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Papillotes, pain d'épices et clémentines : l'interview exclusive de saint Nicolas

Sylvain Perrot








Après une interview remarquée de Marc-Antoine Charpentier, notre reporter intrépide est parti dans les régions les plus froides de France à la recherche de celui qui a «boosté» les ventes de clémentines. Parcourant ainsi la toundra lorraine et la banquise alsacienne, il a enfin retrouvé la trace (dans la neige) d'un Saint extrêmement populaire dans ces régions : saint Nicolas. Sûr du sérieux de notre revue, ce dernier a accepté de répondre aux questions du Sénevé :



Sénevé --- Votre Sainteté, merci de nous recevoir. Brrr, il ne fait pas chaud par ici.

Nicolas --- Un peu de vin chaud ?

S. --- Bien volontiers. (après une courte pause) Bien, si nous commencions ? Pour aimer ces climats arides, vous devez y avoir longtemps vécu ?

N. --- Détrompez-vous, ce n'est que depuis le Moyen-Âge que j'arpente les sentiers de l'Est de la France !

S. --- Vous n'êtes pas de la région ?

N. --- Pas du tout. Je suis né vers 250-270 après la naissance de notre Seigneur à Patara.

S. --- Pataquoi ?

N. --- Patara, une cité de Lycie, au sud-ouest de l'Asie Mineure. C'est dans votre Turquie actuelle, je crois.

S. --- Vous êtes donc turc ?

N. --- Disons plutôt romain. À cette époque, la région appartient encore à l'Empire romain. Ce n'est qu'en 330 qu'il y a scission entre Rome et Constantinople. À partir de cette date, on peut dire que je suis constantinopolitain.

S. --- C'est pour cette raison que vous êtes honoré aussi bien dans l'Église latine que dans l'Église orthodoxe ?

N. --- Il est vrai que la Russie orthodoxe a donné mon nom à plusieurs de ses tsars.

S. --- À votre avis, pourquoi avez-vous été canonisé ?

N. --- Ce n'est pas à moi qu'il appartient de répondre. Ce que je peux vous dire, c'est que j'ai essayé de mener une vie conforme à l'enseignement de notre Seigneur. C'est à l'occasion d'un pèlerinage en Palestine et en Égypte que j'ai entendu notre Seigneur m'appeler.

S. --- On vous représente souvent vêtu d'un habit rouge et avec une crosse en main.

N. --- Tout simplement parce qu'à mon retour de pélé, je suis devenu évêque de Myre. Mon oncle était mon prédécesseur et il est mort à ce moment-là. Les évêques de la région se sont réunis pour désigner son successeur, et une petite voix leur a recommandé d'élire celui qui entrerait le premier à l'église et qui se nommerait Nicolas.

S. --- Et c'était vous ?

N. --- On ne peut rien vous cacher. Mais cette fonction m'a valu quelques ennuis avec les autorités. L'Empereur régnant n'aimait pas beaucoup les chrétiens et il s'est fait un malin plaisir à les persécuter. J'ai été ainsi arrêté et emprisonné, et j'ai même dû partir en exil. Ces petits soucis ont pris fin avec l'Édit de l'Empereur Constantin de 313 qui accordait la liberté religieuse.

S. --- Vous êtes revenu à Myre ?

N. --- Oui, mais je dois reconnaître que j'ai beaucoup voyagé ensuite.

S. --- Certains disent que vous avez participé au Concile de Nicée. Mais votre nom n'apparaît pas sur la liste des évêques !

N. --- J'ai dû oublier de signer...

S. --- Je comprends que l'Empire byzantin vous ait honoré, mais pourquoi êtes-vous très populaire en Occident ?

N. --- Peu avant ma mort, je me suis rendu auprès de notre Saint Père à Rome et j'ai ensuite séjourné dans la belle ville de Bari. Disons que ma présence y a été remarquée...

S. --- Un de vos nombreux miracles ?

N. --- En effet. Sans vouloir me vanter, j'ai un beau palmarès...

S. --- Pourriez-vous nous en raconter un ?

N. --- Si vous y tenez. Une révolte avait éclaté en Asie Mineure, et notre cher Empereur y avait envoyé trois soldats pour y rétablir l'ordre. Des vents contraires les forcèrent à faire escale à Myre et ils furent hébergés par l'évêque Nicolas. Ils partirent, accomplir leur mission et rentrèrent à Rome. Mais l'Empereur les accusa d'avoir fomenté un complot dont il avait été victime pendant leur absence, et les fit condamner à mort. Je suis apparu en rêve à l'Empereur pour lui enjoindre de les relâcher. Il leur faisait grâce le lendemain...

