qui tient de moi une parole, qu'il délivre fidèlement ma parole 24

Les prophètes ont donc, en attendant la venue du Verbe, transmis aux hommes de leur temps la Parole de Dieu, Parole transmise à nous également, par l'Ancien Testament. Un incroyant lisant la Bible pourrait n'y voir que des prédictions et des avis donnés par certains hommes ayant une certaine influence sur le peuple d'Israël, dans un contexte historique particulier...  Mais nous, croyants, lisons la Bible éclairés par l'Esprit Saint «qui a parlé par les prophètes», sachons y reconnaître la Parole de Dieu qui, à travers les siècles et les traductions, s'adresse encore à nous.



La Parole de Dieu et les Prophètes dans l'Islam

Les chrétiens pensent souvent, à tort, que l'Islam est une religion assez "froide", ce qui est sans doute lié à son refus de l'Incarnation. Cependant, s'il est vrai que les musulmans ont un sens très aigu de la transcendance de Dieu (sur lequel nous devrions prendre exemple dans notre adoration), que le mot islam signifie soumission et qu'ils insistent beaucoup sur la toute-puissance et la grandeur d'Allah, il ne faut pas oublier que Dieu est aussi le tout-proche : «Nous sommes plus près de Dieu que sa veine jugulaire 25.» Dans le Christianisme, le lien entre Dieu et les hommes, c'est Jésus-Christ, qui est à la fois Dieu et Homme. Dans l'Islam, c'est le prophétisme : Dieu parle aux hommes par ses prophètes, les nâbi, et par ses envoyés, les rasoûl, beaucoup moins nombreux mais ayant une mission d'instruction et une autorité beaucoup plus importantes. On peut d'ailleurs remarquer que si le Coran ignore les principaux prophètes bibliques (Isaïe, Jérémie), il en mentionne de nombreux autres qui nous sont inconnus (Sâlih, Chaïb).

Mohammed est le plus grand de ces envoyés, il a été chargé de redire au peuple arabe qu'il faut se soumettre et s'abandonner au Dieu unique et créateur : «Nous t'avons envoyé vers les hommes, ô Muhammad ! pour annoncer et menacer à la fois 26.» La personne même de Mohammed ressemble beaucoup à certains prophètes de l'Ancien Testament : pour nous en convaincre, retraçons ici sa vie de Prophète, telle que la racontent les musulmans, qui admirent en lui sa volonté d'obéissance à Dieu plutôt que son rôle de chef religieux.

Il a quarante ans lorsque, au cours d'une retraite au Mont Al-Hirâ, une créature vêtue de blanc lui apparaît, lui tend une étoffe de soie blanche sur laquelle est écrit en lettres d'or un texte qu'elle lui ordonne à plusieurs reprises de lire. Or Mohammed ne sait pas et ne saura jamais lire...  Il ressent une étreinte physique douloureuse de plus en plus forte, qui n'est pas sans nous rappeler la souffrance du prophète Daniel. L'apparition, l'ange Gabriel, finit par lui dire : «Lis au nom de ton Seigneur qui a créé tout, qui a créé l'homme au sang coagulé. Lis, car ton Seigneur est le plus généreux. Il t'a appris l'usage de la plume, Il a appris à l'homme ce que l'homme ne savait pas 27... » et il lui lit ce qui est écrit sur l'étoffe, tandis que les lettres d'or se gravent dans le coeur de Mohammed. Suite à cette "nuit de la Révélation", Mohammed redescend de la montagne en extase, comme Moïse rapportant à Israël les Tables de la Loi. Mais il est pris de nombreux doutes et de désirs de mourir (cf. Jonas) car pendant trois ans Dieu reste silencieux : c'est el fatrah, le trou. Son épouse, Khadidja, la Mère des croyants, est la première à le croire et à le soutenir, mais au cours de cette période, la communication de cette révélation restera privée. Puis, pendant vingt-trois ans, Mohammed reçoit régulièrement de nombreux versets, toujours dans des souffrances physiques qui marquent ses proches, et il prêche en public, récitant les versets qu'il a reçus. Ce sont ces versets qui sont fidèlement retranscris dans le Coran.

