«Des foules manquent à devenir chrétiennes dans ces régions, faute de personnes qui s'adonnent à de si pieuses et saintes choses. Souvent la pensée me saisit d'aller dans les écoles de chez vous en criant à pleine voix, comme un homme qui a perdu le jugement, et surtout à l'Université de Paris ; je voudrais dire en Sorbonne à ceux qui ont plus de savoir que de volonté pour s'appliquer à en tirer parti : combien d'âmes manquent le chemin de la gloire et vont à l'enfer, en raison de votre négligence ! De même qu'ils s'adonnent à l'étude du savoir, s'ils réfléchissaient pareillement sur le compte que Dieu notre Seigneur leur en demandera, ainsi que du talent qu'il leur a donné, beaucoup s'en troubleraient ; ils prendraient les moyens et exercices spirituels propres à leur faire connaître et sentir, dans l'intime de l'âme, la volonté divine, et se conformeraient à elle plutôt qu'à leurs inclinations propres, disant : ``Seigneur, me voici, que voulez-vous que je fasse ? Envoyez-moi où vous voulez ; et si vous le jugez bon, même parmi les Indiens.'' (cf. Is 6 8 ; Ac 9 6) [...] Il est de coutume, chez les étudiants, de dire : je désire posséder le savoir pour obtenir par là quelque bénéfice ou dignité ecclésiastique, puis pour servir Dieu dans cette dignité. Ainsi, suivant leurs affections désordonnées, choisissent-ils leur état de vie, tout en craignant que Dieu ne veuille pas ce qu'ils veulent, sans que leurs affections désordonnées consentent à laisser ce choix au bon plaisir de Dieu notre Seigneur.» (Saint François Xavier, Lettre aux Pères de Rome, écrite des Indes le 15 janvier 15544).![]()
Saint François-Xavier.
Si l'on pose la question : «Qu'est-ce qui est le plus important pour toi, le Christ, ou l'agrégation (le Christ, ou ta réussite professionnelle ; le Christ, ou ta position sociale, etc.) ?», personne sans doute n'aura envie de mettre le Christ en seconde position. Mais sommes-nous sûrs (autant qu'il est possible, tant qu'il s'agit d'une hypothèse) que pour l'amour de lui nous quitterions tout ? Que chacun s'examine, considère ce qu'il a de plus cher, et se demande : «Cela, si mon Seigneur et mon Dieu, mort et ressuscité par amour pour moi, me demandait de l'abandonner, est-ce que j'y renoncerais ?» À cette question, nul ne peut répondre pour un autre, et nous seuls pouvons juger en conscience si nous nous la posons et si nous y répondons avec sincérité. Et l'enjeu est grand : il s'agit de savoir où nous plaçons notre trésor. Nous sommes chrétiens. Faisons-nous à Dieu une place dans nos plans ou est-ce que nous cherchons notre place dans le plan de Dieu ? Si j'insiste tant sur ce point, c'est qu'il me semble qu'une prédilection pour Dieu n'est pas du tout notre premier réflexe, loin de là ; et que pour pouvoir non seulement nous lever et répondre à l'appel du Christ, mais simplement entendre cet appel, il nous faut arracher bien des ronces qui autrement étoufferont la semence tombée en terre.![]()
Une autre difficulté est celle de s'exposer au regard des autres. Il est clair qu'annoncer publiquement l'Évangile nous expose au ridicule et à la moquerie. La vie des missionnaires, Paul ou François Xavier, n'a pas été de tout repos. Cela ne doit pas nous arrêter, du moins si notre souci est vraiment de faire la volonté de notre Père qui est aux cieux : le disciple n'est pas plus grand que son maître, et si le monde l'a rejeté, nous avons à accepter, par fidélité à lui, d'être rejetés par le monde. La Croix est un scandale pour le monde et celui qui l'annonce un signe de contradiction. Je pense parfois avec compassion aux chrétiens qui traduisent la Bible : il me semble que si j'étais à leur place, je serais sans cesse tenté d'atténuer, d'arrondir les angles, de supprimer certains passages, de peur de choquer nos contemporains. Mais il nous faut tenir dans la vérité tout entière. Cela dit, lors de l'unique expérience que j'ai faite en matière d'évangélisation de rue, j'ai pu éprouver que l'appréhension à aller au-devant des gens est bien plus pénible que la rencontre et l'annonce elle-même ; et, alors qu'il a vraiment fallu que je prenne sur moi pour sortir, je garde de cet après-midi le souvenir d'une grande joie, provenant de la rencontre. Aussi, si les difficultés qu'il y a à évangéliser sont réelles, elles sont sans doute moindres que nous l'imaginons et le monde, prompt à rejeter le Christ et son Église, peut également être sensible à la joie et à la conviction qui nous anime. Pour nous aussi cette Parole est vraie : «Prenez sur vous mon joug et devenez mes disciples, car je suis doux et humble de coeur, et vous trouverez le repos pour vous-mêmes. Le joug que je vous invite à prendre est facile à porter et le fardeau que je vous propose est léger» ; nous aussi nous trouverons notre bonheur dans le don de nous-mêmes qui oriente notre existence.![]()
Christ, chemin de toute évangélisation.