Architecture et liturgie
Irène Macquart-Moulin
La conception des édifices du culte chrétien est
très différente de celle des temples
païens et du temple juif. Le temple de Jérusalem était la demeure du Seigneur qui abritait
l'Arche où Dieu se manifestait. Mais dans la Nouvelle Alliance, le temple n'est plus fait de
main d'homme: c'est la sainte humanité de Jésus qui est désormais le Temple de Dieu. Les
Chrétiens, identifiés au Christ par le Baptême, sont aussi les temples de l'Esprit Saint; et de
même, l'Église tout entière est aussi comme un temple, bâtie de pierres vivantes. Aussi, «le
bâtiment-Église est la maison de Dieu parce que l'Église-Assemblée qui s'y réunit est la
maison de Dieu» (saint Paul, Épître à Timothée1).
Les édifices que construisent les chrétiens ne sont donc que des tabernacles provisoires
sur la route de leur pèlerinage vers le ciel où se trouve leur demeure permanente; ce sont des
maisons destinées à réunir l'assemblée de prière (domus
ecclesiæ) et à réaliser dans le temps,
par la liturgie, l'Église éternelle.
Or un édifice fonctionnel, pour servir à des réunions publiques, exige trois conditions :
l'espace pour les mouvements, la visibilité de ce qu'on vient y voir et une bonne accoustique. On
admet donc facilement une influence de la liturgie sur les édifices cultuels dont la destination
commande toute l'architecture, le bâtiment manifestant le «mystère» du culte et le
sacré (l'église est un lieu de théophanie où Dieu et l'homme communiquent).
L'architecture cultuelle s'est donc adaptée, au cours des siècles, à la liturgie et à ses
évolutions sans que jamais une disposition ne soit apparue comme canonique. Elle porte en
elle-même les conceptions spirituelles du pays et de l'époque qui l'ont vu naître. C'est ce que
nous transmet l'étude des différents types d'architecture qui se sont succédés.
Les anciennes synagogues
L'exégèse contemporaine a souligné comment l'Église, en tant que corps du Christ, a
trouvé sa préparation dans le Qahal (mot hébreu qui signifie «convocation»), l'assemblée du
peuple de Dieu, réuni pour entendre la Parole et pour prier autour du sacrifice. De même,
l'église, temple matériel, a eu sa préparation dans la synagogue juive (du grec sunagôgè,
action de réunir).
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Le culte de la synagogue était organisé autour de deux foyers. Au milieu de la
synagogue, il y avait toujours la «chaire de Moïse» destinée aux dépositaires de la tradition
vivante de la Parole de Dieu. Ce pôle n'était cependant pas autonome; il était lié au premier
foyer de la synagogue: l'Arche des Écritures (rouleaux de la Torah, Tables du Décalogue),
écho de l'Arche sainte primitive comprise comme un trône sur lequel Dieu était présent. Cette
Arche était protégée par un voile devant lequel brûlaient les sept lampes de la Menorah, le
chandelier à sept branches. Néanmoins, l'arche indiquait toujours la direction de quelque
chose qui la dépassait, le foyer ultime du culte de la synagogue : le Saint des Saints, le seul et
unique debir2
qui se trouvait à Jérusalem. D'où l'orientation des synagogues vers Jérusalem,
endroit sacré par excellence même après la destruction du Temple. La place d'où la Torah (et
les Prophètes) et les prières étaient lues (appelée bèma à la période grecque) était une
estrade placée au centre, à laquelle était fixé un lutrin et d'où le lecteur pouvait être entendu
de chacun. La tendance fut de rapprocher le bèma de la chaire de Moïse.
