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Vers l'unité, aujourd'hui, demain

Étude de Unitatis redintegratio, décret sur l'oecuménisme du Concile Vatican II, promulgué le 21 novembre 1964 par le pape Paul VI1

Servane Michel








Un des traits frappants de ce document est l'appel continuel à la fidélité au Christ, à l'accomplissement de Sa volonté pour son Église. Cette vision christocentrique est sans doute ce qui permet aux auteurs du texte de trouver le langage le plus respectueux pour parler d'une question aussi délicate. Non que la doctrine sur l'Église catholique ait changé depuis le vieil adage «Hors de l'Église, point de Salut»2, mais la prise en considération des réalités de notre société sécularisée, en lien avec les progrès de la réflexion théologique, est un des grands défis que s'est posé le Concile. En effet, Jean XXIII avait assigné à celui-ci la double finalité de rénover intérieurement l'Église et de servir la cause de l'unité chrétienne. Il est à ce titre significatif qu'aient été invités comme observateurs aux séances de travail des représentants des autres confessions chrétiennes. Dans ce texte transparaît une grande foi dans l'action de l'Esprit Saint chez tous les baptisés, ce qui lui confère un ton à la fois ferme et humble, confiant, marque de l'optimisme surnaturel propre aux enfants de Dieu.


Concile Vatican II -- Saint Pierre de Rome

Les principes catholiques de l'oecuménisme

En ceci est apparue la charité de Dieu pour nous, que le Fils unique de Dieu a été envoyé au monde (n.2). Il me semble significatif que le premier chapitre s'ouvre sur le mot «charité ». Benoît XVI, au nom évoquant un autre pape de la paix, successeur d'un grand homme de paix et de réconciliation, commence son pontificat en rappelant que «Dieu est amour » (1 Jn 4 16). Le Concile Vatican II, lui, reprend dans chacun de ses documents officiels cette vérité fondamentale que la foi et toutes ses manifestations ne sont qu'une réponse au don d'amour que Dieu, le premier, propose à l'homme. Or, le mystère de l'unité de l'Église a sa source dans l'unique sacrifice rédempteur du Christ, le plus grand don du Créateur à l'homme, celui qui nous a obtenu la grâce et l'envoi de l'Esprit Saint. La foi en l'action du Paraclet nous donne la clé de l'oecuménisme : reconnaître qu'Il produit en tous les baptisés la grâce, la foi, l'espérance et la charité. Ainsi, le Concile affirme que l'esprit du Christ ne refuse pas de se servir [des communautés séparées] comme des moyens de salut, tout en rappelant que leur force dérive de la plénitude de grâce et de vérité qui a été confiée à l'Église catholique (n.3). Celle-ci, en effet, est moyen général de salut (n.3), puisqu'elle seule possède en intégrité l'héritage du collège apostolique et de Pierre à qui le Christ a confié toutes les brebis pour les confirmer dans la foi et pour les paître en unité parfaite3. La communion dans l'unité que désire le Christ se réalise par les liens de la profession de foi, des sacrements et du gouvernement ecclésiastique.


Saint Pierre

L'oecuménisme est défini comme les entreprises et initiatives provoquées et organisées en faveur de l'unité des chrétiens selon les nécessités variées de l'Église et selon les circonstances (n.4). Le texte souligne comme premier effort celui d'éliminer les paroles, les jugements et les faits qui ne correspondent ni en justice ni en vérité à la situation de nos frères séparés et contribuent ainsi à rendre plus difficiles les relations avec eux. Puis viennent le dialogue entre les experts, l'effort de chacun pour approfondir la connaissance mutuelle, la collaboration des différentes communautés dans des entreprises visant au bien commun, et enfin, à l'occasion, la prière unanime. De plus, à tout chrétien s'impose l'exigence d'examiner [sa] fidélité par rapport à la volonté du Christ pour l'Église, avec un effort soutenu de réforme et de rénovation. En effet, lorsque les membres de l'Église ne vivent pas de la vérité et des moyens de grâce avec toute la ferveur qui conviendrait, il en résulte que le visage de l'Église resplendit moins aux yeux de nos frères séparés ainsi que du monde entier ; c'est ainsi que l'infidélité d'un membre se répercute sur tout le Corps mystique du Christ et fait obstacle à l'accomplissement de Sa volonté.

