Discerner sa vocation
Père Étienne Vetö
Jeudi 26 janvier, nous
avons eu le plaisir de recevoir le père Étienne Vetö, de la communauté
du Chemin Neuf, qui nous a donné un enseignement sur le discernement de la
vocation ; en voici le compte-rendu.
Jean-Baptiste Guillon
1. Qu'est-ce qu'un appel ?
Deux réponses, qui semblent parfois en contradiction, viennent à l'esprit
lorsqu'on s'interroge sur ce qu'est un appel. On peut considérer qu'il
s'agit de la volonté de Dieu pour nous, ou de notre désir le plus profond.
Or, si on les prend séparément, ces deux réponses définissent les deux
écueils de la question de la vocation.
Le premier écueil est de considérer qu'il faut suivre avant tout notre
désir le plus profond sans chercher à comprendre la volonté de Dieu, de
peur que celle-ci puisse contrarier notre désir. Une telle attitude ne
peut être que fausse car elle repose sur l'idée d'un Dieu qui ne voudrait
pas pleinement notre bonheur.
Le second écueil est de nier notre désir et de refuser de choisir par
soi-même en attendant que Dieu décide tout. Par une telle démission de
notre volonté, nous oublions que Dieu parle aussi par notre désir.
C'est donc l'unité des deux aspects qu'il faut rechercher et
demander au Seigneur. En particulier, il faut savoir, lorsque nous
examinons nos désirs les plus profonds, entendre le désir de répondre à
l'appel du Christ. Il y a en effet une joie extraordinaire à pouvoir
suivre
un Autre qui nous aime le premier et nous appelle avant que nous Le
cherchions. Le fait d'être appelé par un Autre permet de nous mettre en
route, de nous faire avancer et nous dépasser. Ce dépassement de soi-même
est tout à fait caractéristique des saints qui ont réellement entendu
l'appel de Dieu et ont répondu "oui". La première réaction de quelqu'un
que l'on appelle à sortir de lui-même et à progresser, c'est tout
naturellement de faire remarquer son incapacité à répondre à l'appel : or
c'est précisément la réaction que nous voyons dans les récits bibliques de
vocation. Moïse, par exemple, objectant qu'il n'a pas la parole
facile1, interroge : «Qui suis-je pour
aller trouver Pharaon et faire sortir d'Égypte les Israëlites
?»2. Marie elle-même, sans mettre en doute
le message de l'Ange, remarque qu'il ne pourra s'accomplir par elle seule
puisqu'elle est vierge. Dans les deux cas, la réponse est identique :
«Je serai avec toi»3, dit le Seigneur à
Moïse, comme l'ange annonçait à Marie : «Le Seigneur est avec
toi»4.
La joie d'un appel qui nous dépasse vient non seulement du fait qu'en y
répondant nous progresserons, mais surtout de ce qu'il s'accompagne
nécessairement de la promesse que le Seigneur est avec nous, la promesse
de l'Emmanou-el (qui en hébreu signifie précisément «Dieu avec nous»). Que l'Emmanuel soit le don de Dieu lorsque nous acceptons son appel,
c'est ce qui se lit de manière éminente dans la vocation de Marie, mais également
ce que chacun de nous est appelé à découvrir : ce à quoi nous devons dire
«oui», c'est que Dieu soit avec nous dans la personne du Christ.
Nous voyons donc la raison de donner à la dimension de l'appel
--- et pas seulement du désir --- toute son importance. Notons en outre
que cette dimension confère à nos choix de vie une stabilité que les
seuls désirs ne sauraient assurer : quoi en effet de plus changeant que nos
désirs ? Mais pour ne pas sacrifier la dimension du désir, il faut
comprendre en quoi cet appel rejoint notre désir : il faut comprendre
qu'en nous permettant de voir sa volonté, le Seigneur nous révèle non
seulement notre appel mais surtout il nous révèle qui nous sommes, et par
conséquent, ce que nous désirons profondément. La plupart du temps, en
effet, nous n'osons pas suivre notre désir le plus profond, nous n'osons
pas même l'entendre. Comme le dit le psychanalyste jésuite Denis Vasse :
«Ce qu'il veut n'est pas ce qu'il désire, ou mieux ce qui est désiré en
lui5».