3.5cm
Très tôt, les juifs firent usage du bâtiment grec réservé aux réunions publiques : la
basilique, ce qui veut dire bâtiment officiel. Elle avait la forme d'un quadrilatère à deux
rangées de colonnes qui formaient deux bas-côtés pour faciliter les déplacements. Elle avait
une ou trois portes, en général à l'extrémité. Dans les plus anciennes synagogues, les portes
donnaient vers Jérusalem, donc l'arche bloquait la porte centrale. Aussi, au iiième
ou iiiième siècle la
basilique fut utilisée à l'envers: ce n'était plus la grande porte mais le mur d'en face qui
indiquait la direction de Jérusalem. L'arche en vint à être logée dans cette direction dans une
abside, et le bèma et les sièges furent amenés à la même extrémité.
Ainsi, on trouve toujours la même relation, dans la synagogue, entre l'assemblée
groupée autour de la chaire de Moïse, l'arche et Jérusalem. L'assemblée devait se serrer
autour du rabbin et de son enseignement. Mais l'arche restait le centre de la présence continue
de Dieu et, par delà l'arche elle-même, les prières du peuple étaient toujours dirigées vers le
Saint des Saints de Jérusalem, l'endroit d'où le Messie devait apparaître et la diaspora être
enfin rassemblée dans une Jérusalem reconstruite.
Les premières églises syriennes
À l'origine, les chrétiens se réunissaient pour célébrer la
synaxe3 dans des maisons
particulières. En Orient, cette réunion se faisait dans la chambre haute, sous le toit, pièce la
plus tranquille et la plus discrète de la maison (Ac 20 7--11). Puis, à partir
du iiième siècle, les
chrétiens se donnèrent des maisons dont l'usage était réservé au culte.
Le plus ancien type d'église chrétienne semble être celui des vieilles églises syriennes
qui a plus ou moins survécu dans les églises nestoriennes. Il nous est connu par les
découvertes archéologiques (une maison de Doura Europos, dite la «maison des chrétiens»,
antérieure à 256, dont les peintures attestent qu'une des salles a servi de baptistère) et par les
documents liturgiques de l'antiquité chrétienne, tels que les Constitutions apostoliques et la
Didascalia apostolorum syriaque.
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Cette ancienne église syrienne apparaît comme une version christianisée de la
synagogue juive. Elle aménage elle aussi pour le culte le bâtiment basilical. Comme dans la
synagogue, pour les lectures et les prières, tout se passe au bèma qui occupe le centre de la
nef. L'arche se trouve entre le bèma et l'abside et conserve son voile et son chandelier (7
lampes figurant les 7 dons du Saint Esprit). De l'autre côté du bèma, le siège de l'évêque,
docteur de la tradition apostolique de la Nouvelle Alliance, remplace la chaire de Moïse et les
prêtres sont assis autour.
Cependant deux différences apparaissent. D'une part, l'orientation ne se fait plus vers
Jérusalem mais vers l'Orient géographique, le point où le soleil se lève. D'autre part, l'abside
ne demeure pas vide comme dans les synagogues les plus anciennes et ne reçoit pas l'arche
comme dans les plus récentes mais on y trouve une table, prenant en général la forme d'un
sigma (comme notre lettre C), à peu de distance du mur.
En effet, pour les chrétiens, le Temple n'existe plus et la nouvelle Jérusalem attendue
n'est pas une reconstruction de l'ancienne mais une Jérusalem céleste. De plus, dans cette
cité, il n'y aura pas besoin de Temple, car le Seigneur lui-même, dans son union avec les élus,
sera le Temple éternel. Pour les premiers chrétiens, l'est, lieu du soleil levant, est le seul
symbole convenable de la dernière apparition du Christ dans sa parousie, Soleil de justice (Sol
justiciæ) déjà chanté par Zacharie dans son cantique. La présence divine n'est plus localisée à
Jérusalem mais dans l'Eucharistie d'où l'importance de l'autel, table du repas eucharistique,
véritable centre de la célébration chrétienne.
