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Un vrai repas de Noël

Marie-Amélie Dutheil de la Rochère






Cette année encore, la période dite «des fêtes» a été l'occasion d'un écoeurant déballage de nourritures de toutes sortes sur les étals des marchands. Pour beaucoup, c'est d'ailleurs cela qui compte le plus à ce moment de l'année. Et chacun d'organiser son réveillon, en lui donnant une importance souvent démesurée. Je ne dirai rien de celui de la Saint-Sylvestre1. Ce qui me semble étrange, c'est la façon dont on peut se laisser aller à accorder un tel poids aux repas de Noël (car à Noël, certains se focalisent sur le dîner de la veille alors que d'autres s'intéressent plutôt au déjeuner, sans compter ceux qui veulent festoyer deux fois de suite...). On a l'impression dans la société actuelle que Noël n'est plus qu'une fête absurde où chacun fait plus ou moins semblant d'être heureux et gentil (ah, «l'esprit de Noël» !) tout en participant au concours du plus grand nombre de cadeaux et de la plus belle indigestion. Et tout bon chrétien que vous puissiez être, vous risquez toujours de vous «agiter et [vous] inquiéter pour bien des choses ; or, une seule est importante», surtout la Nuit de la Nativité!

Veux-je dire que nous devrions passer toute la nuit et toute la journée en prières, agenouillés sur les dalles glacées d'une église humide et froide ? Ce n'est pas que la liturgie ne le permette pas (je vous rappelle qu'à Noël, vous pouvez assister aux messes de la Veille, de la Nuit, de l'Aurore, et du Jour, ce qui est la plus forte concentration d'Offices divins que l'Église nous accorde dans l'année), mais d'une part, je ne crois pas que ce soit un très bon moyen d'évangéliser nos contemporains (ils vous feront plutôt enfermer comme dangereux meneur d'une secte particulièrement abominable), et d'autre part, il nous est aussi nécessaire de savoir rendre grâce au Seigneur pour les dons qu'Il nous fait, y compris la bonne chère2. Je vais donc vous présenter une alternative : donnez du sens à votre repas, pour que tout en cette sainte soirée vous ramène toujours au seul vrai bien, le Christ, Verbe fait chair par amour pour les pécheurs que nous sommes.

Ainsi, l'année prochaine, vous pourrez offrir à votre famille et à vos amis un réveillon de Noël sensé, à la provençale, car chaque détail du Noël en Provence est d'autant plus significatif que la tradition n'a été fixée, et donc réorganisée et repensée, qu'au xixième siècle, il faut bien l'avouer.

Avent , «petit souper», et cacho-fio

Depuis le début de l'Avent, on a commencé à préparer Noël. D'abord, on installe la crèche, avec ses nombreux santons3, représentant tous les corps de métier de la Provence du xixième siècle. Ce sont de petites gens qui abandonnent leurs activités (ou sont sur le point de le faire) pour accueillir le Christ, venu les rejoindre dans la simplicité de leur vie quotidienne. Les santons sont d'ailleurs en argile, matériau bon marché, qui a permis de «démocratiser» la crèche et de l'introduire dans tous les foyers.




L'Arlésienne



Le Berger

Le 4 décembre, pour la Sainte-Barbe, on a pris un peu de blé sur les semences en réserve afin d'en semer dans trois coupelles, posées autour de la crèche. On dit que la croissance du blé est proportionnelle à la réussite économique que l'on va connaître dans l'année qui vient... Puis, on parcourt les marchés de Noël pour rassembler tout ce qui va être nécessaire à la veillée.



Enfin, c'est la veille de Noël. A 19h, a lieu, en famille, le «petit souper», avec entre autres du bouillon de poule, et qui permettra d'attendre jusqu'à la fin des trois messes. On s'occupe alors de la bûche de Noël. C'est une vraie bûche, qui doit provenir d'un arbre fruitier (poirier, cerisier ou olivier). Le plus jeune et le plus vieux font trois fois le tour de la table avant d'arroser trois fois la bûche avec du vin cuit4, puis de la déposer dans le foyer et de procèder au bouta cacho-fio, i.e. bouter le feu en disant ces paroles :


Alegre! Alegre! Diéu nous alegre,
Emé Calendo, tout bèn vèn,
Diéu nous fague la graci di véïre l'an que vèn.
Se sian pas mai, que seiguen pas men!