Autrement dit, il ne faut pas renoncer à notre désir mais le
convertir. Tout d'abord, il est important d'avoir conscience que le désir
ne va pas sans la souffrance : rien ne nous rend plus heureux que l'amour,
mais rien ne nous fait plus souffrir. Tout appel véritable nous mène sur
un chemin qui passera par la croix.
Un deuxième aspect de cette conversion du désir a été bien souligné par le
père Gilson : répondre à un appel, c'est toujours passer d'une quête de
soi à la découverte de l'appel d'un Autre, qui agit toujours en premier.
Il faut donc accepter que l'initiative vienne de Dieu : c'est
particulièrement net dans la vocation de Moïse qui voulut tout d'abord, de
lui-même, guider son peuple, mais connut l'échec aussi longtemps qu'il
n'eut pas renoncé à cette volonté pour recevoir cette même tâche de Dieu
lui-même au moment où il s'en croyait totalement incapable. L'important
est donc de passer de «je veux faire quelque chose pour Dieu» à
«Seigneur, que veux-tu que je fasse ?».
2. Quel est cet appel ?
Aimer Dieu et suivre le Christ !
La réponse n'est pas une évidence trop générale pour être intéressante et
significative. C'est véritablement --- et de très loin --- le plus
important. Si on ne part pas de là, on ne discernera jamais qu'entre
diverses professions ou activités. La seule chose que le Christ
nous demande par divers chemins de vie, c'est «M'aimes-tu ?».
D'une certaine manière, il est même heureux que nous ne discernions pas
clairement ce que nous avons à faire : en effet, si nous savions où nous
devons aller, nous y foncerions... sans le Christ. Tandis que lorsque
nous reconnaissons que nous ne savons pas où nous allons, que nous avons
besoin en permanence d'être guidés par Dieu, nous pouvons entrer dans la
joie de suivre le Christ pas à pas, de ne regarder que Lui qui est le
chemin.
Tout quitter !
C'est aussi un appel qui s'adresse à tous ! En effet, il est fondamental
de nous demander si nous serions prêts à tout quitter pour le Christ, de
voir si nous le mettons réellement au-dessus de tout, si nous l'aimons
plus que tout. La réponse est presque toujours «non» dans un premier
temps... et heureusement. Il est important de constater que, par
nous-mêmes, nous ne pouvons pas aimer le Christ plus que tout et tout
quitter pour Lui : une telle grâce ne peut venir que de Dieu Lui-même, si
nous la Lui demandons.
C'est pourquoi il est fondamental de passer en revue tout ce qui fait
notre vie et de constater tout ce que, en réalité, nous plaçons au-dessus
de Dieu, pour pouvoir demander à Dieu de mettre en nous son amour.
Et plus précisément ?
Dieu veut-il pour nous des choses précises ? Cela peut dépendre des gens :
certaines personnes sont très nettement appelées à se marier ou vivre le
célibat pour le Seigneur mais ne sont pas spécialement appelées pour telle
ou telle profession. Inversement, il peut arriver que la vocation
professionnelle d'une personne soit très nette, mais pas la question de la
vie religieuse.
Il faut alors savoir entendre ce à quoi on est profondément appelé, et
accepter de choisir en raison là où l'on ne perçoit pas d'appel précis.
3. Quelles sont les conditions pour discerner ?
Lire la Bible et prier régulièrement
On a besoin de temps pour s'habituer à entendre la volonté de Dieu ; ce
n'est pas une retraite en dix ans qui nous donnera d'un coup la réponse.
Il faut s'habituer à prier comme le Christ : sa prière est toujours une
conformation à la volonté du Père, aussi bien lorsqu'il nous enseigne le
Notre Père («Que Ta volonté soit faite») qu'à Gethsémani («non
pas Ma volonté, mais Ta volonté»).
Demander un accompagnement spirituel
Cela permet d'objectiviser nos impressions, de les extérioriser ; c'est
fondamental car un appel n'est jamais simplement quelque chose d'intérieur
mais la voix de quelqu'un d'extérieur, et authentifiée par des témoins :
par exemple dans le mariage, une condition sine qua non, bien plus
importante que la présence d'un prêtre, est la présence des
témoins.
