La vocation du mariage
Éléments de réflexion
Laure et Alexandre Solignac, tout jeunes mariés
Stricto sensu, il n'y
a qu'une seule et unique vocation humaine, la
vocation à la sainteté. Plusieurs états de vie se présentent alors à
nous pour répondre à cet appel unique et fondamental qui est d'ailleurs
d'essence nuptiale (toute âme étant appelée à l'union intime, totale et
éternelle avec l'Époux divin) : le sacerdoce, la consécration
religieuse, le mariage. Les états de vie sont, lato sensu, des
«vocations» spécifiques qui, de fait, sont également des
réponses à un
appel spécifique de Dieu. Pendant longtemps, et à quelques exceptions
près, on a considéré que le mariage était un état de vie
«inférieur» au sacerdoce et à la vie « religieuse»
(comme si le mariage chrétien
n'était pas lui aussi une vie religieuse), mais aujourd'hui, le mariage
est autant valorisé par le magistère que le célibat pour le Royaume,
même s'il s'apparente davantage à l'escalier qu'à l'ascenseur, pour
reprendre les termes de sainte Thérèse de Lisieux. Quelle est donc la
particularité du chemin de sanctification que propose la vocation du
mariage chrétien ? Par ailleurs, comment discerner l'appel à cet état de
vie, tout aussi mystique et tout aussi difficile qu'un autre ?
Les livres aujourd'hui ne manquent pas sur la théologie du mariage, et nous
renvoyons le lecteur au Catéchisme et à ces ouvrages1 pour de plus amples
développements. On se contentera ici de brosser à grands traits la vocation
chrétienne du mariage.
Toute vie est vocation. Si l'on a l'habitude de parler du sacerdoce ou
de la vie religieuse comme d'une vocation, d'un appel particulier de la
part de Dieu, c'est bien parce que cela n'est pas normal, et que la
norme --- ou, si l'on préfère, la nature --- est de se marier. Le
mariage
est donc bien d'abord un état naturel entre l'homme et la femme, tandis
que le célibat pour le Royaume existe pour manifester dans le visible la
présence vivante et agissante de l'invisible Dieu ainsi que la communion
des saints, puisque comme chacun sait, au Ciel, on ne se marie pas, Dieu
étant tout en tous. De fait, si l'on remonte aux origines, suivant en
cela l'enseignement de Jésus (cf. Mt 19, 1-12 e.g.), nature et surnature
ne font qu'un dans la vocation nuptiale de l'être humain : «il
n'est
pas bon que l'homme soit seul». Jean-Paul II dit ainsi que le
mariage
est le sacrement primordial, car toute personne humaine est créée pour
vivre en communion avec un autre, qu'il s'agisse de Dieu ou d'un autre
être humain. La donnée fondamentale de l'anthropologie chrétienne est
donc l'Alliance, la communion entre des personnes dont la plus haute
faculté est d'aimer un autre que soi-même. L'Église reconnaît d'ailleurs
que le mariage naturel est bon, car il correspond au projet de Yahvé aux
origines. Mais de là à se marier à l'Église, il faut franchir un pas,
celui de l'histoire du Salut. La Chute en effet altéra gravement la
relation entre l'homme et la femme : les premières conséquences du péché
originel ne sont-elles pas la honte d'être nus l'un devant l'autre, et
la domination de l'homme sur la femme ? Jean-Paul II décrit bien cette
altération de l'union humaine après la chute dans ses divers
enseignements, notamment dans Mulieris dignitatem. Le Saint-Père
explique également tout ce que la Rédemption a apporté au mariage :
certes, les conséquences du péché originel demeurent, mais l'union de
l'homme et de la femme est nettement surélevée par rapport à ce qu'elle
était à l'origine. La Rédemption, dont l'Église est le signe perpétuel,
scelle dans le Sang du Christ la nouvelle Alliance et la nouvelle
Création : désormais, dans le Christ, moyen est donné à l'homme et à la
femme de réaliser pleinement par leur union l'image de Dieu qu'ils sont,
mais aussi de manifester dans le monde la plénitude de l'amour du Christ
pour l'Église.
À l'image de la Trinité, l'homme et la femme ont vocation à s'aimer
indissolublement, et c'est là le coeur de l'image de Dieu en l'être
humain. Le mariage chrétien est un sacrement car il manifeste la réalité
mystique de l'Union primordiale de Dieu et de l'humanité, ainsi que
celle du Christ et de l'Église. C'est pourquoi il constitue pour
l'Apôtre le magnum sacramentum, le mégalon mustérion au
centre de
l'histoire du Salut. Par les trois dimensions du mariage que sont la foi
(fides), la fécondité (proles) et le mystère ou sacrement (sacramentum),
saint Augustin quant à lui manifeste que toute la vie des époux est
ordonnée par la foi au mystère du Christ Sauveur mort et ressuscité. Il
s'agit en effet pour eux, dans la communion de leurs personnes, de
rendre crédible l'amour de Jésus pour Son Église, rien de moins. Encore
davantage que la restauration de l'«unité des deux» des
origines entre
Adam et Ève sortis des mains de Dieu, le sacrement du mariage fait des
époux un seul coeur et un seul esprit, à l'image du Coeur unique de Jésus
et de Marie (selon la belle idée de saint Jean Eudes), le nouvel Adam et
la nouvelle Ève qui engendrent dans l'Église la Création nouvelle.
Redescendons un instant de ces hauteurs mystiques, et voyons brièvement
pour finir comment discerner la vocation particulière du mariage pour
soi-même. La liberté humaine rend difficile de donner des critères pour
reconnaître cet appel, tant il est certain que les époux sont à la fois
l'un à l'autre prédestinés de toute éternité et que leur rencontre et
leur union sont déterminées par des éléments contingents comme le
charme, la tenue, son sourire à lui ou son parfum à elle ce soir-là ?
La
liberté est en effet un critère essentiel de la vocation du mariage,
associée à la volonté, puisque aimer est, dans la durée, vouloir aimer
pour toute la vie. D'une manière générale, c'est sans doute dans l'état
de vie où l'on a le plus de joie profonde à s'imaginer vivre que réside
la vocation. La prière et la confiance totale en Dieu font le reste, les
rencontres étant, comme toute chose, des signes adressés à notre liberté
et à notre volonté, que Dieu respecte infiniment. Le mariage en tant que
vocation permet alors de trouver son ordre et sa place dans l'existence
et dans l'Église : la communion des personnes et la merveille de se voir
déléguer par Dieu le pouvoir de cause seconde dans la procréation, pour
donner au Seigneur de nouveaux enfants.
L. et A.S.