S. --- Impressionnant ! Mais pourquoi vous fête-t-on le 6 décembre ?

N. --- Parce que c'est le jour où je suis mort, en 343 précisément.

S. --- De votre belle mort ?

N. --- Pas vraiment, disons que les autorités politiques ont eu leur revanche...

S. --- Votre dépouille se trouve donc à Myre ?

N. --- Elle s'y trouvait jusqu'au XIième siècle. Les Turcs ont détruit Myre. Quatre moines qui étaient fidèles à ma mémoire leur ont montré mon tombeau à des soldats italiens qui venaient de Bari pour qu'ils sauvent mes restes. Ils les ont ainsi emportés à Bari.

S. --- Vous avez donc pris une retraite céleste bien méritée !

N. --- Pensez-vous, quand on est Saint, il faut assurer ! Si vous saviez le nombre d'heures sup' que j'ai faites ! Déjà mes reliques n'ont pas chômé : quand on les a mises dans mon tombeau, une fontaine d'huile a jailli de ma tête et de mes pieds une source d'eau. Cette huile sainte, comme cela va de soi, avait le pouvoir de guérir n'importe quelle maladie. Bref, quand les soldats ont ouvert mon tombeau, ils ont trouvé mes restes baignant dans l'huile...

S. --- Vous êtes donc le saint patron des cuisiniers ?

N. --- Votre humour est un peu gras... Non, je laisse ce boulot à saint Laurent. Moi, j'ai déjà fort à faire avec les navigateurs, les voyageurs, les boulangers, les prisonniers, les tonneliers, les parfumeurs, les pharmaciens, les jeunes gens à marier, les commerçants...

S. --- Tout ça ?

N. --- Chaque épisode de ma vie a été repris par telle ou telle confrérie, alors comme j'ai diversifié mes activités miraculeuses...

S. --- Il y a des catégories socio-professionnelles qui ne vous prennent pas pour patron ?

N. --- Disons que j'ai peu d'affinités avec les bouchers...

S. --- Pourquoi ?

N. --- Laissez-moi vous raconter une petite histoire. Un paysan avait demandé à ses trois enfants d'aller ramasser des épis de blé mais ils se sont fait surprendre par la nuit. Par chance, ils ont vu une lueur dans le lointain : c'était une maison. Un homme, gros et gras, leur dit qu'il est boucher et qu'il va non seulement les loger pour la nuit, mais aussi les nourrir. Les pauvres enfants, dans leur naïveté, rentrent et voilà que le boucher sort un couteau, les découpe en petits morceaux et les met dans son saloir. Sept ans plus tard, je passais par hasard devant cette maison et, ne me demandez pas comment, j'ai su ce qui s'y était passé. Je suis entré : le boucher m'a proposé du jambon ou du veau. J'ai exigé d'avoir du petit salé qui dormait depuis sept ans dans son saloir. Je crois qu'il a eu la plus belle frousse de savie, il est parti en courant. Je suis allé dans le saloir et les trois enfants se sont levés.



S. --- Je comprends maintenant votre contentieux avec les bouchers ! Mais je constate à l'inverse que vous chérissez particulièrement les enfants.

N. --- Il est vrai que ce sont eux que je protège tout particulièrement : je ne puis tolérer qu'on fasse du mal à un être sans défense. Notre Seigneur n'a-t-Il pas dit : «Laissez venir à moi les petits enfants» ? Chaque fois que je l'ai pu, j'en ai sauvé.

S. --- C'est pourquoi la Saint-Nicolas est avant tout une fête pour les enfants ?

N. --- Oui. Et c'est pourquoi je parcours les régions qui m'honorent le 6 décembre pour distribuer des friandises, en particulier du pain d'épices et des clémentines. Pour me remercier, le maire me donne les clefs de la ville : je peux vous assurer que j'en ai plus que saint Pierre...

S. --- Quel est cet étrange personnage au visage noirci qui vous accompagne ? Pourquoi a-t-il une baguette à la main ?

N. --- Ah, c'est mon ami le Père Fouettard ! Disons que j'aime les petits enfants, mais ils se doivent d'être sages. Sinon, le Père Fouettard leur donne des coups de trique !

