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Indispensable mission

Matthieu Cassin






L'apostolat des laïcs ne peut jamais manquer à l'Église, car il est une conséquence de leur vocation chrétienne. L'Écriture elle-même montre parfaitement (cf. Ac 11, 19-21; 18, 26; Rm 16, 1-16; Ph 4-3) combien cette activité se manifesta spontanément aux premiers jours de l'Église et combien elle fut féconde. Notre temps n'exige pas un moindre zèle de la part des laïcs ; les circonstances actuelles réclament d'eux, au contraire, un apostolat toujours plus intense et plus étendu.1

Je ne voudrais pas sembler confondre mission et apostolat ; mais il faut sans doute partir de celui-ci pour en venir à celle-là. Voici comment la même constitution du Concile Vatican II définit l'apostolat : « Toute activité du corps mystique qui tend vers ce but, [c'est-à-dire] ordonner en vérité le monde entier au Christ. »2 Aussi la mission semble-t-elle donc être un aspect particulier de l'apostolat ; or, si tous les laïcs sont appelés à l'apostolat, ils le sont aussi à la mission. Non sans doute à la mission ad gentes, mais du moins à la mission qui relève de la « Nouvelle évangélisation » et qui se tourne vers les lieux déchristianisés proches de nous.

En effet, l'urgence de l'annonce de l'Évangile est toujours présente, ou devrait toujours être présente à notre coeur, tant qu'il restera un homme à qui le Christ n'aura pas été annoncé de manière telle qu'il puisse recevoir sa Parole et convertir son coeur.



« Il ne suffit point cependant que le peuple chrétien soit présent et établi dans un pays ; il ne suffit point non plus qu'il exerce l'apostolat de l'exemple ; il est établi, il est présent dans ce but : annoncer le Christ aux concitoyens non-chrétiens par la parole et par l'action, et les aider à accueillir pleinement le Christ. »3

Comment, en effet, si le Christ est « le chemin, la vérité et la vie »4, s'il est « l'unique médiateur entre Dieu et les hommes »5, ne pas vouloir le faire connaître de tout homme ? Comment peut-on savoir en toute tranquillité que bien des gens ne connaissent pas Jésus-Christ, Verbe de Dieu venu en notre chair, mort et ressuscité pour que nous soyons sauvés, et par qui nous sommes sauvés ? Je ne dis pas qu'il faille en perdre le sommeil (quoique... ), mais y penser tout de même, et faire ce qui nous est possible, auprès de nous ; simplement penser qu'il est de notre devoir de baptisés d'annoncer la Bonne Nouvelle qui nous sauve, pour permettre à tout homme d'être sauvé en Christ. C'est bien sûr le devoir de ceux qui consacrent toute leur vie à la mission, le devoir des évêques et des prêtres, mais c'est aussi le devoir de tout chrétien.



« Vous êtes la lumière du monde. Une ville ne se peut cacher, qui est sise au sommet d'un mont. Et l'on n'allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais bien sur le lampadaire, où elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison. Ainsi votre lumière doit-elle briller devant les hommes afin qu'ils voient vos bonnes oeuvres et glorifient votre Père qui est dans les cieux.»6


Celui qui aime et est aimé veut faire partager cet amour, si cet amour ne diminue pas à être partagé, mais grandit au contraire. Or, l'amour du Christ ne pourra que grandir pour celui qui ramène dans le sein du Père ses autres enfants, se faisant son apôtre.

Pour cette évangélisation, le Concile l'a rappelé7, et nous le savons sans doute, du moins pour notre génération, presque instinctivement, le premier témoignage est celui de la vie ; c'est d'ailleurs la mission propre des laïcs8 que d'être, par leur présence et leur manière de vivre dans le monde, les témoins du Christ. Aussi devons-nous annoncer le Christ par une charité inventive et une action fraternelle.



« Cet apostolat cependant ne consiste pas dans le seul témoignage de la vie ; le véritable apôtre cherche les occasions d'annoncer le Christ par la parole, soit aux incroyants pour les aider à cheminer vers la foi, soit aux fidèles pour les instruire, les fortifier, les inciter à une vie plus fervente, ``car la charité du Christ nous presse'' (2Co 5, 14). C'est dans les coeurs de tous que doivent résonner ces paroles de l'Apôtre : ``Malheur à moi si je n'évangélise pas'' (1Co 9, 16). »9


Le ministère de l'apôtre ne peut pas passer par le seul témoignage de vie ; sauf à être un saint, peut-être, car dans ce cas, la personne est tellement transparente à la grâce divine que la lumière du Christ rayonne à travers elle sur quiconque l'approche. Pour le saint, la mission est plus simple... mais elle n'exclut pas, pourtant, la parole. Et pour nous plus encore. Cela ne veut pas dire qu'il ne faille pas que cette parole soit emplie par l'amour du prochain, que le regard qui soit porté sur le frère soit celui du Christ10. Cela ne veut pas dire que l'annonce du Verbe venu en notre chair pour notre salut ne doit pas s'ancrer dans la prière et dans une vie tout emplie de charité.