Après le service des lectures de l'Écriture et des prières, tout le clergé, emmenant avec
lui les offrandes des fidèles, s'en va vers l'Orient, tandis que l'assistance se rassemble autour
de l'autel pour le repas eucharistique. Le dynamisme de la célébration chrétienne s'exprime
par cette procession et le mouvement général vers l'Orient qu'elle détermine. Quant à cette
notion de mouvement, ajoutons que dans les églises syriennes fidèles à la tradition primitive,
il n'y a pas d'autres sièges que ceux du clergé. Ainsi, l'assemblée n'est pas spectateur statique
mais rassemblement organique d'adorateurs, centré d'abord sur l'arche pour entendre les
Écritures et les méditer, et qui s'en va ensuite vers l'Orient, en groupe, pour la prière
eucharistique et la communion qui la termine.
La solution retenue par les églises syriennes regroupe donc au centre du bâtiment, sur
une tribune, la chaire de l'évêque à l'occident et l'arche des Évangiles à l'orient, toutes deux
séparées par deux ambons, l'un au sud pour l'évangile, l'autre au nord pour les autres
lectures. Cette solution rend possible, par ailleurs, la participation des femmes (baptisées
comme les hommes) tout en les maintenant séparées de ces derniers par un chancel qui divise
l'église en deux : les femmes au fond, derrière l'évêque, les hommes devant. Une entrée
correspond à chacune de ces parties. C'est là une autre grande différence d'avec le culte juif
où les femmes avaient un rôle secondaire et où on considérait que c'était sur les hommes seuls
que reposait le devoir de remplir la loi cérémonielle.
Les basiliques romaines
Ce sont la Tunisie et l'Algérie plus que l'Italie qui nous donnent, pour les églises, le
meilleur aperçu de ce que furent celles de l'ère constantinienne car à Rome même, il y eut de
nombreux remaniements postérieurs.
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Dans ces églises qui ouvrent vers l'est, comme la cathédrale de Tipasa, la
caractéristique la plus frappante est que le siège de l'évêque a été amené au centre de l'abside
et qu'il est maintenant un trône, non plus simplement une cathedra de docteur, mais le siège
d'honneur d'un haut dignitaire. Autour de lui, assis ou debout selon leur rang, se trouvaient
ses assesseurs ou fonctionnaires subalternes. Tout cela est le reflet de l'utilisation par Rome
de la basilique dans un but officiel et de l'assimilation des évêques à de hauts fonctionnaires
de l'État. La concession (ou l'adoption) de ce siège quasi impérial alla de pair avec l'emploi
des chandeliers et de l'encens porté devant eux dans les processions, comme c'était le cas
pour les dignitaires impériaux.
Le premier résultat de cette évolution est une distinction entre le clergé et les fidèles,
séparation inconnue dans le culte chrétien primitif. De là quelques modifications de
l'organisation intérieure de l'église. En effet, l'évêque a pris la place originelle de l'autel et
l'autel celle que l'évêque occupait avant: il se trouve dans la nef, plus ou moins au centre de
celle-ci (c'est-à-dire en général entre les hommes et les femmes). En conséquence, si l'évêque
et ses ministres ne sont plus comme auparavant au milieu du peuple et du clergé pour la
première partie du service, quand l'évêque se rend enfin à l'autel pour le repas eucharistique,
il a toujours tout son peuple groupé autour de lui, habituellement les hommes d'un côté, les
femmes de l'autre.
L'arche a dû disparaître au temps des dernières persécutions, au moins en Occident. Le
bèma ne pouvait plus demeurer une estrade, qui aurait rendu difficile la procession
eucharistique du trône de l'évêque à l'autel. Il fut remplacé par un enclos allongé au niveau du
sol, ouvert aux deux extrémités, où se tenaient les ministres de rang inférieur, lecteurs et
chanteurs: c'était la schola. On y ajouta un ou deux ambons ou lutrins de chaque côté, pour y
faire les lectures. Le grand chandelier, près de l'ambon le plus important d'où se faisait la
lecture de l'Évangile fut gardé.
