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Vocation d'un musicien

Entretien avec Marc-Antoine Charpentier, maître de musique de la Sainte Chapelle

Sylvain Perrot





Après une interview mémorable de St Michel, archange de profession, notre reporter infatigable est retourné dans les nuées pour rencontrer un des brillants représentants de la musique baroque française, qui s'est éteint voilà trois cents ans. Marc-Antoine Charpentier, puisque c'est de lui qu'il s'agit, a accepté de répondre aux questions du Sénevé :







Marc-Antoine Charpentier

Sénévé --- Marc-Antoine Charpentier, bonjour et merci de nous recevoir en ce lieu.

Charpentier --- Rendez plutôt grâce à celui qui en est l'architecte et le propriétaire !

S --- Bien, commençons. Vous êtes donc mort il y a aujourd'hui trois cents ans.

C --- Vous parlez d'un début ! Enfin, c'est vrai, une nouvelle carrière s'offrait à moi en l'an de grâce 1704.

S --- Musicale ?

C --- Naturellement, on n'a jamais fini de chanter le Seigneur pour ses bienfaits.

S --- Il est vrai que vous avez toujours préféré les compositions religieuses. Est-ce que vous saviez dès le début que vous écririez pour l'Église ?

C --- Vous savez, il est des vocations qui se révèlent assez tard. Depuis tout petit, j'avais envie de faire de la musique et c'est le chemin que j'ai vite emprunté.

S --- Quel est votre instrument de prédilection ?

C --- Le violon bien sûr ! À l'époque où j'ai sévi, on ne concevait guère qu'un compositeur fût autre chose qu'un violoniste, à l'extrême limite un organiste. Pensez à Vivaldi ou à Bach...

S --- Est-ce qu'ils ont été à l'origine de votre passion pour la musique ?

C --- Vous voilà bien peu soucieux de chronologie ! Je sais bien que personne ne connaît ma date de naissance, mais ne me faîtes pas plus jeune que je ne le suis ! J'ai commencé ma carrière en 1665, j'avais 22 ans, et la famille Bach ne s'était pas encore réjouie de la naissance du petit Johann Sebastian ! Quant à Antonio, ses parents ne s'étaient certainement pas encore rencontrés ! Cela dit, cet appel qui m'a poussé vers la musique est sans doute le même qui a porté mes compagnons allemand et italien. D'ailleurs, j'ai commencé ma carrière en Italie, à Rome.

S --- Les critiques disent de vous en effet que vous êtes le plus italien de nos compositeurs, du moins dans votre style musical.

C --- S'il vous plaît, d'italien je n'en ai que le style, et pas la nationalité, Dieu merci1 ! Ne me comparez pas à cet imb... Mais c'est de l'histoire ancienne.

S --- Vous voulez parler de votre contentieux avec Jean-Baptiste Lully ?

C --- Contentieux, je n'irais pas jusque là, disons qu'il était devenu un peu trop influent à la Cour et laissait peu de place aux petits nouveaux.

S --- Vous devez en effet vos début dans le monde à la rupture entre les deux Jean-Baptiste.

C --- Certes, mais j'étais quand même digne de prendre sa place, enfin je pense l'avoir prouvé.

S --- Vous faisiez donc dans la musique profane ?

C --- En effet, j'écrivais des partitions pour accompagner les pièces de Molière, ses fameuses comédies-ballets.

S --- Ah oui, le Le Bourgeois Gentilhomme...

C --- (soupir) Non, c'est une oeuvre de ce crétin d'It... Excusez-moi, mais avouez que mourir d'un coup de bâton sur le pied, il y a de quoi médire. Mais maintenant que je suis ici, tout cela est oublié ! Enfin presque...

S --- Alors, Le Malade imaginaire ?

C --- Certainement ma plus grande réussite, du moins dans ce domaine !

S --- Puis vous avez quitté Molière pour... les Jésuites ?!

C --- En effet. J'ai été ravi de cette expérience de musique au théâtre, mais il me manquait quelque chose. Un jour, j'ai entendu une musique plus glorieuse, plus angélique, et ce jour-là j'ai su à quoi j'étais destiné.

S --- La musique sacrée ?

C --- Précisément. J'ai eu des débuts modestes : j'ai d'abord été maître de chapelle au lycée Louis le Grand, et c'est ensuite qu'on m'a nommé maître de chapelle du collège des Jésuites.

S --- Vous aviez quel âge ?

C --- Je devais avoir dans les quarante ans.

S --- Une vocation tardive, donc.

C --- Mieux vaut tard que jamais !

S --- Et là, c'est l'apothéose, si je puis dire : vous composez votre fameux Te Deum en ré majeur, que tout le monde connaît ! Je suppose que ça a fait un tabac à l'époque.

C --- Détrompez-vous ! Je ne comprends toujours pas pourquoi c'est cette oeuvre-là qu'on a retenue de toutes mes compositions, pourtant si nombreuses !

S --- Votre Te Deum est pourtant un tube ! On le trouve chez tous les discaires !

C --- Mais en ce temps-là, on composait pour l'Église, pour le Seigneur, pas pour remplir les bacs !

S --- Et ici, comment on l'a accueilli ?

C --- Silence

S --- Euh sinon, quels sont les genres de musique que vous affectionnez ?

C --- À vrai dire, j'ai un peu tout essayé : j'ai écrit des histoires sacrées, des tragédies sacrées, des messes, des motets, des hymnes, des psaumes...

S --- Et des Te Deum !

C --- Oui, j'en ai écrit quatre. Il y a tellement de manières de louer le Seigneur !

S --- Et enfin, vous avez acquis une très bonne place, chez un bon employeur...

C --- Oui, j'ai été nommé maître de la Sainte Chapelle en 1698, poste que j'ai occupé jusqu'à ma mort.

S --- On ressent dans vos dernières oeuvres une émotion particulière : votre style est plus dépouillé.

C --- Oui, ces dernières années ont été l'occasion pour moi d'écrire des oeuvres plus recueillies.

S --- Comme vos Leçons de ténèbres ?

C --- En effet. J'ai eu d'ailleurs un illustre successeur : François Couperin.

S --- On note toutefois une constante dans votre oeuvre : c'est l'importance accordée aux choeurs.

C --- Oui, j'adore la musique vocale, et particulièrement la musique chorale. Et ce que j'ai écrit de mieux, je pense, c'est mon Salve Regina.

S --- Je comprends, trois choeurs et un orchestre, vous avez dû être aux anges --- oh pardon ! Une dernière question : qu'allez-vous voter au référendum sur la Constitution de l'Europe ?

C --- Pardon ?

S --- Oui, vous en êtes un des piliers musicaux, avec Beethoven : vous avez l'hymne culturel, et lui l'hymne politique ! Vous êtes donc bien placés pour nous donner un avis sur l'Union Européenne !

C --- Vous savez, Beethoven n'entend rien à ces histoires, et moi je ferais plutôt dans le bois que dans les piliers...

S --- Monsieur le maître de la Sainte Chapelle, merci.

C --- Bémol...


La Sainte Chapelle au xviiième siècle

S.P.




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