L'Église et le génocide au Rwanda
La rédaction du Sénevé vous propose ce témoignage direct et honnête
des événements rwandais. L'auteur, demeurant au Rwanda, a demandé à rester
anonyme, la liberté d'expression y étant inconnue.
Brève situation du contexte
Le Rwanda est un petit pays (26 388 km2) de
l'Afrique des grands lacs. C'est le pays le plus densément peuplé de
l'Afrique. En août 2002, le recensement officiel a dénombré 8 250 000
habitants. La densité de la population est donc de plus de 310 habitants
par kilomètre carré. Le Rwanda a un des taux de natalité les plus élevés
de l'Afrique. La population se double en une génération.
Les Pères blancs sont arrivés au Rwanda en février 1900. Les protestants
de nombreuses Églises sont venus ensuite et ont métamorphosé la société
rwandaise à un tel point que plus de 80 % de la population rwandaise se
réclame du Christ (catholiques environ 60 %, autres confessions
chrétiennes 20 %) et toute la culture rwandaise est visiblement marquée
par la foi chrétienne.
C'est une société marquée par des conflits liés notamment à la répartition
des richesses, au partage du pouvoir et aux activités économiques. Dans
la société rwandaise, l'histoire nationale est inséparable de l'histoire
de l'Église. L'Église a été mêlée aux troubles du pays.
Depuis l'indépendance (1962)
Surtout depuis l'indépendance, l'Église a diffusé à large échelle son
enseignement social et celui de l'action catholique (Légion de Marie,
JOC, action familiale, Ligue du Sacré-Coeur...), véritable école de
conscientisation populaire. Ce fut alors pour l'Église le temps
d'élever la voix pour dénoncer les injustices de l'époque et les
inégalités qu'elles généraient. Il y a, au Rwanda, un conflit depuis
longtemps entre la classe dirigeante et la classe des roturiers.
Ceux-ci se taisent à cause de la peur. À certaines époques, ils
s'expriment d'une façon violente. À ces époques, l'enseignement de
l'Église a beau être réconciliateur et appeler tous les fidèles à
l'amour du prochain, cela n'empêche pas la violence de se déchaîner.
Pour mieux accomplir sa mission, l'Église a, dès le début, préféré
être en bon termes avec les régimes en place. Les régimes, de leur
côté, se sont appuyés sur l'autorité morale de l'Église et sur son
action sociale pour asseoir leur politique. Après l'indépendance de
1962, les Églises, catholique et protestantes, avaient des relations
intimes et de soutien au système politique monolithique du parti M.D.R.
(mouvement démocratique rwandais) du temps du président hutu Grégoire
Kayibanda, puis, depuis 1973, du parti M.R.N.D. (mouvement
révolutionnaire national de développement) du président hutu Juvénal
Habyalimana.
Cependant, les droits humains étaient souvent considérablement
violés. Les Églises étaient les seules forces sociales organisées
pouvant dénoncer ou s'opposer aux abus des régimes. Ce rôle n'a pas
toujours été assumé. Avant 1959, le conflit se faisait entre tutsi
au pouvoir et hutu marginalisés. À partir de 1959, le
pouvoir politique a été transféré des tutsi aux hutu. La période qui
alla jusqu'en 1990 fut un temps où le ressentiment augmenta et où on
prépara la vengeance qui allait entraîner tout le peuple rwandais
dans l'horreur de 1994.
Depuis 1990
À partir de 1990, la violence couvrit à nouveau le Rwanda. Le régime
actuel (tutsi) a pris le pouvoir en 1994. Le décompte des morts et
des réfugiés de cette période troublée est effrayant : plus d'un
million de morts (sur une population d'environ huit millions) et de
très nombreux réfugiés. Les citoyens qui se sont entretués sont à
environ 80 % chrétiens. L'Église institutionnelle a été prise dans
le tourbillon de la violence qui se déchaîne sur ce pays. Elle a été,
à certaines époques, prise pour cible par les deux camps qui
s'affrontaient. D'après l'annuaire ecclésiastique du Rwanda, en 1994,
le Rwanda comptait 9 diocèses cathliques avec 582 prêtres au service
de l'Église. Quatre évêques sur les neuf ont été tués. Un cinquième
a été injustement gardé en prison pendant toute une année. Il y eut
120 prêtres tués, 40 religieux tués, plus de 60 religieuses tuées.
Chaque camp s'est à un moment attaqué à l'Église, qui a été prise comme
bouc émissaire. De 1990 à janvier 1995, les évêques catholiques du Rwanda
ont publié ensemble quatorze documents importants (sans parler des autres
écrits des évêques ou des homélies) où ils ont insisté sur les valeurs
chrétiennes telles l'amour, la paix, la justice, la vérité, la
réconciliation, le pardon. Mais lorsque la violence se déchaîne, l'Église
est désarmée. Son message d'amour, de justice, de non-violence est
considéré par les antagonistes comme un non-sens. À ce moment, la
violence appelle la violence. C'est la seule logique. Ainsi dans des
situations de guerre comme celle qui prévalait au Rwanda (société
bipolarisée) depuis 1990, on ne peut pas nier que quelques fils et filles
de l'Église, même de l'élite catholique, se soient engagés d'un côté ou de
l'ature. Certains ont certainement cédé aux sentiments de haine, de
vengeance, de calomnie, de délation, etc. Heureusement, il y a
toujours, des deux côtés, « un reste », qui a refusé cette violence et
qui, souvent au prix de leur vie, a recherché une voie de sortie.
Conclusion
Pour conclure, je cite ces paroles du pape, prononcées le 13 décembre
2002, dans un discours adressé au nouvel ambassadeur du Rwanda auprès
du Saint-Siège. Le pape dit notamment : «Il faut éviter d'attiser la haine
en exacerbant les inégalités entre les personnes et entre les
communautés ethniques. Il s'agit de permettre aux Rwandais de
s'engager avec confiance et détermination sur la voie de la
réconciliation et du partage. Cela suppose notamment de renoncer à
l'ethnocentrisme qui engendre la domination des uns sur les autres. »