L'autel, maintenant au milieu du peuple, n'avait rien perdu de sa dignité. Il se dressait
en haut de marches, et un ciborium, sorte de baldaquin de marbre où pendaient des lampes
allumées, le protégeait et relevait son caractère sacré. Entre les colonnes du ciborium, on
ajouta des rideaux, équivalents de l'ancien voile.
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Une modification ultérieure de ce plan transforma plus profondément le caractère de la
célébration primitive. L'évêque et le clergé qui se trouvaient écartés de l'assemblée pour la
première partie de la cérémonie, en demeurèrent aussi séparés même pour l'Eucharistie. En
effet, l'autel lui-même vint à être transporté dans leur propre enclos. Cette transformation doit
être l'oeuvre de saint Grégoire qui, à Saint-Pierre, voulait amener l'autel juste au-dessus du
tombeau de l'Apôtre; résultat sans doute d'un désir croissant d'associer la célébration
eucharistique au culte des martyrs auprès des tombeaux desquels on célébrait avant
l'Eucharistie pour certains anniversaires. Mais ce changement peut aussi trouver une autre
explication. Les fidèles assistent à la célébration eucharistique sans communier: c'est ce que
notent saint Jean Chrysostome ou saint Augustin. Au Moyen Âge, la communion des fidèles
disparaît même de la messe papale (et ce jusqu'à Jean XXIII et Paul VI).
En fait, une des grandes oeuvres de saint Grégoire fut de fournir des communautés
monastiques aux basiliques romaines afin de célébrer chaque jour une liturgie plus
compliquée, bien plus à la place du peuple chrétien qu'en faveur de ce dernier. Le pape, en
transportant l'autel au tombeau de l'Apôtre, exaltait le culte de son prédécesseur et rendait
possible une célébration simplifiée et plus rationnelle, l'autel étant en contact direct avec les
moines et les clercs qui formaient la partie essentielle et la plus nombreuse de l'assistance.
Cela se traduisit par une cléricalisation de l'Eucharistie. Il faut ajouter qu'à cette époque, la
grande abside du presbyterium n'était pas seulement séparée de la nef par un cancel mais
qu'une double rangée de colonnes précédait alors l'abside et en faisait une ecclesiola in
ecclesia, réservée uniquement aux prêtres. Il semble que Grégoire installa l'autel derrière ces
colonnes. Dans les églises stationales, où l'on imita cet exemple, l'autel se trouva ainsi
habituellement transporté derrière une pergula, barrière plus légère, mais pas plus basse que
les colonnes de Saint-Pierre. C'est là l'origine de ce que nous appelons «l'autel face au
peuple», origine qui n'est donc pas antérieure au viième siècle. Cependant, cette disposition ne
fut pas partout reproduite.
Notons qu'il ne faut pas confondre la participation à la célébration avec le simple fait
de la regarder. La pratique de regarder avec curiosité les espèces eucharistiques est inconnue
de l'antiquité chrétienne. Elle n'a été introduite qu'à la fin du
xiiiième siècle. Dans l'antiquité
chrétienne, même si l'évêque ou le prêtre disait seul la prière eucharistique, tous les chrétiens
avaient conscience que ce qu'il disait était dit au nom de tous. L'idée qu'il se tournât vers eux
ou eux vers lui pour le voir faire l'Eucharistie ne leur vint à l'esprit que beaucoup plus
tard quand ils eurent cessé de penser qu'il la célébrait non pas pour eux, à leur place, mais
avec eux. Ainsi, historiquement, l'autel face au peuple, loin d'avoir eu pour objet une
célébration commune, semble avoir été, à la fois, l'effet et une cause supplémentaire du
remplacement du culte collectif par une célébration cléricale.
Les églises byzantines
Il s'agit d'une évolution de l'église primitive sans doute contemporaine de celle de la
basilique romaine. Les architectes byzantins écartèrent toutes les caractéristiques de la
basilique pré-chrétienne qui n'étaient pas adaptées à la liturgie chrétienne.
