Le Rosaire
Mathilde Colin de Verdière
En même temps que le comité de rédaction du Sénevé me chargeait (un peu
arbitrairement...) d'écrire un article sur le Rosaire, Jean-Paul II avait
la très bonne idée de publier la Lettre Apostolique Rosarium Virginis
Mariae où il proclame l'année qui va d'octobre 2002 à octobre 2003 «Année
du Rosaire». Mon article s'inspirera donc largement de cette Lettre, que je
vous conseille en fait vivement d'aller lire (www.vatican.va).
D'abord, qu'est-ce que le rosaire ?
Le rosaire, initialement, est une adaptation de la récitation de la
liturgie des heures aux laïcs, qui, ne pouvant réciter les 150 psaumes, les
remplacèrent par autant de «Je vous salue Marie».
Les réciter à la suite ne présentant que peu d'intérêt, la Tradition de
l'Église en a fait une prière méditative toute centrée sur le Christ à
travers la méditation de «mystères», c'est à dire de petites scènes de
l'Évangile, à chaque dizaine de «Je vous salue Marie».
Quand on récite un chapelet, on fait le choix d'un cycle de cinq mystères :
les mystères joyeux, les mystères douloureux ou les mystères glorieux,
dont on médite un épisode à chaque dizaine. En fait la Tradition de l'Église a pensé à tous ceux qui ne pouvaient
réciter le Rosaire entier, c'est-à-dire les trois chapelets dans la même journée, et
nous propose de méditer les lundis et jeudis les mystères joyeux, les
mardis et vendredis les mystères douloureux et les mercredis, samedis et
dimanches les mystères glorieux.
Les cinq mystères joyeux sont :
-
l'Annonciation (Lc 1, 26-38) ; fruit du mystère l'humilité ;
- la Visitation (Lc 1, 39-56) ; fruit du mystère l'amour du prochain ;
- la Nativité (Lc 2, 1-21) ; fruit du mystère l'esprit de pauvreté ;
- la Présentation de Jésus au Temple (Lc 2, 22-40) ; fruit du mystère
l'obéissance (c'est-à-dire offrande de soi) et la pureté ;
- le Recouvrement de Jésus au Temple (Lc 2, 41-51) ; fruit du mystère la
recherche de Dieu en toutes choses.
Les cinq mystères douloureux :
-
l'Agonie de Jésus (Lc 22, 39-46) ; fruit du mystère le regret de nos
fautes ;
- la Flagellation (Jn 19, 1) ; fruit du mystère le pardon de nos péchés
d'impureté ;
- le Couronnement d'épines (Mt 27, 27-31) ; fruit du mystère l'humilité ;
- le Portement de croix (Lc 23, 26-30) ; fruit du mystère l'acceptation de
nos peines ;
- le Crucifiement et la mort de Jésus (Lc 23, 33-44) ; fruit du mystère un
plus grand amour du Christ.
Les cinq mystères glorieux :
-
la Résurrection (Lc 24, 1-12) ; fruit du mystère la Foi ;
- l'Ascension (Lc 24, 50-53) ; fruit du mystère un plus grand désir du Ciel
;
- la Pentecôte (Ac 2, 1-13) ; fruit du mystère la venue de l'Esprit Saint
en nos âmes ;
- l'Assomption de la Vierge (Ap 12, 14-16) ; fruit du mystère la grâce
d'une bonne mort ;
- le Couronnement de Marie au ciel (Ap 12, 13) ; fruit du mystère un plus
grand amour de Marie.
Voilà donc à quoi ressemble la récitation du chapelet :
À chaque nouvelle dizaine on énonce d'abord le mystère que l'on va méditer
(par exemple la Visitation) ; on lit le passage biblique correspondant
(ici Lc 1, 39-47), «avec la certitude qu'elle est Parole de Dieu,
prononcée pour aujourd'hui et pour moi», lecture que l'on fait suivre d'un
petit temps de silence pour méditer.