Sa réputation de sagesse allant grandissant dans toute l'Arabie, il est réclamé comme chef de la tribu de Yathrib, qui deviendra Médine : c'est l'hégire, l'émigration (l'an un du calendrier musulman). Il se retrouve donc dans la même situation que Moïse et David : chef temporel et spirituel à la fois, ce qui lui permet de combattre ceux qui s'opposent à l'Islam naissant, en particulier la ville de la Mecque (fath Makka, la conquête de la Mecque). Malgré tout ce qu'on peut entendre dire, Mohammed n'a conduit en réalité que peu de guerres où, contrairement aux guerres de l'Ancien Testament dont le nombre de tués est assez impressionnant quoique gonflé, il n'y a que peu de morts, d'un côté comme de l'autre. Il appelle à une certaine clémence et n'oblige jamais à la conversion : «Si vous infligez une punition, n'infligez pas davantage que ce que vous avez souffert, mais si vous endurez patiemment, ce sera mieux pour celui qui sera patient 28.» On n'est pas très loin du «À qui te frappe sur une joue, présente encore l'autre 29»...  Il prône certes la lutte dans le chemin de Dieu, le fameux jihâd, la guerre sainte, mais il ne s'agit pas seulement du combat armé contre les ennemis («petit jihâd»), c'est aussi et surtout un effort sur soi-même pour lutter contre ses penchants mauvais («grand jihâd»).

Même si à sa mort toute la péninsule arabique est convertie, il meurt sans gloire ni richesse personnelles, simple et pauvre devant Dieu, sans descendance mâle, donc sans dynastie maintenant un pouvoir temporel, et sans même avoir désigné d'héritier spirituel.

Comment les chrétiens peuvent-ils considérer Mohammed : comme un prophète ? Le Nouveau Testament accepte les prophètes venus après Jésus Christ : «Ainsi donc, mes frères, aspirez au don de prophétie et n'empêchez pas de parler en langues 30.» Mais un prophète est un interprète de Dieu et par extension celui qui prédit l'avenir et prétend révéler des vérités cachées au nom d'un Dieu. Or Mohammed «n'annonça absolument rien, ne prononça pas un mot, n'articula pas même une lettre 31», il n'accomplit aucun miracle alors que ceux de Jésus sont reconnus : la deuxième condition qui authentifie un prophète n'est donc apparemment pas remplie. Cependant, dans l'Islam, l'écriture du Coran constitue le miracle donné par Dieu via son Prophète. En effet, venu d'un simple berger, il est pour tout musulman parfait dans son contenu et pour tous, même ceux qui ne connaissent pas l'arabe, parfait dans sa forme : «la musique du Coran parle au coeur de l'auditeur attentif. Une certaine cadence, l'harmonie des assonances qui animent les versets résonnent en nous 32.» De plus, certains versets révèlent des faits scientifiques tout à fait connus aujourd'hui, mais qui ne pouvaient l'être lors de sa rédaction, tels la reproduction sexuée chez les végétaux, la nidation dans le développement embryonnaire 33...

Bien entendu, pour les musulmans, Mohammed est l'interprête de Dieu, la première condition du prophètisme est donc remplie. Mais, pour s'en tenir aux catholiques, le Concile Vatican II dit bien :«L'économie chrétienne, du fait qu'elle est l'alliance nouvelle et définitive, ne passera donc jamais, il n'y a plus dès lors à attendre de révélation officielle avant l'apparition dans la gloire de Notre Seigneur Jésus-Christ 34.» Les chrétiens ne peuvent donc pas reconnaître Mohammed en tant que prophète annonçant quelque chose de nouveau. Mais on ne peut pas ne pas reconnaître d'une part la sainteté de sa vie et d'autre part son rôle dans la conversion du monde arabe au monothéisme...

