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Vingt-et-un talas en Italie

Brève chronique des très riches heures de dix journées sur les pas de St François

Gonzague Dutheil de la Rochère




Le rassemblement des talas s'est fait le 4 août à Rome.

Pendant le trajet en car jusqu'à Greccio sont remis les carnets qui nous accompagneront tout au long de ce périple. Ils contiennent les chants nécessaires aux célébrations, qui seront nombreuses1, marquant ainsi, pour moi et d'autres, une rupture avec l'ordre habituel de la vie autant qu'une multiplication des occasions de réflexion et de recueillement. On y trouve aussi des textes présentant les étapes du pèlerinage, les figures et les évènements qui s'y associent, et des extraits des meilleurs auteurs2, pour nourrir l'âme et l'esprit. Ces écrits seront complétés en cours de pélé par la parole, celle des homélies et des armoconf's, et celle des discussions entre pèlerins chaque fois que le pèlerinage nous en laissera le temps et (surtout) le souffle. Tous ces éléments constitueront une part essentielle du cheminement spirituel dont la marche est le signe et l'adjuvant.


Le sancturaire franciscain de Greccio

Le soir a lieu la formation des équipes qui tourneront dans l'exécution des tâches quotidiennes3. La veillée qui suit donne à chacune des quatre équipes ainsi constituées l'occasion de définir, via des jeux, ce que chacun attend de ce pèlerinage. Le tout se déroule sous un orage qui, comme celui qui suivra le lendemain soir, rend la visibilité nulle à cent mètres, transforme les routes en torrent et fait apprécier la simple présence d'un toit sur nos têtes.



Dès le lendemain, c'est Noël : le sanctuaire de Greccio, première étape de notre pèlerinage, est en effet celui où Saint François mit en scène la première crèche. La messe de Noël peut pour cette raison y être dite à tout moment de l'année. À l'occasion de cette célébration, nous approfondissons le sens de la crèche. Loin de toute mièvrerie, cette représentation rend sensible le dénuement qu'accepte, pour le salut de l'humanité, le Dieu incarné, qui se fait fragile, faible et dépendant, comme l'étaient les enfants jusqu'à l'époque contemporaine.

De ce jour datent aussi nos premiers efforts pour chanter ensemble un Salve Regina en grégorien. L'effort impliqué par cette forme, faite de recherche de la nuance et de la précision (« alors, sur les notes en plus petit, vous glissez... »), se verra progressivement récompensé, certes pas par la perfection (il faut plusieurs années pour bien chanter le grégorien), mais par la joie que donne un beau résultat obtenu en commun.



Le jour suivant a lieu notre première marche, de Greccio à Fonte Colombo. La marche jusqu'au village haut-perché de Sant'Elia laisse un souvenir durable aux jambes et aux pieds, notamment du fait de la longue et raide montée finale. Mais chaque épreuve comporte ses grâces, témoin ici nos réserves d'eau qui semblent pouvoir se partager sans s'épuiser. Et puis, la récompense qui nous attend valait bien quelques efforts. Le logement s'annonce d'abord compliqué : l'annonce de l'arrivée d'un prêtre et de 21 pèlerins s'est allégée, au fil des intermédiaires, des 21 pèlerins. Heureusement une salle est disponible, et surtout le village se met en quatre pour nous accueillir. Les habitants mettent à disposition leurs douches, ainsi que leurs provisions et le produit de leurs jardins pour le dîner. Celui-ci est organisé par le prêtre qui nous accueille sur la place, sous les fenêtres même de l'adjoint responsable de Sant'Elia, dans l'intention explicite de lui démontrer par l'exemple la nécessité de prévoir un lieu pour l'accueil des pèlerins. La soirée se terminera par un concert de chants pour remercier les sant'éliens de leur accueil, suivi d'un verre au café sur l'air des « Chevaliers de la Table ronde ».

Comme beaucoup des sanctuaires franciscains que nous verrons, Fonte Colombo est au départ une petite église isolée, où Saint François vient prier, habitant une grotte à proximité. La conversion des populations alentour et le nombre croissant des compagnons de François conduiront à l'aménagement d'un sanctuaire qui s'agrandira au fil des siècles.

Au quatrième jour nous marchons à travers la vallée réatine jusqu'au sanctuaire de la Foresta. Nous passerons là nos deux premières nuit à la belle étoile, la Providence nous assurant, après les formidables orages des premières soirées, une météo favorable. Le spectacle offert par la vallée introduit à la réflexion sur la louange de la Création dans la spiritualité franciscaine. Cette louange n'est ni une niaiserie, ni une déviance panthéiste : il s'agit d'une action de grâce au Très Haut, lequel se manifeste en toutes ses oeuvres, y compris même «notre soeur la mort corporelle ».


