Previous Up Next

Au chantier du Royaume : travailler pour un Autre

Grégoire Brugère







Baptisés, Fils et Filles de Dieu, nous voilà appelés, chacun à notre manière, avec toute notre humanité, tout ce que nous sommes, tels que notre Créateur nous a faits, à oeuvrer avec le Christ et à sa suite à l'avènement sur notre terre du Royaume, à la construction de l'Eglise, à l'élaboration d'un monde plus juste et plus humain. Ce n'est pas facultatif : au cours du dernier repas, après avoir annoncé son retour aux disciples et leur avoir promis la venue de l'Esprit Saint, Jésus nous avertit : «Tout sarment qui est en moi et qui ne porte pas de fruit, [mon Père] le retranche ; et tout sarment qui porte du fruit, il l'émonde, afin qu'il porte encore plus de fruit» (Jn 15,2). Ces paroles peuvent nous sembler dures ; en un sens, elles le sont : elles manifestent l'exigence de Dieu à notre égard : Lui qui nous a créés, et qui sait de quoi nous sommes capables, quel fruit nous sommes capables de porter, Il refuse de nous laisser nous endormir et négliger la grâce reçue à notre baptême ; alors, si nous pouvons être tentés de dire avec le troisième serviteur de la parabole des talents : «Je sais que tu es un homme dur, qui moissonnes où tu n'as pas semé et qui amasses où tu n'as pas vanné», rendons plutôt grâce à Dieu de Sa confiance, qui va jusqu'à nous associer à la création de la Jérusalem nouvelle !

Dans la vigne du Seigneur, nous ne sommes pas les premiers à travailler : ainsi, saint Paul nous dit : «Car nous sommes ouvriers avec Dieu. [ouvriers AVEC Dieu ! Quelle joie, et quel honneur !] Vous êtes le champ de Dieu, l'édifice de Dieu. Selon la grâce de Dieu qui m'a été donnée, j'ai posé le fondement comme un sage architecte, et un autre bâtit dessus. Mais que chacun prenne garde à la manière dont il bâtit dessus.» (1 Co 3, 9-11); pendant plusieurs versets encore, Paul file la métaphore de ce chantier où chacun d'entre nous est à la fois ouvrier et temple de Dieu, en construction. De même, saint François d'Assise est appelé par le Christ à rebâtir l'Eglise en ruines. Illustres prédécesseurs, dont l'exemple doit nous encourager : le Seigneur a donné de grands saints à son Église, il en donnera d'autres ! En ce qui nous concerne, à nous d'être fidèles là où il nous attend.

À qui s'adresse cet appel ? «Dieu a établi dans l'Église premièrement des apôtres, deuxièmement des prophètes, troisièmement des docteurs, ensuite ceux qui ont le don des miracles, puis ceux qui ont les dons de guérir, de secourir, de gouverner, de parler diverses langues.» (1 Co 12,27); cette liste, est-elle longue ou courte ? Apôtres, prophètes, docteurs, est-ce un happy few qui participe aux oeuvres de Dieu ?

Certes, ils sont sans doute peu nombreux, ceux qui se sentiront inclus dans la catégorie de «ceux qui ont le don des miracles»; «ceux qui ont les dons de guérir, de gouverner» sont déjà plus nombreux, des professions entières ; à vrai dire, servir le Seigneur dans sa vie professionnelle n'est pas réservé à ceux qui exercent certains métiers particuliers : les Actes des Apôtres témoigne qu'à Corinthe, Paul, rencontrant Aquilas et Priscille, qui faisaient le même métier que lui, travaillait avec eux ; «or ils étaient de leur état fabricants de tentes.» (Ac 18, 2-3) On a du mal à imaginer une activité qui, concrètement, soit moins en rapport avec l'annonce de l'Evangile : tisser les toiles, assembler la structure des tentes, autant de tâches qui n'impliquent guère de contact humain. Et jamais auteur n'a écrit, à ma connaissance du moins, sur l'importance fondamentale du fabricant de tentes pour la bonne marche de la société. Apparemment, pendant la semaine, Paul se contente de subvenir à ses besoins, et c'est le sabbat, lorsqu'il discourt à la synagogue et s'efforce de convaincre Juifs et Grecs» qu'il est vraiment à l'oeuvre pour le Royaume. Et pourtant, dans la première Épître aux Thessaloniciens, c'est bien ce même labeur qu'il revendique et qu'il donne en exemple : il invite ses frères de Thessalonique à «mettre leur honneur à travailler de [leurs] mains.» Levant encore plus haut les yeux, nous pouvons contempler le Christ passant quelque chose comme quinze ou vingt ans à travailler à Nazareth comme charpentier, au lieu «d'annoncer la venue du Royaume ou d'opérer des guérisons» ; comme l'on a quand même du mal à imaginer que notre Sauveur ait perdu Son temps» pendant qu'Il était parmi nous, c'en est sans doute assez pour en conclure que tout homme, dans l'accomplissement de ce que l'Église appelle son «devoir d'état», a une première occasion de servir le Christ : nul besoin pour cela d'avoir un poste de responsabilité, un poste visible ou obtenu après de longues études.