L'Islam reconnaît également Jésus (Sidna Aissa) comme un Envoyé, le Souffle de Dieu : «Il lui enseignera le Livre et la Sagesse, le Pentateuque et l'Évangile. Jésus sera son envoyé auprès des enfants d'Israël 35.» Le Christ reçoit même une onction spéciale, puisqu'il est le seul personnage du Coran à recevoir explicitement le titre de Messie : «Il se nommera le Messie, Jésus fils de Marie, illustre dans le monde et dans l'autre, et l'un des familiers de Dieu 36.» Mohammed lui-même se considère, d'une certaine manière, inférieur à lui : si Mohammed a une mission prophétique plus importante que celle de Jésus (aux yeux des musulmans s'entend), il n'est pas né d'une vierge. En effet, l'Islam reconnaît la virginité de Marie et appelle Jésus le Souffle de Dieu : «Le Messie, Jésus fils de Marie, est l'Envoyé de Dieu et son Verbe 37 qu'il jeta dans Marie 38. » Il faut cependant faire attention que le titre de Souffle de Dieu ne signifie pas pour les musulmans que Jésus est le Verbe fait chair, qu'il est Dieu fait homme, cela constitue pour les eux le pire des blasphèmes : «Dieu ne peut pas avoir d'enfants. Loin de sa gloire ce blasphème ! Quand il dit une chose, il dit "Sois" et elle est 39. »

Pour le Coran, Jésus est venu au monde par ordre spécial de Dieu, sans père naturel mais sans pour autant partager la nature divine : «Jésus est aux yeux de Dieu ce qu'est Adam. Dieu le forma de poussière, puis il dit "Sois" et il fut 40. » La nature uniquement humaine du Christ est, pour le Coran, confirmée par Jésus lui-même, s'adressant à Dieu : «Tu sais ce qui au fond de mon âme, et moi j'ignore ce qui est au fond de la tienne, car Toi seul connais les secrets 41.» Quant à la crucifixion, qui n'a aucun sens pour l'Islam, elle est radicalement niée : «Non, ils ne l'ont point tué, ils ne l'ont point crucifié, un homme qui lui ressemblait lui fut subsitué [...] Tout au contraire, Dieu l'a élevé vers lui. Dieu est puissant et sage 42.» Pour l'Islam, Dieu ne peut pas avoir laissé mourir un homme juste, son Envoyé de surcroît, de manière aussi violente.

La place accordée à Jésus dans l'Islam est donc énorme : il est un grand prophète qui a beaucoup apporté aux hommes, qui a enseigné beaucoup de choses belles et bonnes... mais c'est tout. Un "c'est tout" qui fait toute la différence avec la foi chrétienne, avec la foi en la Trinité, lieu privilégié de l'Amour parfait, de l'Amour créateur, de l'Amour aimant sa créature jusqu'à se donner et l'inviter à partager sa propre vie. Mais certains musulmans choisissent en Jésus, comme en Mohammed, un exemple à imiter... et prient pour lui.

Le rapport de l'homme au Livre est également différent. Pour un chrétien, «la source de la Révélation est la personne même du Christ et l'Écriture d'une part et la Tradition d'autre part ne sont pas les sources mais les canaux de la Révélation à partir desquels la personne même de Jésus se répand dans l'histoire 43.» Alors que pour un musulman, la Parole de Dieu c'est le Coran. Ou plutôt, le Coran est la Parole de Dieu ; le moindre verset, le moindre mot, la moindre lettre du Coran, c'est la Parole de Dieu. Toute citation du Coran est introduite par "Dieu a dit". Le Coran n'est pas un livre inspiré par Dieu, mais entièrement dicté. On comprend alors mieux pourquoi certains musulmans ne sachant pas lire l'arabe ne lisent pas le Coran non plus, car une traduction du Coran est une oeuvre humaine, ce n'est plus la Parole de Dieu. Il est vrai que le Coran en Arabe est un jaillissement de paroles, de mots, de sons, sans ordre ni plan certes, mais qui reste harmonieux... et qui perd beaucoup de sa poésie, de sa légèreté et de sa fraîcheur dans les langues occidentales ! L'Islam est donc, beaucoup plus que le Christianisme, une religion du Livre. Tout est dans le Coran, il n'y a pas besoin d'aller chercher ailleurs.

