Devenir curé de campagne à l'heure de la retraite
Entretien avec l'abbé Lelong, prêtre de la paroisse Saint
Martin d'Artois, du doyenné d'Artois ouest, dans le diocèse d'Arras.
Marie-Amélie Dutheil de la Rochère
Le diocèse d'Arras
Sénevé --- Comment vous est venue votre vocation ? Elle est
assez étonnante !
Père Lelong --- Oui ! On peut certainement dire que c'est quand
même une vocation. C'est un appel de l'Eglise ; après tout, il y a
différentes portes. C'est l'Eglise qui m'a appelé à cela. Et après ma
retraite, je l'ai mis en route, timidement. Car j'avais eu un frère qui
était allé au séminaire : il a fait quatre années de rattrapage, il
était dans sa troisième année au grand séminaire, on lui a demandé
d'arrêter, et je l'avais mal vécu, un peu dans l'incompréhension. C'est
pour cela que dans mon équipe d'accompagnement, j'ai toujours dit : «
Le plus surpris, c'est moi !». Les choses se sont renversées ; c'est
un mystère dans toute vie : on est quelquefois étonné de se retrouver là
où l'on est. C'est tout de même une vocation, même si on la minimise
parfois par rapport à celle d'un jeune. On a cheminé autrement. On ne
peut rien élever, rien rabaisser : c'est autrement. Il ne faut pas
comparer. On avait peut-être quand même toujours un germe en soi, c'est
possible quand même, mais c'est vrai que c'est surprenant.
S. --- Ce n'a pas dû être très facile à prendre comme décision : c'est
un grand changement de vie !
P. L. ---Quand on a de l'âge, on s'engage, c'est sûr, mais cela paraît
un peu moins grand quand même, puisque ce n'est pas pour si longtemps !
Et puis on a déjà l'expérience d'avoir vécu. Ce qui étonne dans une
vocation, c'est, comme peut-être pour tout appel de Dieu, quand on croit
que des choses sont presque dépassées, oubliées, devenues impossibles,
et que ce sont des chemins qui s'ouvrent pour Dieu. Quand on croit que
c'est fini, c'est Dieu qui met en route. Je crois qu'il y a beaucoup de
gens qui font des expériences de cette nature. Du point de vue des
vocations, nous vivons un monde tout à fait nouveau chez nous : à
l'heure actuelle, il y a plus d'anciens qui arrivent que de jeunes. Les
choses sont telles. C'est ce qui se passe dans nos populations
occidentales. Ce n'est pas vrai en Amérique latine ou ailleurs. C'est
aller fort à l'encontre de l'esprit du monde.
S. --- On dit souvent que la retraite permet une vie plus tranquille...
P.L. --- Eh bien, c'est peut-être un germe : j'avais envie d'avoir une
retraite active. Quelquefois, on voit des gens prendre leur retraite et
dix-huit mois après, on ne les reconnaît plus, tant ils sont restés
limités. L'égoïsme ferme les portes à tout. On entend dire parfois «
profiter de sa retraite », « profiter de la vie » : ça n'existe
pas, il faut toujours donner. Et si l'on regarde bien autour de soi, on le
voit : un arbre porte des fruits, il donne, un oiseau fait son nid pour
avoir une progéniture, c'est comme ça partout, tout le monde donne. On
serait les seuls à ne pas donner ! C'était un aspect important pour moi.
Mais je me suis mis en route tout doucement pour « passer par la porte
étroite », avec tout de même un handicap.
S. --- Comment les gens ont-ils réagi autour de vous ?
P.L. --- On ne sait pas toujours tout ce qu'ils pensent ! Ils m'ont
étonné ; par exemple, parmi les jeunes que j'ai connus autrefois, une
femme m'a dit : « Ça ne m'a pas paru anormal ! ». On ne sait pas ce
qu'on représente aux yeux des autres.
S. --- Vous étiez déjà sans doute un témoignage.
P.L. --- Eh bien, oui et non. Mais pour cette femme, oui. Ça ne vient
tout de même pas d'un seul coup. J'étais célibataire, il y avait déjà
longtemps que j'étais catéchiste en 6ième. Ça prépare un petit peu. Je
suis allé pendant cinq ans à Lille à mi-temps. Les gens étaient au
courant. En l'an 2000, il y a eu le rite d'insertion. Aujourd'hui, le
diaconat permanent est revenu, beaucoup plus qu'avant. Les gens mariés
restent diacres, pour nous c'est encore autre chose ! Par la suite, je
ne sais pas comment les choses vont évoluer, si l'Eglise va accepter le
mariage des prêtres ; il y a d'autres gens pour en parler.
S. --- La vie de curé de campagne, est-ce que cela ressemble à ce que
vous pensiez ?
P.L. --- Non ! On ne peut jamais se représenter vraiment les choses. On
découvre toujours. Moi, je vais presque toujours chez les gens, c'est
très rare que je reçoive quelqu'un au presbytère, à Pas-en-Artois. Si,
en allant préparer un mariage, je me rends compte qu'il y a une mère ou
une belle-mère, un élément dominateur, alors là, je leur dis : « La
prochaine fois, vous viendrez à Pas. » L'homme quittera son père et sa
mère : il faut quand même les débrancher ! Mais autrement, j'aime bien
aller chez les gens. Il y a des aspects merveilleux. On ne croirait pas,
mais même des gens qu'on penserait lointains, ils ne sont pas si loin
que cela. Il y a encore bien des choses qui tiennent. Et quand on parle
de la cérémonie et ensuite des symboles, surtout pour le baptême, c'est
fou comme ça les captive quand même. Et c'est général, c'est comme ça
partout : ça se vit bien, les baptêmes. Pour les enterrements aussi, les
gens sont touchés. Même dans le mariage ! On fait cette remarque : les
jeunes dont les parents sont divorcés ou séparés, ils ont plus
conscience de ce qu'il faut, même si le milieu est un peu limité. Tout
ne s'apprend pas à l'école. René Devi disait : « Ah, ces professeurs
qui croient que tout s'enseigne ! ». Il y a des chemins dans la vie qui
enseignent également beaucoup. C'est une remarque, mais ceux qui n'ont
pas cette expérience d'aller parmi les gens, même les hommes d'Eglise,
ont vite fait de « planer ». Il faut descendre partout. C'est
merveilleux de connaître des milieux divers. Il faut s'adapter aux gens,
et s'enrichir partout.
