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Communautés nouvelles ?

Édouard Chabrol




Cet article paraît avec beaucoup de retard puisqu'il avait été rédigé pour le Sénevé «La Paix», Pentecôte 2003.
La Rédaction.




En 2001, après une année de licence à la fac, sur les conseils d'un ami frère des Écoles chrétiennes, je m'engageai pour année de volontariat aux États-Unis. Les raisons de mon choix était simples : fatigué du train-train d'études dont je ne percevais pas la finalité, je voulais passer une année à servir en tant que tuteur et animateur. Vivre aux États-Unis et y découvrir son quart-monde ne me déplaisait pas non plus. Il y avait une grosse part d'incertitude dans ma décision, je voulais m'abandonner à ce que je rencontrerai.

Je prenais contact avec les responsables d'un programme de volontariat américain, les «lasallian volunteers», dont la particularité consiste à placer des étudiants titulaires d'un BA au sein d'institutions animées par des frères des Écoles chrétiennes, pour la plupart des oeuvres sociales ou éducatives dans les quartiers les plus défavorisés des grandes métropoles américaines (le Bronx à New York, Camden dans le New Jersey...). Ainsi, pendant un an, j'ai travaillé en tant que professeur animateur au sein de l'équipe éducative du LEO (Lasallian Educational Opportunities) Center dans le ghetto noir d'Oakland en Californie du Nord. Le ghetto est une zone anciennement constituée où se concentrent environ 300 000 afro-américains, rejoints maintenant par des populations d'Amérique latine, récemment immigrées. Gangs, trafics et prostitution sont des éléments de la vie quotidienne (deux jours avant mon départ, j'appris qu'une prostituée travaillait tous les jours sous ma fenêtre pendant mes journées de travail). L'activité que j'ai menée là-bas a été d'une richesse incroyable tant par sa nature même (toutes les oeuvres éducatives sont gratifiantes) que par les conditions spécifiques dans lesquelles je l'ai menée et la spiritualité qui nous a portés pendant un an.

Nous formions une équipe de six : trois frères, plutôt âgés, professeurs et travailleurs sociaux expérimentés, et trois volontaires de 21 à 24 ans (Keely et Jane, toutes deux originaires des états du Midwest, et moi-même). Notre communauté présentait deux traits particuliers :

1. La communauté se voulait à l'image du quartier dont nous tentions tant bien que mal de combler les besoins éducatifs: les fondateurs de la communauté avaient fait le choix de la pauvreté et c'était le seul moyen pour nous, blancs, d'être crédibles dans un quartier à prédominance afro-américaine. Le travail de la communauté (à laquelle s'adjoignaient de temps en temps professeurs et étudiants bénévoles des environs) était accepté par les familles.

2. Notre vie de communauté était inséparable de notre vie de travail. Là-bas, la communauté était communauté d'oeuvre et de vie. Nous avons tous travaillé et vécu ensemble pendant un an, concentrant tous nos efforts sur la bonne marche du centre. Pratiquement, mon boss et moi étions colocataires, puisque nous partagions la même salle de bain. Un retour à ce type de communauté, avant qu'elles ne s'ouvrent aux laïcs, avait été recommandé par la Déclaration rédigée par les frères en 1964: que les frères-professeurs vivent et travaillent ensemble, la mission étant constitutive de la communauté.


1 communauté = 1 mission

On trouve parmi les frères des pratiques différentes: à de nombreuses communautés vieillissantes, fonctionnant sur une dynamique ancienne que l'on pourrait décrire comme des «lieux communs de vie» s'opposent de nombreuses communautés, crées autour d'oeuvres nouvelles, ainsi celle où j'ai vécu ou les communautés fondées autour des écoles bilingues des quartiers latinos de Chicago ou de Camden.


«Lieux communs de vie» vs. «communauté = mission»

Cette équation «une communauté = une mission» est un vecteur de dynamisme puissant pour la communauté (notre activité était très élevée, nos prières quotidiennes et notre Eucharistie bihebdomadaire avaient une force et une pertinence particulière) et pour le charisme lasallien.

3. La communauté Saint Lasalle est une exemple de nouvelle «communauté lasallienne». Les districts américains intègrent de plus en plus souvent des laïcs, volontaires pour la plupart, de façon pleine et entière dans des communautés de frères qui l'acceptent. Grâce à cette main d'oeuvre nouvelle, de nouvelles oeuvres éducatives et sociales ont vu le jour (le réseau des écoles San Miguel, en plein développement aux États-Unis, le Highbrige Community Center dans le Bronx). Cette intégration n'a été rendue possible que par la valeur que les frères attachent à l'engagement d'un, deux ou trois ans réalisé par ces étudiants. Outre l'ouverture d'esprit de certains frère précurseurs, il existe au sein de l'ordre une tradition de l'engagement temporaire, voire de la vocation temporaire (jusqu'à peu, les frères ne prononçaient pas de voeux perpétuels, mais renouvelaient leur engagement tous les cinq ans).

Le volontariat n'est donc pas seulement cette année pendant laquelle des étudiants avides vont découvrir le monde aux yeux des frères mais un engagement --- réponse à une certaine forme d'appel. Les frères avec qui je vivais n'ont jamais eu un mouvement de distance à notre égard. Nous faisions le même travail qu'eux, priions les mêmes prière qu'eux, la communauté était équilibrée puisque nous vivions le même type d'engagement. Ce respect et compréhension ont été un soutien de très grande importance quand on fait un choix de ce type.

Revenu il y a un an des États-Unis, je ne peux parler qu'avec enthousiasme de l'expérience que j'ai vécue là-bas. Je brûle d'envie de poursuivre l'aventure que j'ai commencée. En effet, on peut dire avec honnêteté qu'en remettant en cause certaines conditions de la vie religieuse, en s'adressant à des laïcs et en les intégrant dans des communautés religieuses, les frères des Écoles chrétiennes s'affranchissent d'un formalisme un peu pesant pour construire de nouvelles formes de vie religieuse. La survie de leur charisme en dépend peut-être, mais ces initiatives sont signes d'une grande confiance et sérénité, d'un esprit très novateur auquel il faudrait accorder une attention particulière.

E.C.

Contacts :


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