Qu'as-tu fait de ton frère ?
La rencontre nationale Chrétiens en Grande École : édition
2006
Événement phare du réseau Chrétiens en Grande École, la
Rencontre Nationale est un week-end de réflexion, de prière et de partage,
qui a lieu chaque année sur un campus différent. Les 28 et 29 janvier
derniers, nous étions ainsi près de 700 étudiants venus de toute la
France, accueillis par les étudiants de l'école de commerce de Reims et
rassemblés autour du thème de la responsabilité et de la fraternité.
Après une entrée en matière par Emmanuel Falque, qui alliait philosophie et
théologie pour nous parler de cet autre qui devient frère, nous avons pu
réfléchir et échanger sur des aspects plus « appliqués » de la
responsabilité envers le frère, grâce à des ateliers préparés par
différentes CC1 : responsabilité en entreprise, évangélisation, responsabilité dans
la prière, relation au frère handicapé, en prison... Puis le temps
d'intériorisation, qui proposait différents types de prière, marquait une
pause après le témoignage de Bernard Devert, prêtre et promoteur
immobilier, fondateur de Habitat et Humanisme.
Le lendemain, le centre ville de Reims nous accueillait pour une matinée de
réflexion sur la doctrine sociale de l'Église, autour d'extraits
d'encycliques et d'intervenants rémois. Enfin, la messe à la cathédrale,
célébrée par Monseigneur Jordan, clôtura ce week-end bien rempli et nous
renvoya vers nos frères!
Rendez-vous l'an prochain à l'ENSAM à Paris ...
L.B.
b]5cm
La cathédrale de Reims.
b]5cm
L'amphi de la Reims Management School.
La protection de mon frère en ses début et fin de vie à
la lumière de l'encyclique Evangelium Vitae
Notre atelier à la Rencontre Nationale de CGE
Compte-rendu de Jérôme Moreau
Pour évoquer la question
de la protection de mon frère en ses début et fin de vie, nous avons
choisi de proposer à Jean-Marie Le Méné, président de la Fondation Jérôme
Lejeune, de s'exprimer à partir d'un choix de textes tirés de l'encyclique
Evangelium Vitae que nous avons distribués aux participants.
M. Le Méné a commencé par rappeler rapidement l'oeuvre de Jérôme
Lejeune et l'action de sa Fondation, axée sur trois pôles indissociables
(chercher, soigner, défendre), puis nous lui avons demandé pourquoi
l'Église parlait aujourd'hui d'une « culture de mort », en nous appuyant
sur le paragraphe 17 de l'encyclique.
Ce n'est pas un « scoop » que l'Église respecte la vie, a-t-il répondu. La
nouveauté de cette encyclique est la prise de conscience par l'Église du
franchissement de deux seuils : un seuil quantitatif, mais aussi un seuil
qualitatif. En effet, ce qui était clairement identifié comme criminel
autrefois est aujourd'hui appelé un bien. En France, l'avortement est
sorti du code pénal pour entrer dans le code de la santé comme une simple
prestation médicale. Dans les mentalités, on est passé de la
dépénalisation à la déculpabilisation, puis à la justification, et enfin à
la positivisation, même si celle-ci n'est que relative pour l'IVG, parfois
stigmatisée comme réaction d'égoïsme ou de confort. Il y a aujourd'hui en
France 200 à 250 000 IVG. L'interruption médicale de grossesse (IMG),
permise jusqu'au dernier jour de la grossesse est quant à elle
parfaitement acceptée : aujourd'hui, 97% des embryons trisomiques sont
avortés, et en moins de 10 ans on est passé de 1200 à 300 ou 350
naissances d'enfants trisomiques. Or, dans le même temps, la médecine
française, très performante en la matière, s'évertue à sauver des grands
prématurés nés à 5 mois de grossesse : ce n'est qu'une fois que l'enfant
est sauvé que les médecins posent la question des séquelles éventuelles et
parlent d'arrêter ou non sa vie. L'IMG, permise depuis 1975, repose
pourtant seulement sur la base d'une simple probabilité de maladie grave
ou incurable : une telle marge d'erreur statistique est surprenante alors
qu'il s'agit d'une vie humaine.
Georg a ensuite décrit une situation un peu différente en Allemagne, où
l'interdiction de l'avortement est un principe demeuré intangible, mais
qui admet plusieurs hypothèses d'exception : indication médicale ou cas de
viol, constituant une situation de conflit grave. Un système de conseil
préalable aux femmes a de plus été mis en place dans des centres, qui
délivrent une attestation de conseil. Ce n'est que trois jours après que
la femme peut prendre sa décision. La loi allemande insiste sur la dignité
de la personne à naître, son droit à la vie, indépendamment de son
acceptation par la mère, et le devoir pour l'État de protéger cette vie.
Il y a pourtant 150 000 avortements par an : c'est moins qu'en France,
proportionnellement, mais il est difficile de penser qu'il y a autant de
conflits graves par an. Aucun homme politique ne semble cependant soucieux
d'élever la voix sur ce problème.