S. --- De combien de clochers êtes-vous responsable ?
P.L. --- Trente-deux. Nous sommes trois, mais les deux autres prêtres
ont soixante-dix-huit ans... C'est une moyenne d'habitants ; ça fait
beaucoup de route quand même ! C'est très rural, ici. Dans le doyenné,
il y a quatre paroisses, avant on disait secteurs. Certaines sont plus
rurales, d'autres plus urbaines. Même à l'intérieur de notre paroisse de
trente-deux clochers, il y a le haut-canton et le bas-canton, qui ne
sont pas des réalités tout à fait identiques. Mais c'est beaucoup mieux de ne pas les avoir divisés : on se complète, et puis, il aurait
fallu deux lieux d'accueil. Honnêtement, on ne peut pas avoir d'a
priori. Parfois, il y a plus de racines, mais il reste une tradition
qui bloque. Chez nous, il y en a moins, peut-être, mais on accepte plus
facilement la nouveauté. C'est compliqué.
S. --- Au bout du compte, vous êtes content ?
P.L. --- Ah oui, c'est le point le plus important, d'être heureux dans
ce qu'on fait, trouver le bonheur dans chaque état qu'on a. Croiser des
milieux différents, c'est quelque chose de formidable ; je vais aussi à
la Maison d'Arrêt. Je n'aurais pas eu tout cela sans devenir prêtre.
Quand le Christ dit « Vous avez abandonné ceci, cela, vous avez déjà
été payés au centuple. », je me dis que c'est vrai. C'est un aspect que
l'on découvre tout de suite. On quitte des choses mais pour en trouver
d'autres : on ne saute pas dans le vide ! On ne peut pas arriver dans
une nouvelle fonction sans avoir des surprises. La diversité est très
grande, même entre prêtres. Je suis très différent de Claude Leroy qui a
été moine pendant plus de vingt ans. Il faut faire avec. Moi qui étais
agriculteur, qui ai vendu des cochons et des pommes de terre tous
azimuts, qui suis allé en Algérie, je n'ai rien à voir ! Sans y penser,
on a une approche des choses qui est toute différente. Mais après tout,
c'est bien. Il faut mettre beaucoup du sien. Pour moi, c'est une bonne
expérience d'être resté ici pour pouvoir se mettre tout doucement en
route. J'en connais un autre qui est arrivé à Bapaume d'un seul coup :
c'est déjà une autre affaire ; pour lui, ça convient peut-être. C'est
vrai qu'ailleurs, on est plus neuf. L'Évangile l'a dit : on n'est pas bon
prophète ni dans sa famille, ni dans son pays. En principe, on va faire
ce métier-là ailleurs. Mais c'est plus difficile. J'ai fait quelques
remplacements ailleurs dans le diocèse : c'est assez pour se rendre déjà
un petit peu compte, ça enrichit, c'est très bien. Il ne faut pas être
trop cloisonné. Avant, les prêtres pouvaient rester trente ou quarante
ans dans une paroisse, mais changer, c'est bien aussi.
S. --- Et vous, avez-vous l'intention de changer de paroisse ?
P.L. ---Ce n'est pas une intention. On fait ce qu'on nous demande. Ici,
c'est déjà très varié ; d'un bout à l'autre, ça fait bien trente
kilomètres. Pour vous, les jeunes, ça fait du bien d'entendre des choses
variées.
S. --- Avez-vous reçu une formation spéciale ?
P.L. ---Cet appel d'anciens, c'est propre au Pas-de-Calais. Je suis allé
longtemps au Centre Interdiocésain de Pastorale Catéchétique, commun à
tout le L.A.C.1, et un peu au grand séminaire.
Dans les premiers temps de l'Église, c'était un peu comme ça : les
prêtres, c'étaient les anciens. En principe, seul l'évêque consacrait,
disait la messe : pas les prêtres. Ça ne plaît pas toujours qu'on le
dise mais c'est comme ça : les prêtres n'ont pas le sacerdoce en
plénitude, c'est l'évêque qui l'a. Nous, nous sommes en quelque sorte
représentants de l'évêque. Ce sont les évêques qui sont les descendants
des Apôtres. C'est comme ça ! Mais par le baptême, tout le monde est
prêtre, prophète et roi, il ne faut pas l'oublier non plus ! Je l'ai vu
par mon frère, qui ensuite s'est marié, a adopté deux enfants car sa
femme ne pouvait pas en avoir : à son niveau, il a été prêtre quand
même, et ça lui a rendu service. On ne comprend pas tout de suite. On
fait l'histoire dix ans après, en laissant tout décanter. Sur le moment,
on ne voit pas bien : il faut relire, regarder autrement, et en étant
décrispé ; quand on est tendu, cela nous déforme.
Le diocèse d'Arras en chiffres
M.-A. D.R.