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Les Spiritains : des missionnaires au coeur du Quartier Latin

Marguerite Durrande, Irène Macquart-Moulin




1703--2003 : Trois siècles d'histoire

La fondation des Spiritains s'est faite en deux temps forts. C'est un jeune noble, Claude-François Poullart des Places (1679--1709), qui est à l'origine de la Congrégation du Saint-Esprit. Claude-François Poullart des Places renonce à sa fortune et à sa noblesse pour se consacrer à former des prêtres pauvres pour l'Église ; à la fête de la Pentecôte 1703, il commence « l'établissement de la communauté du séminaire consacré au Saint-Esprit », qui se fixe pour but de former des prêtres « pour les âmes abandonnées », et d'« envoyer des ouvriers là où l'Église n'a pas d'ouvrier ». Les prêtres formés dans ce séminaires s'engagent à renoncer aux postes lucratifs qui leur seraient proposés. Poullart des Places n'est pas encore prêtre lui-même quand il meurt en 1709.

Débuts difficiles

Bien qu'officiellement reconnue par Louis XV en 1726, la jeune communauté doit lutter contre beaucoup de détracteurs : les jansénistes, le Parlement, l'Université, jusqu'à l'archevêque de Paris. Cependant cela ne l'empêche pas de fournir en prêtres les séminaires de France, et d'envoyer des missionnaires au Canada, en Chine, en Inde, en Afrique occidentale et en Amérique du Sud. Sa situation s'aggrave encore avec la Révolution ; la Congrégation n'est alors pas loin d'être anéantie. Elle est rétablie en 1805, et les bâtiments du séminaires rachetés en 1822 seulement. Pourtant, dès 1815, les départs en missions reprennent, mais les effectifs des Messieurs du Saint-Esprit sont insuffisants pour répondre aux besoins : pendant les 140 ans qui suivent leur fondation, leur nombre total ne dépasse jamais soixante.

Second temps fort : le parcours peu commun de Libermann.

En 1826, Jacob Libermann, fils d'un rabbin de Saverne, reçoit le baptême. Il s'appellera désormais François Libermann. De pénibles épreuves de santé l'empêchent pendant des années de devenir prêtre, mais il devient un guide spirituel influent au séminaire d'Issy où les sulpiciens avaient accepter de le garder, avant que les eudistes ne le prennent comme maître des novices. C'est au cours de ces années qu'il fait la même expérience que jadis Poullart des Places, mais dans un monde qui s'agrandit alors aux dimensions de l'univers. À travers deux compagnons originaires des Îles, Tisserant le « Haïtien », et Levavasseur, de l'île Bourbon, c'est la pauvreté des noirs, esclaves ou affranchis, qui l'atteint. Encouragé par Rome et ordonné prêtre en 1841, il ouvre à Amiens cette même année le noviciat des Missionnaires du Saint-Coeur de Marie. Les candidats affluent. L'hécatombe de la première expédition africaine ne fait que renforcer la détermination générale. Cependant, sur le terrain, les missionnaires de Libermann se heurtent à ceux du Saint-Esprit. Rome insiste pour que la société de Libermann accepte d'entrer dans celle du Saint-Esprit. La fusion est opérée en 1848. Lorsque Libermann meurt en 1852, les « Spiritains » sont présents aux Antilles, dans l'Océan Indien, et, sur la côte d'Afrique, au Sénégal et au Gabon, qui font partie de l'immense vicariat apostolique des Deux-Guinées, à l'origine des quelques 150 diocèses actuels de l'ouest, centre et sud de l'Afrique noire.
Tout au long du XIXème puis du XXème siècles, les spiritains participent activement au grand mouvement missionnaire qui traverse toute l'Église. Au moment de Vatican II, en 1964, ils sont 5 141, presque tous originaires de l'hémisphère nord. Ils ne sont à présent qu'un peu plus de 3 000, 1 000 d'entre eux étant originaires de l'hémisphère sud, notamment d'Afrique. Ils sont présents sur les cinq continents, puisqu'ils sont récemment retournés en Asie (Taïwan et Philippines).

Trois siècles de mission

Missionnaires d'hier et d'aujourd'hui, les Spiritains accordent un intérêt tout particulier aux Églises locales qui assument la mission du Christ dans les divers territoires. Leur tâche prioritaire est d'y éveiller le sens de la mission universelle, de la justice et de la fraternité entre les peuples. Ils accompagnent leur croissance assurant des services spécifiques tels que l'éducation chrétienne des jeunes, la formation du laïcat et des catéchistes, l'évangélisation des cultures et la transformation de la société à l'image du royaume.

Tels sont, par exemple, les desseins de la mission Netia au Mozambique. Mais là où règne la pauvreté, son ambition est aussi d'apprendre aux communautés à « marcher de leurs propres pieds », notamment en luttant contre le fatalisme qui les habitent souvent. 

Outre le message évangélique, cette présence prend donc des formes variées. Elle est apprentissage dans le domaine agricole (invitation à se regrouper en coopératives) ; dénonciation d'injustices (taxes et impôts) auprès des autorités qui n'ont alors pas les mêmes possibilités de répressions ; création d'« écoles communautaires » ; prévention contre le sida ; tentative de pallier l'absence quasi totale d'attention à la santé de la population.

Dans ce dernier domaine, face à la pénurie de médicaments appropriés et aux difficultés de transport des malades vers les rares hôpitaux, est né le projet de santé itinérant. Un infirmier accompagne les missionnaires dans leurs déplacements et reçoit alors les gens en consultation. Cette initiative connaît un incroyable succès que les Spiritains de la mission Netia ont à coeur de replacer dans une vision chrétienne.

Écrasés de travail, les Spiritains n'en sont pas moins comblés, notamment par l'enthousiasme avec lequel leur répondent les communautés. En effet, elles comprennent progressivement que les missionnaires ne sont pas là seulement pour donner, mais qu'ils marchent avec eux, et pour un temps seulement.

Ainsi le développement des communautés chrétiennes de la mission Netia fait-il penser aux missionnaires qu'elle est prête à passer, consentement de l'évêque acquis, au clergé local. Les Spiritains prévoient donc de se rendre dans une nouvelle zone encore plus vaste, Itoculo, zone très pauvre, sans poste de santé, sans commerce, mais où les gens sont prêts à entendre et à recevoir le message de Jésus-Christ. Ils pourront, une fois encore, y exercer leur charisme spiritain : tout commencer là où n'existe presque rien ; s'ouvrir aux autres ; écouter ; accueillir.

Après 300 ans de mission, un même enthousiasme et un même dévouement, comme éternellement renouvelés par l'Esprit de Dieu.

M.D., I.M-.M.

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