Dans un 2e temps, nous avons demandé à M. Le Méné pourquoi la condamnation
de l'Église était aussi radicale, en citant deux passages de l'encyclique
(§ 39 et § 57).
Une des premières choses que l'on apprend en tant que chrétien, a-t-il
répondu, c'est que l'on est créé à l'image et à la ressemblance de Dieu.
Il n'y a dans cette relation aucune place pour un acte de mort : un
trisomique ou une personne en fin de vie ne cesse pas d'être à l'image et
à la ressemblance de Dieu. La mort est l'oeuvre du Diable, lorsqu'il a
introduit la tentation chez l'homme de devenir comme Dieu en se donnant
son propre système de valeurs. Dans les actes de mort condamnés par
l'Église, on retrouve donc Adam et Ève, mais aussi Caïn et Abel : on est
aujourd'hui dans un relativisme total et arbitraire où l'on peut tuer si
on le veut, dans certains cas inscrits dans la loi qui y voit un bien,
alors que le Décalogue l'interdit absolument. Dans ce nouveau paradigme,
tout est possible : une vie n'a de valeur qu'en fonction d'un « projet
parental », c'est-à-dire que quelqu'un n'existerait qu'en fonction du
regard porté sur lui par un autre, ce qui est monstrueux sur le plan
anthropologique.
On dit que « la loi encadre », c'est-à-dire qu'on accepte une
transgression mais que par souci éthique on met un cadre. En réalité, on
dérive ensuite avec ce cadre. C'est ainsi que la loi de bioéthique de 1994
interdisait toute utilisation de l'embryon à des fins de recherche, mais
que cet interdit absolu a été levé 10 ans plus tard dans la loi de 2004
par le même homme politique.
Le clonage y a heureusement été interdit. Il n'y a pas en effet deux
clonages différents, l'un qui serait mauvais, le clonage reproductif, qui
chercherait à produire des Mozart ou des Staline en série (tout le monde
est contre, mais en réalité il ne menace personne) et l'autre qui serait
bon, le clonage thérapeutique. On a entendu des premiers ministres
annoncer que cela devait guérir de tout, alors que pour le moment on ne
sait en réalité rien du tout. Il n'y a en fait qu'un seul clonage : la
reproduction d'un embryon ayant le patrimoine génétique du donneur. Le
clonage thérapeutique est même deux fois plus criminel, puisqu'on
n'implante pas l'embryon, mais qu'on le met en culture pour récupérer des
cellules indifférenciées. La thérapie cellulaire, à partir des
cellules-souches adultes ou de cellules présentes dans le cordon
ombilical, offre pourtant de très intéressantes perspectives, attestées
par de nombreuses publications, alors qu'il n'y a rien sur le clonage
thérapeutique, même de la part des équipes anglaises, toujours en pointe,
qui ont l'autorisation de travailler dans cette direction. L'utilisation
de l'embryon est donc purement idéologique.
Nous avons ensuite abordé le fait que les arguments pour la défense de la
vie ne sont pas spécifiquement chrétiens, comme le dit l'encyclique : «
L'Évangile de la vie n'est pas exclusivement réservé aux croyants,
il est pour tous. La question de la vie, de sa défense et de sa
promotion n'est pas la prérogative des seuls chrétiens. » (§ 101).
En effet, a expliqué M. Le Méné, les arguments théologiques sont
surabondants et ne nécessitent pas que l'on fasse appel à l'Église. C'est
un devoir pour toute la communauté humaine, pour tous ceux qui se
réclament de la fraternité : juif, musulman, athée, franc-maçon,
libre-penseur, farouche révolutionnaire... Les exemples ne manquent pas, y
compris à la Fondation Jérôme Lejeune, où siège un cancérologue qui est
juif et agnostique.
L'avortement est la suppression d'un être humain. Dira-t-on que l'embryon
n'est pas une personne ? Si la personnalité n'est pas prouvable, en
revanche l'appartenance à l'espèce humaine est de l'ordre du constat, de
l'objectivité. On ne peut se fonder sur des critères morphologiques, sur
le critère de la conscience ou sur le critère de la liberté pour décider
que quelqu'un n'est pas un être humain : que faire alors des gens
difformes, de ceux qui dorment ou sont dans le coma, et des prisonniers ?
Y a-t-il des êtres humains qui ne soient pas des personnes ? La personne,
c'est tout simplement un être humain vivant.
Pourquoi donc, avons-nous demandé, observe-t-on une telle situation alors
que la vérité est évidente ?