«Réjouissons-nous, Dieu nous garde joyeux.
Voici Noël, tout vient bien.
Dieu nous fasse la grâce de voir l'an qui vient.
Si nous ne sommes pas plus, que nous ne soyons pas moins!»

La maîtresse de maison met alors à cuire sur le feu la courge du potage que l'on boira après la Messe. On patiente jusqu'à minuit au cours d'une veillée où l'on récite en général une des variantes de La Pastorale, dont la plus célèbre est celle du Marseillais Maurel (1844)5. La Messe s'accompagne en général de crèches vivantes et de processions des bergers avec offrande d'un agneau amené jusqu'à l'autel (cérémonie du «pastrage»), et cela est encore vrai de nos jours, même si l'aspect touristique nuit quelque peu à l'authenticité de cette tradition... Il est fréquent que de petits pains spéciaux soient offerts à la sortie.

Le «gros souper»

En rentrant de l'Office, on dresse la «table calendale» pour le «gros souper». On la couvre de trois nappes blanches, et on y place les trois coupelles de blé, ainsi que des roses de Jéricho et du houx (mais pas de gui, car il est considéré comme portant malheur). L'éclairage est assuré par trois bougies. Je suppose que tout le monde a compris qui se cache derrière ce symbole de l'objet en trois exemplaires... Puis on met le couvert pour les convives, en préparant une place de plus, la place du pauvre, en l'honneur de la Sainte Famille qui n'a pu trouver aucune maison où être accueillie : qu'une telle situation ne puisse se reproduire en ce soir de la Nativité ! Cette place est aussi le rappel de tous les ancêtres défunts.

On sert alors les sept plats (encore un chiffre symbolique, souvent lié ici aux sept Douleurs de la Vierge). Mais je vous préviens, si vous vouliez caviar et foie gras, vous allez être déçus ! Voici en effet quelques-uns des plats possibles : En réalité, la liste est très variable mais ce qui est essentiel, c'est que ces sept plats soient maigres : du poisson, des légumes, de la soupe, des fruits de mer, jamais de viande ni de fromage.

Les treize desserts





On enlève la seconde nappe et on souffle la seconde bougie avant d'entamer les desserts (qui sont apportés au début du repas, en même temps que tous les plats). Là encore, la liste n'est pas unique. L'important est d'en avoir treize (comme le Christ et ses disciples), et voici les indispensables : Ensuite, chacun ajoute sa propre touche : les calissons sont évidemment indispensables à Aix ! On peut aussi confectionner un «nougat de capucin» en glissant un cerneau de noix dans une figue sèche. Mais comme vous le constatez, tout cela reste simple et limité : il ne s'agit vraiment pas de faire un repas gastronomique, ni même gourmand. On laisse la table mise jusqu'au 27, pour les anges ou pour les morts, selon la tradition. De nos jours, beaucoup prennent le repas avant la Messe de Minuit, mais il est évident que tant que l'obligation d'être à jeun était en vigueur, on ne pouvait commencer à dîner qu'après le retour des trois Messes (Veille, Nuit et Aurore) dites à la suite.

Après Noël, la période calendale se prolonge jusqu'à la Chandeleur (2 février) où l'on démonte la crèche. Quelques coutumes sont également attachées à ce temps. À l'Épiphanie, on prend une brioche en forme de couronne, et non pas une galette (rassurez-vous, on y trouve quand même une fève), et à la Chandeleur, à Marseille, on se régale de navettes, biscuits durs à l'anis, qui rappellent l'arrivée en bateau de Lazare et des saintes Maries, évangélisateurs de la Provence d'après la tradition. Bien que les coutumes en usage en Provence soient parfois un peu trop récentes pour mériter le nom de tradition, et parfois un peu trop anciennes pour ne pas paraître païennes, elles ont ici le mérite de nous faire voir comment on peut organiser un vrai réveillon de Noël : un repas de famille et de fête sans aucun doute, mais qui sait rester simple car ce n'est pas le menu qui nous donne notre joie, c'est le Christ.
M.-A. D. R.


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