L'exercice de l'oecuménisme

La première exigence évoquée est la rénovation de l'Église (n.6) qui, en tant qu'institution humaine et terrestre, doit toujours se purifier pour être fidèle à sa vocation. De plus, si le contenu de la foi est intangible, sa formulation peut parfois s'avérer inadaptée à telle ou telle circonstance. Mais cette purification n'est possible que par la conversion du coeur (n.7) assumée par chaque chrétien : la véritable source de l'oecuménisme est la fidélité personnelle à l'Évangile. À partir de là peut naître l'oecuménisme spirituel, c'est-à-dire la prière en commun (n.8), qui s'appuie sur la promesse du Christ : «Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d'eux » (Mt 23 20). Cependant la communicatio in sacris4 ne doit être utilisée qu'avec prudence et discernement et, si toute action à dimension ecclésiale doit être en accord avec les dispositions de l'évêque, dans le domaine de l'oecuménisme un manque d'obéissance a des conséquences graves, puisqu'il porterait atteinte à la vérité du Christ et à l'unité de son Corps mystique. La communicatio in sacris est régie surtout par deux principes : l'unité de l'Eglise à exprimer, la participation aux moyens de grâce à assurer. L'expression de l'unité interdit le plus souvent la communicatio, la grâce à procurer le recommande parfois (n.8). L'amour de la vérité autant que celui du prochain doit amener à exposer la doctrine de manière accessible à tous en même temps que clairement et complètement. En effet, rien n'est plus étranger à l'oecuménisme que ce faux irénisme, qui altère la pureté de la doctrine catholique et obscurcit son sens authentique et incontestable.


Paul VI et le patriarche Athenagoras, 1964

Églises et communautés ecclésiales séparées du siège apostolique romain

Fidèle à sa recommandation d'approfondir la connaissance des autres communautés chrétiennes (n.9), le décret examine dans ce chapitre l'histoire des scissions qui ont marqué l'Église. Avec les églises orientales, les divergences doctrinales sont minimes et les catholiques ont beaucoup à apprendre de la richesse spirituelle, liturgique et même théologique des orientaux. Rappelons au passage la fécondité de leur monachisme, de leur spiritualité monastique et leur amour de la liturgie. En outre, les églises d'Orient, conscientes de la nécessaire unité de toute l'Église, ont le pouvoir de se régir selon leurs propres lois (n.16) puisque leur connaissance du caractère de leurs fidèles permet un plus grand bien pour les âmes, suivant le principe des apôtres : «Ne rien imposer qui ne soit nécessaire » (Ac 15, 28). Ce principe est posé comme une des conditions préalables absolument nécessaires pour rétablir l'union. Pour ce qui concerne les communautés séparées d'Occident, le texte, tout en évoquant les points de divergence doctrinale, met en lumière ce que nous pouvons apprendre de ces frères séparés. Dieu se sert, pour obtenir l'unité, de leur désir d'union au Christ, de leur amour de sa Parole, de leur sens de la louange et de leur sincère souci de justice et de charité à l'égard du prochain. De plus, lorsqu'il est administré selon l'institution du Seigneur et dans les dispositions requises, le baptême constitue un lien sacramentel d'unité (n.22). Or, quoi de plus actif et de plus efficace que la grâce dans une âme sincère ? Il reste que ces communautés n'ont pas le sacrement de l'ordre ni par conséquent la pleine réalité de l'Eucharistie, qui est la manifestation la plus éminente de l'unité de l'Église ; c'est donc sur ce point que doit porter le dialogue.

Le texte se conclut par l'expression d'une profonde espérance. En rappelant la prudence de mise pour préserver la vérité reçue des apôtres, le Concile reconnaît que ce projet sacré dépasse les forces et les capacités humaines, et c'est donc à la Sainte Trinité qu'il se confie : «L'espérance ne déçoit point : car l'amour du Dieu a été répandu dans nos coeurs par l'Esprit Saint qui nous a été donné » (Rm 5 5)5.
S. M.

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