M. Le Méné, citant Pascal, a répondu qu'il faut travailler à diminuer les
passions avant tout, alors que la raison est claire. L'obscurcissement
vient de dérives et de comportements qui sont généralisés, qui concernent
tout le monde, et que l'on voudrait entériner, sous l'effet d'un égoïsme
ou d'un confort qui contraint du coup à accepter la légalisation du
meurtre. Or, comment la société peut-elle aujourd'hui se construire en
détruisant ses propres enfants ? Comment une femme peut-elle se construire
en acceptant la destruction de l'enfant qu'elle porte ? Une grande partie
des consultations de psychologues aujourd'hui concerne des femmes qui ont
avorté. En effet, on dit aux femmes avant l'avortement que c'est non
seulement une pratique permise, mais encore un progrès obtenu à la suite
de luttes, et qu'il s'agit d'un acte simple et aseptisé. Voire, comme
Simone de Beauvoir, on affirme que l'avortement est constitutif de
l'identité féminine. Mais après, on dit aux femmes qui ont avorté qu'elles
doivent faire le deuil de leur enfant. Ce retournement complet met les
femmes dans une impasse, dont elles ne peuvent sortir que par la
reconnaissance de leur culpabilité. Ces blessures ne peuvent cicatriser,
sauf pour des chrétiens. Seul le Christ peut dire : à tout péché, même
celui-là, miséricorde.
Que peut-on donc faire, et quelles sont les solutions proposées en
particulier par l'Église, avons-nous enfin demandé à M. Le Méné.
Concernant l'euthanasie, il y a un développement très positif des soins
palliatifs : c'est une question purement rationnelle et qui n'implique pas
de référence au dogme. On constate que dès lors qu'une équipe entoure le
malade, qu'on se bat pour lui, qu'on soulage la douleur (il n'y a que très
peu de douleurs qui ne peuvent pas être soulagées), le malade s'accroche
et ne demande pas à mourir. C'est plutôt au moment de l'annonce d'une
maladie grave qu'un malade, découragé, peut vouloir demander l'euthanasie.
Concernant l'avortement, il y a des centres (mais uniquement privés,
malheureusement) qui permettent aux femmes de poursuivre leur grossesse
jusqu'à son terme, ce qui leur permet de choisir vraiment. L'argument de
la détresse matérielle est difficile à soutenir en France, où les
directions départementales de l'action sanitaire et sociale ne peuvent
méconnaître la situation de détresse d'une femme. L'argument est donc plus
idéologique qu'économique.
Le problème principal concernant les cellules-souches, pour lesquelles il
y a comme on l'a vu des alternatives, est de comprendre que le progrès
scientifique n'est pas lié à des transgressions. Tout domaine de la vie
humaine doit avoir des limites, y compris la science. Les expérimentations
des médecins nazis dans les camps n'ont pas conduit à des avancées
particulières.
De façon générale, l'Église est un extraordinaire creuset d'actions. On le
dit peu, mais elle est le premier opérateur de santé dans le monde.
L'essentiel est de lutter contre la culture de mort, sans craindre de
rappeler des préceptes moraux négatifs, dont l'encyclique rappelle (§ 75)
qu'ils ont une valeur absolue. Il y a des moments où il faut savoir dire
non, c'est une attitude structurante. Il faut évidemment être ouvert et
accueillir charitablement une femme en difficulté, mais dans les débats
intellectuels, il est nécessaire de rappeler ces préceptes pour tenter de
changer les « structures de péché » (institutions, habitudes,
comportements, etc., dont on est prisonnier et qui conduisent au péché). «
Quand le prince n'est pas converti, la cité ne peut pas l'être » : il ne
faut donc pas avoir peur d'user de la démocratie pour faire passer ses
idées dans les lois, les règlements, ou encore les attitudes et les
éléments de langage. Les chrétiens ont souvent entendu dire qu'ils ne
devaient pas imposer leur point de vue aux autres, avec pour résultat que
ce sont les autres qui ont imposé le leur aux chrétiens, bien souvent à
tort. La foi ouvre l'intelligence, et il ne faut pas hésiter à puiser dans
la doctrine sociale de l'Église qui est une mine extrêmement riche sur
laquelle nous pouvons nous appuyer pour prendre publiquement des positions
courageuses et ainsi aider la société à aller mieux et soigner des
cicatrices qui sont aujourd'hui purulentes.
Dans l'échange de questions et de réponses qui a conclu l'atelier, M. Le
Méné a notamment stigmatisé la dictature du bonheur actuelle : c'est parce
que l'on affirme que l'enfant ne sera pas heureux, qu'il viendra causer un
trouble grave à la famille et à la société, que l'on soutient qu'il est
nécessaire d'avorter. Un enfant handicapé est certes une difficulté qui
s'ajoute, mais cela constitue un défi pour la famille et surtout pour la
société. Le degré de civilisation d'une société se mesure d'ailleurs à
l'attention qu'elle porte aux tout-petits, au raffinement de l'aide
apportée à la veuve et l'orphelin. Cette aide bénéficie souvent d'ailleurs
ensuite à la société dans son ensemble (pour les médicaments, notamment,
mais aussi l'invention... de la télécommande !). Jérôme Lejeune
soulignait ainsi que des avancées sur la maladie d'Alzheimer peuvent
bénéficier à la trisomie, et réciproquement.
Pour en savoir plus :
- encyclique Evangelium Vitae
- http://www.genethic.org : revue de presse quotidienne et gratuite,
depuis 5 ans, assurée par la Fondation Jérôme Lejeune.
J.M.