Previous Up Next

Rome et la communion anglicane

Interview du Père Peter Geldard, aumônier catholique de l'Université du Kent à Canterbury

Antoinette Sütterlin








Le Père Peter Gerldard est un ancien prêtre anglican qui a rejoint l'Église catholique en 1992, quand l'Église d'Angleterre a ouvert l'ordination sacerdotale aux femmes. Il m'a accordé une petite interview autour d'une tasse de thé pour discuter de l'histoire de sa conversion et de son point de vue sur l'Unité des Chrétiens1.










La cathédrale de Canterbury

--- Antoinette Sütterlin : Pourriez-vous nous expliquer quand et pourquoi vous avez décidé de rejoindre l'Église catholique?




--- Father Peter : J'ai grandi en Angleterre : il y a une partie de l'Église anglicane qui semble très catholique, à tel point qu'elle pourrait prétendre être « une Église catholique pour les Anglais » (selon les mots de T. S. Eliot). Dans les documents de Vatican II sur l'oecuménisme, on trouve l'idée que parmi toutes les Églises du monde, l'Église d'Angleterre est la plus proche de Rome. Ce n'est qu'une partie de la communion anglicane car celle-ci est une « Église large » (broad church) comprenant beaucoup de tendances diverses, mais on la considère comme une Église car elle maintient les sacrements et surtout l'ordination et les évêques.

Quand j'étais jeune, je voulais rejoindre l'Église « catholique » d'Angleterre. J'étais allé voir une paroisse catholique romaine : la messe était en latin, la communauté paraissait pour la majorité immigrée, et le prêtre était italien (c'était en 1964, avant le concile Vatican II). Puis j'étais entré dans une église « catholique » anglaise : la messe était en anglais, le prêtre était célibataire, et il y avait deux religieuses dans la paroisse. Cette Église semblait donc croire et faire tout ce que font les catholiques dans le monde, excepté qu'elle était anglaise. Certes, elle n'était pas en communion avec le Pape, mais les orthodoxes non plus, et pourtant on considère qu'ils forment une Église !

À 17 ans, j'ai donc rejoint l'Église d'Angleterre, et pendant 30 ans, j'ai travaillé pour l'Unité avec Rome parce que je savais que c'était là que l'on pourrait la trouver. J'étais engagé dans plusieurs projets internationaux, et par exemple j'ai participé à l'organisation de la visite du Pape à Canterbury en 1982. À cette époque, je croyais qu'il y avait une réelle chance d'Unité.

Mais on peut vivre dans son petit monde où l'on croit que tout est parfait... Or il y avait une grande partie de l'Église d'Angleterre (qui, je le vois maintenant, constitue une majorité), qui était davantage protestante, et qui ne désirait sans doute pas tellement l'Unité, surtout avec l'Église catholique. Je travaillais dans ma petite direction, mais il se passait d'autres choses dans mon dos qui minaient l'espoir d'Unité et la légitimité de l'Église d'Angleterre à se dire catholique.

Tout l'intérêt de l'Église d'Angleterre, c'est que, pendant la Réforme, nous avons toujours maintenu que nous ne faisions que revenir aux origines. Nous n'avons rien fait de nouveau : nous avons gardé la messe, les évêques... et si nos cultes étaient en anglais, et que nous présentions le calice à l'assemblée, c'était toujours en soulignant que nous retrouvions quelque chose de l'Église primitive. C'est la même chose pour le mariage des prêtres : c'était un retour. Notre but n'était pas d'innover.

Mais, le 11 novembre 1992, à 17h, pour la première fois de son histoire, l'Église d'Angleterre a innové en acceptant l'ordination de femmes prêtres, et, par conséquent évêques (ce qui ne va pas tarder). J'étais le principal opposant à ce changement, non pas parce que je croyais que c'était impossible, mais parce que je croyais que l'Église d'Angleterre ne pouvait prendre toute seule cette décision unilatérale. J'ai cité alors l'argument de Saint Thomas More contre Henri VIII : « Tout comme la ville de Londres ne peut faire une loi qui oblige toute l'Angleterre, de même cette seule partie de la Chrétienté ne peut faire une réforme qui affecte toute l'Église. » Depuis ce jour, à cause de cette innovation, les nouveaux ordonnés ne peuvent être dits prêtres de l'Église catholique, parce que l'Église universelle n'a pas décidé ce changement. C'était une nouvelle barrière contre l'Unité. Et j'avais du mal à trouver comment on pourrait la surmonter.

