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L'Ode à Sainte Cécile de Paul Claudel (1914)

Sylvain Perrot







Notre reporter émérite, de plus en plus agrégatif et de moins en moins disponible, n'a eu que peu de temps pour accomplir sa tâche. Mais par chance, un grand poète, au programme de son agrégation, avait déjà évoqué en 1914 le souvenir de cette grande sainte qu'est Sainte Cécile. Notre reporter vous en propose donc le texte, agrémenté de quelques notes :
La fête de Sainte Cécile se célèbre au mois de novembre1,
Et comme ces fruits de l'automne finissant pour mûrir que l'on met en chambre,
C'est le temps qu'à pleines charrettes nous voyons décharger à la porte de nos basiliques,
Timbales, trombones, contrebasses, les pupitres et tous ces vases de musique
Pour soutenir la voix de quatre cents choristes vigoureux2 :
C'est tout le son de la terre et de l'homme ensemble, savant et mûr, en ce jour que nous consacrons à Dieu.
Mais dans le printemps des persécutions, parmi les branches ruisselantes,
Cécile, avant toutes les fleurs, fut le premier oiseau qui chante,
Trois notes seulement, ce qu'il sait ! écoute, l'hiver est fini,
L'affreux hiver païen, la tristesse de ce qui est mort et pourri3.
La vierge qui n'a point fait de mal4, l'enfant qui dit, plein d'allégresse, ce qu'il sait,
Bourreau ! c'est en vain que tu t'y prends à trois fois pour l'exterminer !
Fi ! ennemi de la joie ! tu ne peux, avec ta grande arme de fer,
Dans cette gorge modulante interrompre la gamme involontaire !
Chaque fois que de tout ton poids tu tapes pour la terrasser,
La mélodie toute-puissante redresse la tête cassée5 !
Ainsi, quand c'est fini du docteur qui riposte et qui argumente,
Quand elle ne peut plus parler, écoute l'Église qui chante !
La robe de Cécile est rouge et le sang vient à chaque coup plus fort !
Entends, plus haute à chaque coup, cette voix victorieuse de la mort !
Jusqu'à ce qu'enfin tout à fait séparé de l'enfant qui ne le peut plus retenir,
Le jubilant Alleluia monte dans l'inextinguible saphir !

S. P.

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