Georges de La Tour, Saint Joseph charpentier

Ceci dit, il est indéniable qu'en dehors de son devoir d'état, Paul consacre une partie de ses activités à «agir directement», de manière visible en tout cas, pour l'annonce de la Parole. Là encore, cela nous est donné à tous : apôtres ? Peut-être pas s'il s'agit d'aller sur les parvis des églises et sur les places publiques crier la Bonne Nouvelle ; mais le Christ nous dit : «À ceci tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : à l'amour que vous avez les uns pour les autres.» (Jn 13, 35) Par l'amour que nous portons à nos frères, nous sommes témoins du règne qui vient, nous évangélisons ! En est-il un seul, parmi nous, qui dirait : «L'amour n'est pas ma vocation»? Tous apôtres, donc. Et à tous, aussi, nous est donné, à l'occasion, le don de secourir par exemple : lorsque nous croisons un frère dans la détresse, matérielle, affective, spirituelle, lorsque par un geste, un sourire, une parole nous essayons de le réconforter. Aider à l'organisation matérielle comme les diacres (Ac 6, 1-6), en faisant la cuisine ou les photocopies, être présent dans l'intercession, ce n'est hors de portée de personne ! Chacun d'entre nous peut donc entendre comme s'adressant à elle ou à lui, personnellement, l'appel du Christ et de son Eglise à se retrousser les manches, à prendre le vêtement du serviteur, et à se rendre vaillamment sur le chantier du Royaume de Dieu.



Ouvriers pour le Royaume de Dieu, nous ne pouvons vivre cette tâche tout à fait de la même manière que n'importe quelle autre. Ceci pour une raison simple, qui a de multiples conséquences : c'est qu'il s'agit de répondre à un appel. Le Christ nous dit : «Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, c'est moi qui vous ai choisis et vous ai établis, pour que vous alliez et portiez du fruit, et que votre fruit demeure, afin que tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous le donne.» (Jn 15, 16) Il dit d'ailleurs immédiatement après : «Ce que je vous commande, c'est de vous aimer les uns les autres» (Jn 15, 17), ce qui confirme bien que notre vocation, à chacun, c'est d'abord l'amour.

L'on choisit son métier. On le choisit d'abord pour gagner son pain quotidien ; ensuite parce que nous pensons que c'est une manière de nous épanouir, de grandir, qu'il nous plaît. Il n'en va pas de même avec le service du Royaume de Dieu. Dans l'absolu, nous n'avons rien à y gagner. Sans doute arrive-t-il, souvent, que nous y cherchions la reconnaissance des hommes, un peu de gloire, une occasion d'être mis en valeur ; mais il s'agit là davantage d'une tentation à laquelle nous sommes exposés que du sens véritable de notre don. Pour l'essentiel du gain, c'est-à-dire le salut apporté par Jésus-Christ, nous n'y sommes pour rien, et toute notre activité n'y changera rien. Dieu ne nous donne pas Son amour comme une récompense pour nos bons et loyaux services : il est là de toute éternité, nous précède, nous attend, depuis le sein de notre mère (Ps 138), où assurément nous n'avions pas fait grand-chose pour Lui. Une définition de foi du concile d'Orange II (529), reprise dans les canons du concile de Trente, affirme : «Ainsi, conformément aux sentences des Saintes Ecritures et aux définitions des anciens Pères transcrites ci-dessus, nous devons, avec la faveur de Dieu, prêcher et croire que par le péché du premier homme le libre-arbitre a été à ce point dévié et affaibli que personne depuis ne pourrait ni aimer Dieu comme il faut, ni croire en Dieu, ni accomplir le bien en vue de Dieu, à moins que la grâce de la miséricorde divine ne le prévienne». Celui qui se donne à plein temps au service de l'Eglise n'a pas davantage droit» aux sacrements qu'un autre ; Dieu donne l'essentiel, c'est-à-dire Lui-même, de manière totalement gratuite.