Vient ensuite la prière vocale.
«En chacun de ses mystères Jésus nous conduit toujours vers son Père»,
donc la dizaine commence tout naturellement par la prière du Notre Père.
On arrive ensuite à la partie principale : la dizaine de «Je vous salue Marie»
(que l'on peut compter en faisant glisser entre ses doigts les grains du
chapelet ou sur ses doigts...).
La conclusion de la dizaine est la doxologie trinitaire : Gloire au Père,
au Fils et au Saint-Esprit, comme Il était au commencement, maintenant et
toujours, dans les siècles des siècles, Amen, le «point d'arrivée de la
contemplation chrétienne».
(Et on recommence !)
Pourquoi prier le chapelet ?
Sans la contemplation le rosaire est un corps sans âme et sa récitation
court le danger de devenir une répétition mécanique de formules et d'agir
à l'encontre de l'avertissement de Jésus : «quand vous priez, ne rabâchez
pas comme les païens, ils s'imaginent qu'en parlant beaucoup ils se feront
mieux écouter.» Par nature la récitation du Rosaire exige que le rythme
soit calme et que l'on prenne son temps afin que la personne qui s'y livre
puisse mieux méditer les mystères de la vie du Seigneur, vus à travers le
coeur de Celle qui fut la plus proche du Seigneur et qu'ainsi s'en
dégagent les innombrables richesses. (Paul VI)
C'est ce que Jean-Paul II développe tout au long de Rosarium Virginis
Mariæ.
Le but du Rosaire est de nous aider à contempler le Christ. Contempler,
c'est d'abord se souvenir des oeuvres accomplies par Dieu dans l'histoire
du Salut ; mais c'est aussi et surtout se rappeler que ces événements
passés sont «l'aujourd'hui du Salut», c'est par la méditation «s'ouvrir à
la grâce que le Christ nous a obtenue par ses mystères de vie, de mort et
de Résurrection».
La succession des mystères ayant ainsi pour but de nous faire connaître le
Christ, le Pape nous propose d'ajouter à la méditation classique du
Rosaire (qui passe sans transition des Évangiles de l'Enfance à la
Passion) un nouveau cycle de mystères, dit mystères lumineux, pour prendre
en compte les trois années de ministère public du Christ. En voici la
liste :
-
le Baptême du Christ (Mt 3, 13-17),
- les noces de Cana (Jn 2, 1-12),
- l'annonce du Royaume de Dieu et l'invitation à la conversion (Mc
1, 14-15),
- la Transfiguration (Lc 9, 28-35),
- l'institution de l'Eucharistie (Jn 13, 1s).
D'où une proposition de nouvelle répartition dans la semaine : les lundi
et samedi, mystères joyeux ; les mardi et vendredi les mystères douloureux
; le jeudi les mystères lumineux, et les mercredi et dimanche les mystères
glorieux.
Chaque «Je vous salue Marie» lui-même est également une prière au Christ ;
en effet la première partie de l'Ave Maria provient des paroles de
salutation de l'Ange et d'Élisabeth, salutation à Marie mère du Sauveur,
contemplation du mystère de l'Incarnation du Christ.
C'est ainsi que le «centre de gravité de l'Ave Maria est le nom de Jésus»,
par lequel se fait le lien au mystère que l'on est en train de contempler.
Ainsi donc le Rosaire est une prière nettement christologique.
Le Rosaire est également une prière mariale. C'est en effet contempler le
Christ avec les yeux de Marie, regard tantôt interrogatif (lors du
recouvrement de Jésus au Temple par exemple), pénétrant comme à Cana,
douloureux parfois (au pied de la Croix), radieux ou ardent (à la
Pentecôte). Marie a «vécu» le Rosaire tout au long de sa vie, «retenant
tous ces événements et les méditant dans son coeur» (Lc 2,19), et ne cesse
de proposer aux croyants de contempler les mystères du Christ au travers
de la méditation du Rosaire. Enfin le Rosaire est à la fois méditation et
supplication ; «dans le Rosaire tandis que nous la supplions Marie se
tient pour nous devant le Père et le Fils, priant avec nous et pour nous.»