Si nous voulons faire connaître le Christ, il faut l'annoncer par notre vie et par notre action dans la société et les groupes qui sont les nôtres, nous faire ferments de l'Évangile là où nous sommes11. Mais il nous faut aussi transmettre par notre bouche la Bonne Nouvelle du Christ. Pour cela, il faut bien évidemment, par la prière et l'exercice à la charité fraternelle, se mettre à l'écoute du frère, des frères. Il faut tout autant oser risquer notre parole au service de l'unique Parole du Père, pour donner à entendre à chacun ce que, peut-être, il n'a jamais entendu, ou jamais entendu d'une manière telle que la Parole puisse lui entrer au coeur. Ce n'est pas là prétendre pouvoir mieux que quiconque annoncer la Parole de Dieu. C'est simplement reconnaître que cette Parole nous a été confiée et qu'il nous revient de la proclamer, quelles que soient nos faiblesses ; il serait trop facile de se réfugier derrière nos peurs en les nommant incapacités : alors, l'humilité se fait refuge d'orgueil.

Et peut-être faut-il aussi se souvenir qu'il revient à chacun de réveiller fraternellement, sans cesse, en son frère l'amour du Christ. Non qu'il soit plus chrétien que lui, ni même plus avancé en Christ. Simplement saisir toute occasion de réveiller fraternellement en tous l'amour du Christ pour toute personne humaine. Car c'est tout le corps mystique du Christ qui est appelé à vivre en Dieu dans l'unique Esprit : mais les moments de faiblesse de chacun ne sont pas les mêmes, les moments d'éloignement au Christ, ou de simple fatigue spirituelle, ne coïncident pas, bien heureusement ! Il est du devoir de chacun des membres du corps qu'est l'Église, corps du Christ, d'aider tous les autres membres, et d'abord ceux qui lui sont proches, à mieux aimer l'unique Tête et à mieux vivre de l'unique vie de l'Esprit qui est amour.

Quand, mieux qu'en ce temps de Noël, rappeler que le Verbe éternel du Père, le Fils unique de Dieu, s'est fait chair et homme, s'est fait petit enfant et s'est confié entre nos mains ? Il n'est pas venu sur les nuées du Ciel, entouré des légions célestes, mais petit enfant dans les bras de sa mère, pauvre parmi les pauvres. Il n'a pas proclamé la Bonne Nouvelle du Salut d'une voix à faire trembler l'univers ; c'est de sa voix d'homme --- dans le silence et la faiblesse de l'enfant, même --- par ses gestes d'amour et de paix qu'il s'est manifesté. Au jour de sa Passion, il n'a point appelé à son aide12 les légions des anges pour venir le délivrer, malgré les injures et les moqueries sur la croix13 ; il s'est offert par amour pour les hommes. À sa résurrection, il n'a pas manifesté sa gloire dans tout Jérusalem ou au pinacle du Temple, mais ce sont ses apôtres qu'il a envoyés dans le monde entier prêcher en son nom.



« Allez donc, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, et leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit. Et voici que je suis avec vous pour toujours jusqu'à la fin du monde. »14


C'est donc à chacun de nous qu'est confiée la tâche d'annoncer le Christ mort et ressuscité pour notre salut, et de le faire par nos actes et par nos paroles. Le Verbe de Dieu s'est confié à l'homme pour que l'homme le proclame à tous ses frères, il s'est donné à nous en son humilité, pour être choisi librement par l'homme, pour lui-même et non par la force de sa gloire. Dans son respect immense pour la liberté de l'homme, Dieu se confie à lui ; aussi avons-nous à annoncer cette Bonne Nouvelle, aussi avons-nous à annoncer son amour pour tout homme, déjà aimé avant même que de naître. Le Verbe qui était auprès de Dieu et qui est Dieu s'est confié à la bouche humaine, pour qu'elle l'annonce, Parole de délivrance et d'espérance pour tout homme, et qui seule mène à la Vie. Or, c'est désormais l'Esprit de Dieu qui parle en notre bouche, lorsque nous annonçons sa Parole ; l'Esprit a été répandu sur toute chair, encore devons-nous apprendre à le laisser parler...



« Mais vous, vous êtes une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple choisi, pour annoncer les louanges de celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière, vous qui jadis n'étiez pas un peuple et qui êtes maintenant le Peuple de Dieu, qui n'obteniez pas miséricorde et qui maintenant avez obtenu miséricorde. »15

M.C.

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