Alors pourquoi se met-on au service, si l'on n'a rien à y gagner ? Bien sûr parce qu'en se donnant on reçoit, que le fait de travailler pour nos frères et pour le Seigneur nous fait grandir, nous ouvre et nous rend disponibles à Sa grâce ; mais surtout et avant tout, par simple reconnaissance, parce que nous voulons, dans la mesure de nos forces si faibles, rendre au Seigneur ce qu'Il nous a donné, Lui offrir notre temps et nos bras en signe de gratitude, parce que l'amour pour Lui qu'Il a fait naître en nos coeurs nous pousse à nous donner à Lui et pour Lui, comme Son amour pour nous Le pousse à se donner à nous et pour nous. Souvenons-nous que c'est le désir de répondre par l'amour à Son amour qui est notre premier moteur.

Ainsi, sans doute, pourrons-nous garder à l'esprit que nos actions, si belles, utiles et importantes soient-elles, ne sont que secondaires ; que notre appel premier, c'est de nous ouvrir à l'amour et à la grâce de Dieu : cela seul suffit, dit Ignace de Loyola. Et nous pouvons avoir confiance que si nous acceptons de nous ouvrir, de nous laisser travailler par l'amour de Dieu, si nous apprenons à vivre dans l'Esprit Saint, il en découlera, naturellement», le désir et la force de nous mettre au service de l'Eglise, d'une manière bien plus juste et même bien plus efficace que si nous comptons sur nos propres forces. C'est pour cela que Saint Jacques peut écrire ;Ainsi en est-il de la foi : si elle n'a pas les oeuvres, elle est tout à fait morte. Au contraire, on dira :«Toi, tu as la foi, et moi, j'ai les oeuvres ? Montre-moi ta foi sans les oeuvres ; moi, c'est par les oeuvres que je te montrerai ma foi."» (Jc 2, 17-18) Lorsque nous sommes à l'oeuvre, nous puisons nos forces dans la foi et dans l'amour de Dieu ; mais de la foi et de l'amour de Dieu découlent inévitablement les oeuvres.

Étrange ouvrier que celui qui n'attend pour lui-même de son travail que le superflu --- puisque l'unique nécessaire, il l'a déjà, par grâce ! Car il est bien question, dans l'Évangile, d'un salaire. Jésus dit, à la fois dans l'Evangile de Matthieu (10, 10) et dans celui de Luc (10, 8), que l'ouvrier mérite son salaire/sa nourriture». Le contexte n'est pas exactement le même dans les deux Évangiles : il s'agit dans les deux cas d'un envoi en mission, celui des douze ou celui des soixante-douze disciples, mais chez Matthieu, le verset précédent est «Ne prenez ni or, ni argent, ni monnaie, dans vos ceintures ; ni sac pour le voyage, ni deux tuniques, ni souliers, ni bâtons ; car l'ouvrier mérite sa nourriture»; à la lumière de la parabole des oiseaux du ciel et des lys des champs, également présente dans les deux Évangiles, cette parole nous invite donc à un abandon confiant à la Providence en ce qui concerne le pain de la route quotidienne ; chez Luc, l'on trouve : «Demeurez dans cette maison-là, mangeant et buvant ce qu'il y aura chez eux ; car l'ouvrier mérite son salaire.» Là, le Seigneur nous invite à accueillir en toute simplicité les dons de la Providence, à ne compter certes que sur Elle, mais à compter sur Elle. Ce qui est remarquable, dans un cas comme dans l'autre, c'est que le salaire dont il est question est simplement ce qui permet au disciple de continuer sa mission : le salaire ne sert qu'à renouveler nos forces pour continuer à servir le Seigneur ; mais qu'importe : le bien véritable nous est déjà donné. Le reste n'est que surcroît.

