Précisions sur des prises de positions
qui pourraient prêter à confusion.
P.L.
Rien ne vaut une critique constructive pour reconnaître ses
erreurs. Ayant reçu des commentaires enthousiastes, mais aussi sceptiques,
et inquiets, sur mon dernier papier, publié dans le numéro d'Épiphanie du
Sénevé, je juge bon d'apporter quelques précisions sur certains
points.
1. Présentation des critiques reçues.
1.1. Donner du crédit au discours bloyen, c'est faire une
apologie de l'intolérance.
1.2. Remettre au goût du jour Léon Bloy, c'est faire le jeu de
l'intégrisme catholique.
1.3. L'imprécation ne peut pas être un mode habituel du discours;
elle contribue à faire, de quelques prophètes,un peuple d'intolérants.
1.4. Dénoncer la tiédeur sur le mode du jeu de massacre est
contre-productif.
2. Quelques éléments de réponse, et de sérieuses nuances.
2.1. Il est effectivement possible de lire Bloy comme un
apologiste de l'intolérance. Je ne crois pas que cette lecture soit la
bonne, et c'est n'est absolument pas celle que j'ai voulu présenter. Il
est vrai que j'ai eu tort de ne pas mettre en garde mes lecteurs, dans
l'article incriminé, sur, par exemple, la position de Bloy à l'égard du
protestantisme. Il va de soi que ses propos, sur ce point, sont
inacceptables, et ne constituent en rien à mes yeux une position légitime,
bien au contraire. Il s'agit de polémiques datées, vaines, ridicules et
dangereuses.
2.2. Si les intégristes catholiques reprennent Bloy à leur
compte, c'est qu'ils en font une lecture tronquée, amputée de l'essentiel.
Ceci pour deux raisons. D'une part, Bloy critique abondamment, et sans
ambages, les groupuscules et les courants de pensée d'où ont émergé, plus
tard, les actuels intégristes (Barrès, l'Action Française, ... ). D'autre
part, et contrairement aux intégristes, Bloy a une conscience
ecclésiale très développée, liée à une pratique sacramentelle régulière;
même déçu ou révolté par l'Église de son temps, il lui reste profondément
fidèle, et n'a jamais encouragé aucune fronde ou dissidence.
2.3. Je reconnais tout à fait que l'on ne doit pas conseiller
l'imprécation comme forme de discours, ni la laisser dans toutes les
mains, et même, sans aucun doute, en contrôler et réguler l'usage, autant
que possible. Sa seule fonction positive est de nous décrasser des
idéologies ambiantes, mais elle peut aussi s'attaquer à l'essentiel et le
détruire. Elle ne saurait donc en aucun cas se substituer à un discours
argumenté, précis, méticuleux et patient.
2.4. C'est, effectivement, à certains égards, contre-productif.
C'est également dangereux, surtout quand un individu isolé s'arroge ce
droit : toute dénonciation, pour être constructive et non stérile, devrait être
canalisée par la communauté tout entière, portée par elle, et dirigée à
son propre égard. Je ne prétends donc pas que la posture bloyenne soit
universalisable, et déplore que certains puissent le penser. Je fais, pour
mon compte, un usage <<thérapeutique>> de Bloy, strictement personnel, me
reconnaissant bien, malheureusement, dans ceux qu'ils critiquent.
3. Comment lire Léon Bloy ?
3.1. Une fonction critique.
3.1.1. Je souhaitais simplement contester la définition trop
simple de l'athéisme comme d'un rejet. Je maintiens que l'athéisme
contemporain n'est pas un rejet, puisqu'à peine cinquante pour cent de
notre génération a été catéchisée. Il s'agit, et c'est bien plus grave,
d'un athéisme
d'ignorance (y compris parmis les catéchisés); dire que les gens
<<rejettent>> le Christ, c'est se méprendre, et partir d'un présuppposé
sociologique qui considère que nous vivons dans un pays où le
christianisme est encore dominant. C'est peut-être encore vrai à Paris
(j'en doute), mais plus ailleurs, et ce depuis au moins vingt ans. Dans
cette mesure, je souhaitais montrer qu'il est trop facile et trop
confortable de tenir un tel discours; la posture bloyenne me semblait
constituer, à simple titre d'exemple, un contrepoint singulier, mais je
n'y attache pas, en tant que telle, une valeur particulière.
3.1.2. Je souhaitais donc faire un usage simplement critique de
Bloy (comme on peut faire un usage simplement critique de Nietzsche,
c'est-à-dire prudent et partiel), par exemple à l'égard d'une pastorale
qui aurait trop tendance à identifier christianisme et bonheur. Je défends
la
possibilité d'être chrétien et malheureux, non pas que j'en fasse
une loi générale, mais parce que je crains que ceux qui se trouvent dans
ce cas
de figure ne se sentent rejetés par leurs trop joyeux coreligionnaires.
C'est la raison pour laquelle je me suis toujours méfié des grandes
manifestations collectives, et que je persiste dans cette défiance. Là
encore, Bloy me semblait un contrepoint intéressant.
3.2. Une fonction constitutive ?
La seule chose positive qui me semble vraiment intéressante, qui
donc me semble pouvoir être un élément constitutif, et non simplement
critique, dans l'usage prudent que je propose de Bloy, c'est son
identification, très profonde, de la vie sacramentelle à la
vie physiologique. Il est vrai qu'il n'est pas
le seul à l'avoir fait, mais son Journal me semble intéressant sur
ce point, car on peut y voir les conséquences quotidiennes d'une telle
identification.
Conclusions.
Ainsi s'explique la non-réception de Bloy : monopolisé, soit par les
anarchistes qui le lisent sans le Christ, soit par les intégristes qui le
lisent sans l'Église, il ne doit effectivement pas être mis en toutes les
mains. Son usage constant de l'expression <<Peuple de Dieu>> était
pourtant
très novateur, et annonçait bien des réformes à venir dans la vie
ecclésiale. Je ne propose donc, en dernière instance, qu'un usage
personnel et <<curatif>> de
Bloy, dont il convient, par ailleurs, de se méfier constamment. La
violence de ses propos reste inadmissible; et j'ai commis une grave erreur
en ne disant pas à mes lecteurs que l'imprécation ne devait, en aucun cas,
être une forme normale du discours.
Seigneur mon Dieu je te rends donc grâce de m'avoir donné des détracteurs
méticuleux, attentifs, patients, pleins de sollicitude, et charitables.
Grâce à eux, grâce à toi, je connais mon erreur. Grâce à toi, grâce à eux,
je peux m'amender, m'approcher de toi, apprendre l'humilité et la
douceur. Puissé-je apprendre cette humilité et cette douceur, qui me
manquent tant, toujours davantage. Amen.
P. L.