Les vignes du Seigneur à La Foresta

Le dimanche 8 août constitue un «temps de désert ». L'aller-retour à pied entre la Foresta et le sanctuaire de Poggio Bustone, et les heures passées dans ce «Sinaï franciscain », laissent le temps à chacun de méditer sur ses insuffisances et ses choix de vie, et de recevoir s'il le souhaite le sacrement de réconciliation.


Vue sur le village de Poggio Bustone et la vallée de Rieti

La suite du trajet du pèlerinage se fait en train jusqu'à Spello, près d'Assise. Cette étape préparatoire à l'arrivée dans le centre visible du franciscanisme est l'occasion de souligner la part moins visible mais centrale de la vie chrétienne qu'est la mission. Cette mission, dans la vision de François, est faite de témoignage autant que de prêche. C'est d'abord par l'exemple que le franciscain, et plus largement le chrétien, recherche la conversion du prochain, et spécialement par l'exemple de l'humilité. Cette dernière permet en effet au chrétien de ne pas faire de son moi un obstacle entre l'Évangile et ceux qui en reçoivent l'annonce.

Vient alors la marche de Spello à Assise, via le mont Subasio. J'avais cru, pauvre innocent, que le trajet Greccio -- Fonte Colombo serait le plus exigeant du pélé. C'était négliger que la perspective offerte sur la ville par le sommet du mont doit se mériter quelque peu. L'ascension est rude, la descente raide, mais elles font de chaque fontaine rencontrée un moment de parfait contentement, et chaque vue sur le pays environnant est mémorable.

Après une pause à l'ermitage des Carceri, où Saint François vint prier lorsqu'il hésitait encore à rompre avec le monde, nous arrivons à Assise. Notre première visite ici sera pour l'église de Saint Damien, tout près de la ville, où François reçut du Christ la mission de relever sa maison en ruine4.


Les Carceri

Les deux journées suivantes se passent à Assise et dans ses environs. La basilique, impressionnante avec ses trois niveaux superposés, est aussi dépouillée au niveau inférieur (où repose François) qu'elle est richement décorée au niveau intermédiaire, où murs et plafonds sont intégralement peints, et au niveau supérieur avec les fresques de Giotto. Autre basilique, Sainte Marie des Anges présente littéralement deux églises en une : elle contient en effet la Portioncule, une des trois églises que François a lui-même réparées, sous l'impulsion de sa vision à Saint-Damien (avant de comprendre que c'est l'Église elle-même qui était à relever).


La basilique Saint François d'Assise

Le contraste est brutal avec les vitrines des magasins de souvenirs qui fleurissent ici en abondance, avec maintes figurines en couleurs de franciscains rondouillards et de clarisses prospères. Toutefois, la ville elle-même reste remarquablement préservée. Le repos de ces deux jours est aussi mis à profit pour chanter quelques auteurs profanes5. Les princes organiseront aussi, un soir, un « youpi-jeu » où une pince à nouilles, bien innocemment restée dans nos bagages après avoir été prêtée par les gens de la Foresta, devient révélateur et témoin (avec d'autres personnages, notamment Saint Armogathe patron des bergers) des tentations des franciscains sur la route de la parfaite humilité.


Quelques instants de détente...



Que voilà une belle pince à nouilles !

Vendredi, nous arrivons en car à La Verna (ou l'Averne). Peut-être plus encore ici que dans les autres sanctuaires, l'exiguïté des chapelles aménagées dans les grottes qui parsèment les imposants rochers fait ressortir la grandeur de l'oeuvre de Dieu visible alentour. C'est ici que Saint François a reçu, le premier dans l'histoire de la chrétienté, les Stigmates de la Passion, en 1224, à l'issue d'une crise personnelle profonde devant les difficultés rencontrées tant avec la hiérarchie ecclésiale vigilante quant aux débordements possibles, qu'au sein même de son ordre. Les Stigmates ne sont en rien un phénomène spectaculaire destiné à balayer ces obstacles : aussi bien Saint François préférait-il les cacher. Il s'agit d'une manifestation du mystère de la Croix et de la participation à ce mystère du chrétien qui cherche le salut de ses frères et s'abandonne pour cela à la volonté divine.


Que dire de plus ?

Pour cette dernière nuit passée ensemble, nous bénéficions d'un confort sybaritique : des lits ! La sensation de retrouver un sommier et un matelas est un peu étrange, au point que certains d'entre nous, trouvant ces matelas trop mous, préfèreront en rester au tapis de sol. Preuve que les faux besoins, au moins pour une part, disparaissent vite et plus facilement qu'on ne croirait.

C'est finalement, le samedi 14 août, le temps de la dispersion depuis Florence, au gré des horaires de trains. Certains prolongent le plaisir par la visite de la ville, voire les complies dans le train du retour.

Ainsi s'achève ce pèlerinage, en laissant plus que des souvenirs : une réflexion qui progresse, une foi qui grandit et une joie qui demeure.


À l'année prochaine !

G.D.R.

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