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Beaucoup de détails de la basilique hellénistique n'en faisaient pas ce qu'il y avait de
mieux pour la célébration eucharistique. Les deux rangées de colonnes divisaient l'espace de
manière telle que seule la nef centrale était à même de loger une assistance unie; les bas-côtés
ne servaient qu'à la circulation ou séparaient les assistants en trois groupes distincts, ne
permettant que la participation d'un seul et encore limitée. Cette situation était en outre
renforcée quand il y avait un double transept. Même quand seule la nef était utilisée sa
longueur pouvait rendre problématique la participation au service pour ceux qui se trouvaient
le plus à l'ouest.
On édifia donc un bâtiment carré, sans colonne, coiffé d'une coupole circulaire (image
du ciel) et l'on plaça au centre le bèma, l'arche, le ou les lutrins, les sièges. Les fidèles prirent
place autour. La petite abside fut remplacée par une grande où l'autel était plus visible et
davantage accessible et souligné par une semi-coupole. Tous les fidèles étaient ainsi introduits
dans le choeur ce qui favorisa leur participation. Hagia Sophia de Constantinople devint le
modèle de ce nouveau type d'église. À l'époque médiévale, la cléricalisation et la
monachisation du culte chrétien feront aussi leur apparition à Constantinople et en Orient.
Mais dans un tel édifice, elles n'auront jamais pour effet de créer une église de clercs et de
moines à l'intérieur de l'église pour tous. Des stalles seront placées tout autour de l'église. En
conséquence il n'y avait pas de séparation. Un trône fut aussi introduit dans l'abside mais le
bèma ne disparut pas.
Une autre caractéristique de ces églises est le développement de l'iconographie qui,
loin de concentrer la sacralité du lieu exclusivement sur l'autel et le sanctuaire des clercs,
souligna l'introduction de tout le corps des fidèles dans le mystère chrétien. La coupole
centrale accueillit souvent une fresque ou une mosaïque représentant un Christ Pantocrator.
Dans la coupole de l'abside, on trouvait souvent la sainte Vierge montant vers son Fils et
symbolisant l'Ecclesia orans qui intercède pour le monde avec les Apôtres; au-dessus de
l'autel était représentée la Cène. Par la suite, on installa sur la pergula des icônes ; mobiles à
l'origine, elles devinrent fixes par la suite et constituèrent l'iconostase. Sur la partie inférieure
des murs latéraux, on peut trouver des processions de vierges et de martyrs apportant leur
offrande à l'autel du ciel, tout comme les fidèles apportent le leur à l'autel terrestre (c'est
aussi le cas à Saint-Apollinaire-le-Neuf à Ravenne). Ainsi, tout ce décor apparaît comme la
projection de la vision de l'Église rassemblée pour le culte présentée par la Mystagogie de
Maxime le Confesseur ou l'Historia ecclesiastica attribuée à Germain de Constantinople.
Les églises occidentales
La disposition la plus courante qui soit parvenue jusqu'à nous trahit la cléricalisation
progressive du culte: le bèma et les sièges ont la plupart du temps été dans le voisinage de
l'autel. Très tôt, ce sanctuaire ou choeur, fut séparé de la partie principale de l'église par une
cloison qui, dans les églises collégiales, se transforma en mur avec une simple porte centrale
permettant au peuple dans la nef d'apercevoir mais l'excluant de toute participation. En outre,
la procession d'offertoire ayant disparu, la communion des fidèles devint exceptionnelle; les
chants furent assurés par une chorale et l'office fut fait en latin. Bref, la participation des
fidèles s'en trouvait fortement amoindrie même si, après le
xviiiième siècle, l'élévation permit
l'adoration de la présence réelle.