La maturité humaine
Il faut apprendre à être équilibré, à entrer en relation avec les gens, à
être «normal». Tout appel est un appel à aimer, et aimer, cela
s'apprend. On apprend à aimer pour l'autre et non pas pour soi, à
avoir de la distance par rapport à ses propres affections, à les gérer. Il
est fondamental de devenir capable de vivre seul pour pouvoir recevoir
l'appel à se marier, et inversement, il est fondamental d'être capable de
se marier pour recevoir l'appel au célibat pour le Seigneur. Il faut
apprendre enfin à éduquer notre sexualité car notre sexualité est toujours
blessée ; une personne qui a peur de la sexualité ne peut pas
entrer dans les ordres, pas plus que ne peut se marier une personne qui
est animée d'un désir trop violent.
Accepter le temps avec humilité
Il en va de la vocation comme d'un fruit : si on le cueille trop vite, il
faut forcer car il n'est pas mûr ; si on attend trop, il est pourri. Il y
a un moment où il faut accepter de laisser Dieu agir en nous, sans que
nous puissions comprendre cette action dans nos projets ; et il y a un
moment où il faut accepter de se décider, même si l'on n'est pas prêt à
100% (on ne l'est jamais !) : il est inutile par exemple d'avoir fait le
tour de toutes les communautés religieuses pour savoir quelle est la
bonne... Et il est normal de se décider avant d'avoir l'impression de
connaître parfaitement le Christ : le Christ dans l'Évangile appelle ses
apôtres avant que ceux-ci le connaissent ! Et nous ne saurons où il
demeure qu'en le suivant («Venez et voyez !»).
4. Quels sont les critères pour discerner ?
Cela dépend des personnes. Il y a des personnalités spirituelles
différentes : pour certains, c'est le «coup de foudre»qui aide, mais
ces caractères passionnés devront aussi apprendre à tempérer le coup de
foudre. Pour d'autres, aucun élément n'est vraiment décisif et c'est par
réflexion et calcul du pour et du contre qu'il leur faut se décider.
Il y a pourtant quelques critères qui peuvent aider :
La paix intérieure
Il faut être attentif à nos goûts intérieurs, à ce qui nous laisse le plus
de joie et de paix, comme Ignace lors de sa conversion6. Il nous faut nous
demander ce que nous aimons plus que ce qui est objectivement bon,
car il est évident que les deux possibilités sont bonnes en elles-mêmes
(s'il y avait d'une part un bien et de l'autre un mal, il n'y aurait pas
besoin de discernement !).
Le rapport à la prière et à l'Écriture
Pour gérer nos angoisses et nos incertitudes, il est bon de les mettre en
confrontation avec la prière pour voir ce qu'elles y deviennent. Pour
cela, il est très bénéfique d'avoir quelques repères personnels dans la
Bible, des textes qui nous ont marqué à tel ou tel moment, qui nous ont
fait progresser, pour pouvoir y revenir fréquemment.
Le regard des autres
C'est un critère difficile à utiliser mais néanmoins important parce qu'il
participe de l'objectivisation ou de l'extériorisation de notre vocation.
Si nos proches nous font remarquer qu'on va de moins en moins bien en
prenant telle direction, c'est probablement que cette direction nous met
en décalage avec les autres et avec la réalité. Mais il faut aussi savoir
relativiser le jugement des autres.
Le principe de réalité
Si ce à quoi on croit être appelé n'est décidément pas possible parce que
rien de ce qui existe n'y correspond parfaitement, ou parce que notre
sentiment d'appel ne se concrétise dans aucun appel objectif (par
l'Église, ou par une communauté, ou par une personne), il faut savoir
admettre que ce n'est probablement pas la bonne voie.
Le seul critère absolu !
Le seul critère qui ne trompe pas, ce sont les fruits. Une décision est
bonne si et seulement si elle porte des fruits... mais évidemment les
fruits viennent après ! Malgré son caractère tardif, ce critère n'est pas
sans importance : par exemple, tel prêtre qui était très tourmenté
intérieurement s'est senti confirmé dans sa vocation par les fruits de son
apostolat qu'il put constater extérieurement.
Remarque finale
Il ne suffit pas de discerner : il faut aussi savoir choisir. Même lorsque
l'on sait au fond de soi ce qu'il faut faire, on peut parfois rester
longtemps à discerner sans oser faire le pas.
«N'ayez pas peur !»
PS : un livre à recommander sur ce sujet est celui de Dom Guy
Mesnard, L'appel du Seigneur. Entretiens sur la vocation, De
Solesmes, 1995.
E. V.