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Solidarité internationale : le monde tient-il ses promesses ?

Conférence de Michel Camdessus aux Jeudis talas : compte-rendu

Emmanuel Monnet





Le 10 février dernier, Michel Camdessus, ancien président du FMI et président en titre des Semaines sociales de France, a donné une conférence dans le cadre des Jeudis talas. Introduisant notre campagne de carême, il a dressé un bilan réaliste et incisif des engagements pris par la communauté internationale en faveur du développement. M. Camdessus a commencé son intervention en retraçant l'historique des décisions prises pour lutter contre la pauvreté dans les pays du Tiers-Monde. La problématique de la solidarité mondiale n'est apparue qu'au lendemain de la Seconde guerre mondiale, dans le sillage des institutions internationales de Bretton Woods, puis dans un contexte de décolonisation généralisée. On privilégie alors l'assistance, les pays industrialisés cherchant à exporter leur propre modèle de développement : planification plus ou moins contraignante pour les uns, économie de marché pour les autres. Ce n'est qu'après les chocs pétroliers et la crise économique des années soixante-dix, mais surtout les crises financières planétaires telles que la crise asiatique, que cette conception est remise en cause. On prend conscience de l'interdépendance des économies nationales dans un cadre mondialisé, la pauvreté et l'instabilité des pays marginalisés rendant vulnérable les pays les mieux protégés. Au milieu des années quatre-vingt dix, il apparaît clairement que les pays sont solidaires de fait.

C'est pouquoi au tournant du siècle, le concept de partenariat se substitue à celui d'assistance en matière de coopération internationale. Le partenariat est un dialogue d'égal à égal, quelle que soit la condition économique des pays impliqués ; il implique que le pays pauvre puisse faire lui-même ses choix. C'est une tentative pour dépasser les clivages de domination habituels. La notion s'impose au sommet de Gênes en 2001. S'y adjoignent les préoccupations de développement durable et de démocratisation. Les Objectifs du Millénaire, adoptés à la suite de la Déclaration du Millénaire1 de décembre 2000 à l'ONU, témoignent des ces ambitions nouvelles. On peut en rappeler ici les grandes lignes : Aujourd'hui, alors qu'on fête le cinquième anniversaire de la Déclaration du Millénaire2, que sont devenus ces engagements ? M. Camdessus, s'il se refuse à tout pessimisme, ne cache pas l'ampleur du chemin qui reste à parcourir. Globalement, si un certain nombre de pays tels que l'Inde ou la Chine semblent sortir du sous-développement à une allure satisfaisante, d'autres en revanche souffrent de tous les méfaits de la mondialisation : exode des cerveaux, fardeau de la dette, pandémies, inertie économique. Des initiatives remarquables ont oeuvré à une meilleure organisation régionale des pays traditionnellement isolés, avec par exemple la consolidation de l'Union africaine. Mais certains objectifs demeurent en friche, en matière de préservation de l'environnement ou de réduction des inégalités entre hommes et femmes en particulier. En général, les avancées sont bien trop lentes ; au rythme actuel, ce n'est pas en 2015 que la pauvreté africaine aura diminué de moitié mais... en 2147. Quant à l'objectif de réduction de la mortalité infantile, il ne serait atteint qu'en 2165. M. Camdessus explique que la priorité, dans bien des cas, est encore de maintenir la paix, condition indispensable à tout essor économique, mais aussi la formation d'élites compétentes. Surtout, il est intolérable que les pays développés ne tiennent pas leurs promesses, alors qu'eux seuls auraient véritablement les moyens d'honorer leurs engagements. Il y a trente ans déjà, ceux-ci s'étaient fixés pour objectif une participation à l'aide internationale à hauteur de 0,7 % du PIB des pays développés ; aujourd'hui, la moyenne des pays de l'OCDE se situe autour de 0,3 %, la France à 0,44 %, les Etats-Unis à 0,1 %. On pourrait objecter qu'un tel investissement entre en contradiction avec certaines priorités nationales parfois importantes pour ces pays. M. Camdessus ne le nie pas : nous devrons sacrifier une peu de notre prospérité pour donner toutes ses chances à une véritable solidarité mondiale.

Il faudra sans doute une forte mobilisation de l'opinion politique mondiale. Les Européens devront peut-être aller au devant des frilosités américaines. M. Camdessus estime que c'est pourtant là le véritable projet de l'Union Européenne, à laquelle il attribue une vocation d'ouverture, à la suite de Jean-Paul II et de l'économiste François Perroux. Ce n'est qu'à sa résolution pour combattre la pauvreté qu'on reconnaîtra les valeurs profondément chrétiennes de l'Europe, un peu à la manière dont le Christ s'est révélé aux pèlerins d'Emmaüs : en partageant le pain.

Mettre en oeuvre les objectifs du Millénaire ne doit pas seulement signifier le maintien d'une certaine cohérence dans les orientations prises pour le développement et la réduction de la pauvreté dans le cadre des Nations Unies. Il en va bien plus gravement de la survie de la communauté mondiale, qui, comme toutes les sociétés humaines, ne repose que sur des relations de confiance, sur le respect d'une parole donnée.
E.M.

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