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Il faut cependant nuancer cette situation. En effet, sur le mur, à
l'entrée du choeur, on
bâtit un pont (jubé ou pulpitum) où les lecteurs chantaient Épître et Évangile et où on pouvait
faire l'homélie. Dans les grandes occasions, le siège de l'évêque ou du curé y ont été par ailleurs
montés (par exemple à Reims pour le couronnement des rois). En outre,
on fit effort, à partir
du xiiième siècle, pour introduire une petite redite de la première partie de la messe en langue
vulgaire juste avant l'offrande de l'Eucharistie (il s'agit du «prône» en France). Il devait
donner naissance à une chaire, au centre de la nef, habituellement du côté nord (côté de
l'Évangile dans ces églises). Un siège pour le célébrant devait apparaître juste en face, de
l'autre côté. Avec la Contre-Réforme, on développa le prône et on supprima la clôture : les
fidèles purent voir et suivre la célébration. Cependant, la disparition du jubé entraîna la
pratique de lire dans le sanctuaire. Notons par ailleurs que la clôture séparant les fidèles de
l'autel ne fut pas universelle au Moyen Âge: elle n'existe par exemple
pas à
Saint-Benoît-sur-Loire4 où une partie des fidèles pouvait suivre la liturgie soit dans la partie est de la nef, soit
dans les deux transepts; debout car jusqu'à la fin du
xviiième siècle au moins, il n'y eut pas de sièges
pour les fidèles, à l'exception de quelques dignitaires.
Ces églises d'Occident surent s'adapter aux évolutions de la liturgie comme nous le
donne à voir l'évolution des différentes parties qui les constituent.
Le plan
Ils peuvent être très variés. Les plans centrés symbolisant la perfection ont
connu une grande faveur: le plan octogonal illustre le nombre de l'Éternité c'est-à-dire le
nombre sept, celui du temps, plus un comme à l'église de l'Ascension à Jérusalem (il fut
souvent retenu pour les baptistères, eux aussi au coeur de rites liturgiques particuliers: à Rome
notamment, une procession y ramenait en pèlerinage les néophytes tous les soirs de la
semaine de Pâques); le cercle est quant à lui une image de Dieu (rotonde de la Résurrection à
Jérusalem); le triangle équilatéral est symbole de la Trinité, comme
pour l'église de Fontaine-les-Grès (Aube, xxième
siècle). Mais le plus fréquemment et notamment avec la Contre-Réforme,
les plans des églises affirment l'emblème chrétien (la croix) selon
les
recommandations du concile de Trente (1545--1563). Le plan en croix grecque eut notamment
un grand succès comme synthèse du cercle et de la croix. Dans ces plans en croix, les points
cardinaux ont également une forte symbolique: le nord est attribué à l'Ancien Testament; le
sud au Nouveau Testament; l'ouest au couchant, à la fin des temps, c'est-à-dire au Jugement
dernier et à la Résurrection des morts. Or la liturgie actualise l'événement sacré; le jugement
s'accomplit aujourd'hui et, à l'entrée, les tympans sont l'annonce d'une vie nouvelle en
entrant dans l'église (la Résurrection et l'Ascension du Christ qui ont ouvert aux justes la vie
céleste étaient représentées sur les vantaux du portail de Saint-Denis). La croisée du transept,
point d'intersection des bras de la croix, a aussi son importance. À Saint-Étienne de Nevers,
elle est au centre géométrique et au-dessus s'élève un clocher à souche carrée et corps
octogonal. L'octogone, c'est le huitième jour qu'on attend, le désir du ciel et le clocher en est
la force captatrice. La signification première d'un édifice religieux est de confirmer cette
verticalité, cet accord terrestre, cet axe cosmique, souvenir de l'antique pilier, du poteau sacré
qui assure la communication avec le monde céleste. La lumière a aussi un rôle essentiel
notamment à l'époque gothique (théologie de la lumière, développée par le Pseudo-Denys
l'Aéropagite dans l'Antiquité tardive et qui énonce que la lumière unifie l'espace intérieur de
l'église avec les fidèles pour former l'ecclesia).