Le travail de trente années venait soudainement de s'écrouler. Je devais décider de faire pour moi-même, en tant qu'individu, ce que j'avais voulu pour l'Église d'Angleterre : me réconcilier avec l'Église catholique. J'ai donc décidé d'être catholique. C'était une décision difficile : je perdais ma maison, mon métier, mon futur en un sens. Et l'Église catholique n'a pas de prêtres mariés... Mais, on ne m'a jamais demandé de renier quoi que ce soit du passé, et, au bout d'un an, l'Église catholique a formulé une permission spéciale pour que les quelques prêtres dans le même cas que moi puissent être ordonnés prêtres catholiques. À cette époque, environ 800 à 1000 membres du clergé anglican ont quitté l'Église d'Angleterre : quelques-uns ont tout simplement pris leur retraite, d'autres, peu nombreux, sont devenus orthodoxes, d'autre encore sont devenus des laïcs catholiques, et environ 500 sont devenus prêtres catholiques. Parmi ces 500, environ 320 étaient célibataires, et 180 étaient mariés.









--- A.S. : Quelle est l'importance de l'Église et du Pape pour la foi catholique ?




--- Fr. P. : Si vous vous reportez à l'Église des premiers chrétiens, vous verrez que l'on considérait le Pape comme le signe et la source de l'Unité qui est tout à fait essentielle à l'Église. Un catholique, c'est quelqu'un qui est en communion avec le successeur de Pierre. Nous croyons que parmi les apôtres, Jésus a donné à Pierre une certaine autorité que les autres n'ont pas. En dernier recours, s'il y a un désaccord entre les évêques, on doit se référer au successeur de Pierre. Mais je ne peux imaginer un Pape parlant tout seul contre tous ; normalement, il parle au nom de la majorité des évêques. L'Église fonctionne collectivement, ou plutôt collégialement. Le Pape est le porte-parole, et théoriquement il est la protection de la garantie de l'Église. Il ne faut pas non plus avoir une vision trop romantique du Pape comme quoi il serait parfait, tout ce qu'il dit serait juste, il ne pécherait pas, etc. C'est un homme, et sa parole n'est pas infaillible dans tous les domaines comme l'économie, le commerce, etc. Bien sûr il peut commenter, mais son autorité ne s'applique qu'à un domaine assez limité. Seulement, ce domaine est vital pour notre foi.




--- A.S. : Étiez-vous opposé à l'ordination des femmes uniquement pour défendre l'Unité ou aussi pour des raisons théologiques ?




--- Fr. P. : En 1992, j'étais plus ouvert, je pensais juste que ce n'était pas à l'Église d'Angleterre de décider unilatéralement. Mais depuis l'Église catholique a clarifié, dans plusieurs documents, sa compréhension du sacerdoce réservé aux hommes. Le choix d'apôtres uniquement masculins est un acte délibéré du Christ, et l'Église n'a pas l'autorité pour changer cela. Je ne vois vraiment pas comment un tel changement pourrait se produire.

Pour ce qui est du mariage des prêtres, c'est un autre problème, et ma réponse se fera plus taquine : vous en avez un devant vous, donc ça peut arriver ! Mais comment et quand, je ne sais pas. Techniquement, c'est une question de discipline, non pas de doctrine. La discipline peut changer : il y a eu des prêtres mariés, ils le sont chez les orthodoxes, et il y en a certains cas dans l'Église catholique (les anciens prêtres anglicans, les Églises orientales, etc.).




b]5cm

Carol Service.
b]5cm

Annonce des offices religieux à l'UKC.
 