Une objection classique au Rosaire est son caractère nettement répétitif.
Mais comme le souligne le pape «on peut considérer le chapelet comme
l'expression d'un amour qui ne se lasse pas de se tourner vers la personne
aimée par des effusions qui, même si elles sont toujours semblables dans
leur manifestation, sont toujours neuves par le sentiment qui les anime»
tout en précisant que si la succession des «Je vous salue Marie» s'adresse à
Marie, l'acte d'amour, lui, s'adresse au Christ.
Et le pape de prendre comme exemple la traditionnelle prière du pèlerin
russe...
Pour conclure Jean-Paul II recommande à l'efficacité de cette prière la
cause de la paix dans le monde et celle de la famille.
Le Rosaire est une prière orientée par nature vers la paix, du fait même
qu'elle est contemplation du Christ, Prince de la paix et «notre paix» (Ep
2, 14). Celui qui assimile le mystère du Christ --- et le Rosaire vise
précisément à cela --- apprend le secret de la paix et en fait un projet de
vie. En outre, en vertu de son caractère méditatif, dans la tranquille
succession des «Je vous salue Marie», le Rosaire exerce sur celui qui prie
une action pacificatrice qui le dispose à recevoir cette paix véritable,
qui est un don spécial du Ressuscité, et à en faire l'expérience au fond
de son être, en vue de la répandre autour de lui.
Le Rosaire est aussi une prière de paix en raison des fruits de charité
qu'il produit. S'il est bien récité comme une vraie prière méditative, le
Rosaire, en favorisant la rencontre avec le Christ dans ses mystères, ne
peut pas ne pas indiquer aussi le visage du Christ dans les frères, en
particulier dans les plus souffrants. Comment pourrait-on fixer, dans les
mystères joyeux, le mystère de l'Enfant né à Bethléem sans éprouver le
désir d'accueillir, de défendre et de promouvoir la vie, en se chargeant
de la souffrance des enfants de toutes les parties du monde ? Comment,
dans les mystères lumineux, pourrait-on suivre les pas du Christ qui
révèle le Père sans s'engager à témoigner de ses béatitudes dans la vie de
chaque jour ? Et comment contempler le Christ chargé de la Croix et
crucifié sans ressentir le besoin de se faire le «Cyrénéen» de tout frère
brisé par la souffrance ou écrasé par le désespoir ? Enfin, comment
pourrait-on fixer les yeux sur la gloire du Christ ressuscité et sur Marie
couronnée Reine sans éprouver le désir de rendre ce monde plus beau, plus
juste et plus proche du dessein de Dieu ?
En réalité, tandis qu'il nous conduit à fixer les yeux sur le Christ, le
Rosaire nous rend aussi bâtisseurs de la paix dans le monde. Par sa
caractéristique de supplication communautaire et insistante, pour réponde
à l'invitation du Christ «à toujours prier sans se décourager» (Lc 18,
1),
il nous permet d'espérer que, même aujourd'hui, une «bataille» aussi
difficile que celle de la paix pourra être gagnée. Loin d'être une fuite
des problèmes du monde, le Rosaire nous pousse à les regarder avec un
oeil
responsable et généreux, et il nous obtient la force de les affronter avec
la certitude de l'aide de Dieu et avec la ferme intention de témoigner en
toutes circonstances de «l'amour, qui lui fait l'unité dans la perfection»
(Col 3, 14).
Et en conclusion je vous invite vraiment à aller lire la Lettre
Apostolique Rosarium Virginis Mariae ; Jean-Paul II y dit beaucoup plus de
choses et beaucoup mieux !
M.C. de V.