Le Seigneur nous promet donc, lorsqu'il nous envoie en mission, de nous donner ce dont nous avons besoin pour mener à bien cette mission ; pour comprendre l'ampleur de cette promesse, nous avons besoin de changer notre regard sur l'oeuvre que nous accomplissons à son service. En effet nous sommes tentés de dire, dans notre prière : «Seigneur, aide-moi, puisque c'est pour Toi que je fais cela»; et cela traduit, d'une certaine manière, une appropriation de notre tâche : nous voulons réussir, parce que la tâche que nous accomplissons nous paraît importante, belle, etc. Mais le Seigneur nous invite à faire un pas de confiance de plus ; Il nous dit en effet : «Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, c'est moi qui vous ai choisis.» Ce qui signifie que lorsque nous nous mettons au service de l'Église ou de nos frères, ce n'est pas le Seigneur qui nous aide, mais c'est nous qui L'aidons, au sens où l'oeuvre que nous accomplissons est d'abord son oeuvre, c'est Lui qui en est l'artisan principal et nous les auxiliaires. Nous pouvons dire parfois «Seigneur, viens à mon aide, ô, Christ, à notre secours», mais c'est plutôt, je crois, face à notre propre faiblesse et à notre péché; lorsque nous accomplissons les oeuvres de Dieu, nous pouvons entrer dans une confiance plus grande encore, et nous dire que puisque le Seigneur nous a appelés à une tâche, c'est qu'Il a aussi préparé pour nous les moyens de l'accomplir --- charge à nous de rester suffisamment disponibles et décentrés de nous-mêmes pour les accueillir. Bien sûr, cela ne signifie pas que nous n'ayons rien à faire : parmi les moyens que le Seigneur met à notre disposition pour accomplir ses oeuvres, il y a aussi tous nos talents, toutes les qualités qu'Il a déposées en nous depuis qu'Il nous a créés. Mais nous pouvons vraiment déposer en Lui ce souci, «Vais-je en être capable ?»: si Lui nous demande quelque chose, soyons sûrs qu'Il nous donnera également les forces pour l'accomplir. L'on dit parfois, pour simplifier : «Le Seigneur ne donne pas un service à celui qui a un talent, Il donne un talent à celui qui a un service.»

Cela implique également de reconnaître le caractère secondaire de notre travail ; bien souvent, nous avons conscience que ce que nous faisons est important, utile --- et bien souvent aussi, cela est vrai ; et pourtant le Christ nous invite à dire, «lorsque [nous avons] fait ce qui [nous] a été ordonné»: Nous sommes des serviteurs inutiles, nous avons fait ce que nous devions faire» (Lc 17, 10); étonnant paradoxe : si nous avons fait ce que nous devions faire, pourquoi sommes-nous «inutiles»? Parce que d'une certaine manière, et même si en l'occurrence Il m'a choisi comme son instrument, Dieu n'a pas besoin de moi ; me faire participer à Son oeuvre est une grâce supplémentaire qu'Il m'accorde. Donc ce qu'Il pourrait faire sans moi, Il peut le faire avec moi, à condition que je veuille bien «L'aider», en restant attentif à sa volonté; pas de crainte de ce côté-là, donc. Mais en même temps, prendre conscience de cela implique de ma part d'accepter une certaine gratuité dans le don : je suis serviteur inutile, mais je choisis d'être serviteur quand même, mystérieusement, et simplement par amour du Christ, pour répondre à son appel. Rude combat que celui-là: tout ce que le Seigneur me demande, c'est de tenir ma place et de demeurer dans Son amour ; cela passe, bien entendu, par des actes concrets, il ne s'agit pas d'être sur un nuage évanescent, en se désintéressant du monde et en niant notre responsabilité envers lui, en se disant : «De toute façon, je suis dans l'amour du Christ, alors ce que je fais n'a aucune importance.» Le Christ nous dit bien : «Tout sarment qui est en moi et qui ne porte pas de fruit, mon Père le retranche» (Jn 15, 2). Mais il s'agit d'oeuvrer de toutes nos forces pour servir Dieu, d'être jour et nuit en train de chercher le Royaume, en se disant : «De toute façon, je suis dans l'amour du Christ, alors ce que je fais n'a aucune importance.» Tout donner, en sachant que cela ne sert à rien. Mais tout donner quand même. Ainsi, nous pourrons peut-être affronter la tentation qui nous pousse à nous vouloir parfaits, à chercher à accomplir des «sans-faute», et à nous désoler lorsque nous nous plantons ; et nous pourrons au contraire accepter que c'est avec notre pâte humaine, si faible, si faillible, que le Seigneur travaille et qu'il fait de grandes choses. Il ne s'agit pas de rechercher la faute et de s'en réjouir ; mais d'accepter que la faute fait partie de notre condition, que quoi qu'il advienne, quelle que soit notre bonne volonté et l'ardeur de notre désir, nous commettrons des fautes, et que si nous restons fermement ancrés dans le Christ, cela, au fond n'a pas tant d'importance, puisque de toute façon, c'est par Lui, non par nous, que le monde est et sera sauvé.