--- A.S. : Que faites-vous pour l'Unité des chrétiens en tant qu'aumônier et sur le campus ?




--- Fr. P. : L'Université du Kent à Canterbury est une communauté très internationale. Le département des aumôneries, qui rassemble tous les aumôniers, est non seulement oecuménique mais aussi inter-religieux (bouddhistes, juifs, musulmans). C'est très stimulant, mais aussi très exigeant. Nous travaillons ensemble pour prendre soin de la communauté étudiante et nous coopérons autant que possible. Pour beaucoup d'étudiants, c'est la première fois qu'ils vont rencontrer d'autres chrétiens ou d'autres religions. Vivre à Canterbury est pour beaucoup une expérience oecuménique : c'est le centre de l'Église d'Angleterre, et la plupart des confessions y sont représentées. Nous avons à coeur de pousser les étudiants à se comprendre mutuellement. Canterbury est un endroit passionnant rien que pour ça, et nous essayons d'aider cette dynamique en organisant certaines choses :

L'office des chants de Noël (University Carol Service) est un événement très important pour la vie de l'Université. Il a lieu dans un endroit magnifique : la cathédrale de Canterbury elle-même ! Et nous réussissons à prier et à chanter Noël ensemble avec un office très simple alternant lectures et chants de Noël.

Le 24/7 est une tentative pour instituer une semaine de prière continue pour l'Unité 24h/24, 7 jours sur 7. Chaque confession chrétienne prend en charge une journée ou plus et peut proposer ce qu'elle considère comme important. Par exemple, l'aumônerie catholique a organisé une messe, la liturgie des heures avec la prière du matin et du soir, un chapelet, une adoration du Saint-Sacrement ; les Pentecôtistes ont chanté à leur manière et ont eu leur propre forme de prière extempore, des chants en langues, etc., le but étant de partager les dons que nous avons. Je fais parfois à cette occasion des conférences pour les autres groupes, et des représentants des autres confessions viennent parler à l'aumônerie catholique. C'est très intéressant de se connaître les uns les autres, même si c'est encore triste de voir que nous sommes toujours divisés et que nous ne pouvons pas célébrer un office commun. Mais heureusement nous avons une Bible commune, nous reconnaissons nos baptêmes respectifs, et nous reconnaissons que l'Esprit dispense librement ses dons à tous. Espérons que cela va accroître une vraie compréhension. C'est plus difficile avec les autres religions. Il faut connaître correctement ce que les autres religions professent et pratiquent. Entre aumôniers, nous essayons de partager nos fois respectives et nous nous rencontrons une fois par mois pour discuter de nos inquiétudes et de nos intérêts communs. Nous avons même conclu un accord selon lequel si l'un de nous venait à mourir, ce serait son aumônerie qui prendrait en charge les funérailles, mais nous serions tous présents.




--- A.S. : Que pouvons-nous faire pour l'Unité des chrétiens ?




--- Fr. P. : Nous devons prier, partager, et oeuvrer ensemble.

Prier pour l'Unité, pour que nous trouvions la voie par laquelle le Christ veut la faire advenir.

Partager ce que nous comprenons de notre foi, nos forces et nos faiblesses. Souvenons-nous toujours que « les gens ont raison pour ce qu'ils affirment, mais ils ont souvent tort pour ce qu'ils réfutent ». Nous pouvons apprendre beaucoup en regardant ce qui est important pour chaque confession : l'étude de la Bible, les temps en silence (quiet times) de certaines confessions ; et pour l'Église catholique, les sacrements, le ministère... Souvent nous comprenons mal ce que font les autres. Nous devons donc encourager une compréhension mutuelle plus profonde.

Et enfin nous devons oeuvrer. Il y a tant de choses que nous pourrions faire ensemble : la famille, le don précieux de la vie, certains problèmes de société, de moeurs, d'éthique... En prenant position ensemble, nous grandissons ensemble!
A.S.

Previous Up Next