L'Islam reconnaît certes les livres antérieurs : «Nous croyons aux livres saints que Moïse, Jésus et les Prophètes ont reçus du ciel ; nous ne mettons aucune différence entre eux 44.» Il est même conseillé de les lire : «Si tu es dans le doute sur ce que nous avons fait descendre vers toi, interroge ceux qui récitent les Écritures avant toi 45» et l'Évangile est appelé «livre qui éclaire 46.» Mais le Coran comprend tous ces livres : «Il t'a envoyé le livre contenant la vérité et qui confirme les Écritures qui l'ont précédé. Avant lui, Il fit descendre le Pentateuque et l'Évangile pour servir de direction aux hommes 47.» Effectivement, le Coran retrace certains passages de l'Ancien et du Nouveau Testament, parfois à plusieurs reprises, comme la naissance de Jean (Iahia). Les quelques différences qui existent avec la Bible, du fait de la postériorité du Coran par rapport aux deux testaments et du fait qu'il soit la Parole même de Dieu et pas "seulement"  un texte inspiré, sont considérées comme des altérations de la Bible.

Dieu parle donc aux hommes à travers le Coran et il y a tout dit, ou presque car «Quand tous les arbres qui sont sur la terre deviendraient des plumes, quand Dieu formerait des sept mers un océan d'encre, les paroles de Dieu ne seraient point épuisées 48

Quelle attitude pouvons-nous, chrétiens, avoir face au Coran ? L'Islam reconnaît l'Évangile et l'Ancien Testament, qui sont plus anciens, comme nous reconnaissons l'Ancien Testament. Il regrette donc que les juifs et les chrétiens ne reçoivent pas également le Coran comme Parole de Dieu, parole venant accomplir la Révélation dont chacun, pourtant, se réclame.

Pour les chrétiens, le rapport à la Parole de Dieu revêt une dimension spécifique, puisque la personne même de Jésus est Parole de Dieu, Verbe incarné, le Christ est la Révélation : « Tout m'a été remis par mon Père, et nul ne connaît le Fils si ce n'est le Père, et nul ne connaît le Père si ce n'est le Fils, et celui à qui le Fils veut bien le révéler 49.» Or il est toujours présent et cette Présence en nous est agissante ; la Parole de Dieu demeure donc actuelle et le message évangélique est en nous en permanence renouvelé : «C'est ainsi que Dieu qui a parlé jadis, s'entretient sous arrêt avec l'Épouse de son Fils bien-aimé, et que l'Esprit-Saint, par qui la voix vivante de l'Évangile retentit dans l'Église et par l'Église dans le monde, introduit les croyants dans tout ce qui est vérité, et fait résider chez eux en abondance la parole du Christ 50.» Plus encore pour les catholiques, sous l'action de l'Esprit Saint, certains dogmes n'apparaissant pas dans le Nouveau Testament peuvent être prononcés. La Révélation islamique, elle, est présentée comme un accomplissement : les erreurs scientifiques peuvent en être corrigées et l'interprétation du Coran par les soufis n'est jamais terminée, mais plus rien ne peut être ajouté au Coran. De même, Mohammed est le "sceau" des prophètes et l'Islam la dernière religion.

Nous pouvons donc trouver dans le Coran, non pas une nouvelle Parole de Dieu qui viendrait corriger et complèter l'Ancien et le Nouveau Testament, non pas une nouvelle Révélation, mais tout de même la réaffirmation forte de certaines vérités appartenant à notre foi. Un point délicat, peut-être : les dénonciations coraniques... un peu dures à lire pour ceux à qui elles sont adressées ! La plupart des musulmans, tout comme nous considérons certains psaumes à consonance guerrière, les voient comme des appels à ne pas s'éloigner de l'adoration du seul vrai Dieu et non comme des appels à la guerre et à la haine contre les juifs et les chrétiens... heureusement ! Nous pouvons donc considérer le Coran non pas comme quelque chose de nouveau, mais comme un rappel de ce que Dieu a annoncé aux hommes. Il est également et surtout un moyen de mieux connaître la grandeur de la foi musulmane et de nourrir un dialogue positif et extrêmement enrichissant avec les musulmans 51, ce qui permet d'approfondir sa propre foi en ce qui nous distingue le plus : la foi en la Trinité, en Jésus vrai Dieu et vrai Homme, Verbe fait chair pour nous sauver et nous ramener vers Dieu.

N.R.




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