Et cela nous invite encore à un détachement supplémentaire, le plus difficile peut-être : le détachement vis-à-vis du fruit de notre travail. Dans tout ce qui précède, nous tirons du détachement à l'égard de nous-mêmes la force et le réconfort face à notre faiblesse et à l'ampleur de la tâche ; il s'agit d'aller jusqu'au bout de cette logique de confiance et d'abandon. «J'ai planté, Apollos a arrosé, mais c'est Dieu qui a fait croître», dit Paul en 1 Co 3,6.

Heureux sommes-nous lorsque nous pouvons voir le fruit du patient travail accompli par d'autres ; et le Seigneur, qui sait notre faiblesse et notre inquiétude, nous donne parfois de voir le fruit de notre travail, et alors, quelle joie ! Cependant, bien souvent, il nous est demandé de semer, puis de laisser la terre où nous avons semé, sans avoir vu germer la semence, mais dans l'espérance qu'un autre viendra qui arrosera, et surtout que c'est Dieu qui donne la croissance. Ce détachement est plus difficile à vivre parce qu'il engage notre foi et nous demande d'abandonner véritablement tout souci d'efficacité, et de nous contenter de la certitude que nous avons essayé, comme nous l'avons pu, de nous mettre au service de notre Dieu, et qu'à partir de là, nous avons fait l'essentiel ; le reste, en quelque sorte, ne nous regarde pas, ne nous appartient pas : choisir de faire l'oeuvre de Dieu, c'est aussi choisir d'accepter que la mission qui nous a été donnée nous soit reprise, que le seul à avoir véritablement «un droit» sur cette oeuvre, ce soit le Seigneur lui-même. Cela implique aussi, parfois, de poser un acte sans en mesurer pleinement le sens, sans savoir très bien où cela nous conduit, nous et l'Église, simplement parce que nous sentons que c'est un acte d'amour et que le Seigneur nous appelle à l'accomplir ; le reste, ce qui en découlera, cela appartient encore au mystère de Dieu. Mais nous pouvons aussi y trouver une source de paix : si vraiment j'agis en faisant la volonté du Seigneur, alors mon oeuvre portera du fruit ; et si ce que je fais n'est pas la volonté du Seigneur, quelle importance que cela porte du fruit ou pas ? Dans tous les cas, le temps, l'énergie, les ressources que j'y aurais consacrés, auront été «donnés inutilement». Donc que je me réjouisse de mes oeuvres si elles sont accomplies dans l'Esprit de Dieu, mais sans excès, de peur de m'y attacher plutôt qu'au Christ ; et que je sois capable de reconnaître que là où je croyais suivre le Christ, c'était moi que je suivais, mais sans m'attarder dans le regret, uniquement pour reconnaître que j'ai besoin de me convertir et de me remettre à sa suite.



Concluons : ce qui caractérise le travail chrétien, c'est que Dieu y est présent partout : Il est à l'origine, dans l'appel, par ce que c'est Lui qui m'a placé là où je suis et qui m'a demandé de faire ce que j'ai à faire, parce que je reçois de Lui ma mission ; Il est au coeur de l'action, parce que c'est de Lui que je reçois mes forces, et qu'il me faut sans cesse me tenir en Lui et demeurer attentif à Sa volonté; Il est à l'aboutissement de mon travail, parce que c'est entre Ses mains que je remets mon oeuvre, et parce tout ce que je cherche, ce à quoi j'aspire et qui me comble enfin, c'est Lui.




Prends Seigneur et reçois
toute ma liberté et ma mémoire
mon intelligence et toute ma volonté
tout ce que j'ai et possède
Tu me l'as donné
à Toi seul je le rends tout est tien
disposes-en selon Ta volonté et donne-moi
Ton amour et Ta grâce
Ton amour et Ta grâce, c'est assez pour moi
Saint Ignace de Loyola




G. B.

Previous Up Next