S. --- Il vout suit partout ?

N. --- En fait, il ne vient avec moi qu'en Alsace et en Lorraine. Sans oublier bien sûr le nord de la Franche-Comté !

S. --- C'est vrai que c'est surtout dans l'Est de la France et en Allemagne que la Saint-Nicolas est devenue une grande fête traditionnelle ! Pourquoi ?

N. --- Mon camarade en fait est plus jeune que moi : il est né en 1552, lors du siège de Metz par Charles Quint. Les Messains ont promené l'effigie de l'Empereur à travers les rues et l'ont brûlée. Voilà comment il est né. Pour ma part, je vous ai dit que mes restes étaient à Bari. Mais quelques années après le transfert à Bari, un chevalier lorrain, s'en revenant des croisades, m'a piqué un doigt et l'a ramené dans sa ville natale, qui porte le doux nom de Saint-Nicolas-de-Port et qui est vite devenue un but de pèlerinage.

S. --- Et vous n'avez pas gardé rancoeur de ce vol ?

N. --- Que faites-vous du pardon ? D'ailleurs, j'ai sauvé un Lorrain parti en croisade en 1230, le seigneur de Réchichourt. Il avait été fait prisonnier en 1230 par les Sarrasins qui ont demandé une rançon et personne ne leur a répondu. En Lorraine, on avait même fini par l'oublier. Mais lui, au fond de sa geôle, me priait chaque soir de le délivrer. Si bien qu'un 5 décembre, vers 1240, en pleine nuit, il fut réveillé par le froid: il n'était plus dans son cachot mais devant l'entrée de l'église de Saint-Nicolas-de-Port, encore enchaîné...

S. --- Et l'Alsace ?

N. --- Influence germanique ! En fait, l'Empereur germanique Otto1, au Xième siècle si je me souviens bien, a épousé Théophane, fille de l'Empereur de Byzance. Disons qu'elle m'a emmené dans ses bagages...

S. --- Une dernière question : que pensez-vous du Père Noël ? Vous ne vous faites pas concurrence ?

N. --- Sachez, jeune homme, que le bonhomme dont vous me parlez, c'est moi !

S. --- Pardon ? Ce petit bonhomme joufflu, c'est vous, qui êtes d'habitude représenté comme un homme de grande taille, mince, à la barbe longue ? Mais où est la crosse ?

N. --- Ainsi va le monde... Disons que le concept du vieux monsieur distribuant des friandises a plu au monde anglo-saxon. Mais pour eux, le 25 décembre avait plus de valeur que le 6... Alors ils m'ont un peu transformé. Sachez par ailleurs que le «Père Noël», comme vous dites, s'appelle outre-Atlantique Santa Claus. Le diminutif de Nicolaus...

S. --- Je n'avais jamais fait attention ! En tout cas, merci d'avoir répondu à nos questions.

N. --- Pour vous récompenser d'être venu jusqu'ici, je vais vous offrir un peit cadeau. Que diriez-vous de ma recette de pain d'épices ?

S. --- Avec plaisir !

N. --- Alors vous comptez 30 min pour la préparation et 1 h15 min pour la cuisson. Vous prenez 500 g de farine de blé, 500 g de miel liquide, 30 g de casonnade, 25 cl de lait, 1 cuillère à café de bicarbonate, 60 g d'écorces d'orange confite, 25 g d'amandes effilées, 1 cuillère à café de cannelle, 1/2 cuillère à café de gingembre en poudre, 1/2 cuillère à café d'anis, 2 pincées de quatre-épices, 1 cuillère à soupe d'eau de fleur d'oranger, 1/2 cuillère à café de sel. Coupez les écorces d'orange confite en petits dés réguliers. Portez le lait à ébullition à feux doux. Hors du feu, incorporez le miel. Mélangez jusqu'à ce qu'il soit complètement dissout. Remettez quelques instants sur feu doux. Dans un grand saladier versez la farine tamisée, avec le bicarbonate et le sel. Ajoutez la cassonnade, les épices, la fleur d'oranger ainsi que le lait chaud. Mélangez jusqu'à ce que la pâte devienne homogène. Incorporez les écorces d'orange confite. Versez la pâte dans le moule. Parsemez d'amandes effilées. Préchauffez le four à 150°C (Th 5). Enfournez 1h15, puis sortez-le et laissez reposer 5 mn avant de démouler. Bon, je vous laisse, j'ai ma tournée à finir...
S. P.

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