Le chevet
La première innovation concernant le chevet a consisté dans
l'établissement, en Orient de deux salles de part et d'autre, l'une servant de sacristie, l'autre
de dépôt de reliques. Au viiième siècle, les papes transférèrent à Rome les reliques des martyrs
inhumés dans les catacombes. Bientôt, elles furent distribuées dans tout l'Occident. On plaça
le sarcophage qui les contenait dans une crypte enfouie sous l'autel. Avec le développement
du culte des saints, la chambre devint une chapelle autour de laquelle il fallut prévoir une
galerie de circulation.
La multiplication des autels (liée au principe selon lequel on ne devait célébrer qu'un
sacrifice par jour sur le même autel) détermina divers aménagement du chevet. Le plus simple
consistait à prolonger les nefs (quand il en existait plusieurs) d'une abside secondaire. Puis on
éleva un certain nombre de chapelles de profondeur décroissante ouvrant sur le transept et
terminées par une absidiole5 ou un mur plat, par exemple dans les églises cisterciennes
(Citeaux, Eberbach, Silvacane). Dans les autres cas, les chapelles ouvrirent sur un
déambulatoire. Le plus ancien, celui de Sainte-Agnès à Rome, date du
ivième siècle mais il ne
comportait pas de chapelles. Au ixième siècle, celui de
l'abbatiale de Corvey (Westphalie) en
comptait trois, parallèles à l'axe de l'église, mais, dans la solution qui prévalu, les chapelles
rayonnèrent autour de l'abside. Quelquefois, elles ouvrent directement
sur le choeur, écrin,
centre vital où est née l'Église, du côté ouvert du Christ selon les Pères. Au xiiième siècle, le
déambulatoire se dédoubla, maladroitement à Saint-Martin-des-Champs (Paris) mais de façon
parfaite à Saint-Denis où les voûtes de la galerie extérieure couvrent aussi les chapelles
rayonnantes. Simple ou double, il favorisait la circulation des foules, en particulier devant les
reliques, dans les églises de pèlerinage. Enfin, on donne à la chapelle axiale, consacrée à la
Vierge, une ampleur accrue. Au xivième siècle, on ouvrit de nouvelles chapelles entre les
contreforts de la nef ou des bas-côtés pour satisfaire les dévotions particulières.
Les antéglises et la façade occidentale
Dès le viième siècle, une salle, le narthex,
s'interpose entre le porche et la nef à Constantinople et en Grèce. Partout où elle existait, elle
a surtout abrité les catéchumènes et certains pénitents autorisés à assister à la première partie
de la messe. L'atrium, sorte de cloître, servait à des ablutions et à des rites funéraires (au haut
Moyen Âge, on parlait de paradisium). Les pénitents qui avaient commis les fautes les plus
graves n'étaient pas autorisés à aller plus avant.
À la fin du viiiième siècle, le narthex se développe en Occident au point de devenir une
antéglise (église-porche). Entre-temps, le narthex avait reçu une destination funéraire qui
l'associait à la Résurrection selon la pensée chrétienne. À Corvey, l'antéglise est de plan carré
et repose sur une « crypte ». De niveau avec la nef, elle communique avec elle par
l'intermédiaire d'un porche. Au-dessus, s'élève une église entourée de bas-côtés et de tribunes
sauf à l'est où elle n'est séparée de la nef que par un mur ajouré. Enfin, au-dessus, s'élance
une grande tour à base carrée accompagnée de deux tourelle-escalier encadrant un triple
porche. Souvent, comme jadis à Saint-Riquier (Somme), l'antéglise était complétée par un
transept comme il en subsiste à Hildesheim, de telle sorte que l'église et l'antéglise se
présentaient comme deux massifs symétriques reliés par une nef.
Les édifices à l'ouest de l'église étaient consacrés au Sauveur; ils servaient plus
particulièrement à la célébration des fêtes de Pâques ou de l'Ascension, selon une liturgie qui
comportait une importante participation des fidèles. La «crypte» de Saint-Riquier abritait
une grande châsse, la capsa major, qui renfermait des reliques des différentes étapes de la vie
du Christ. Cette salle était vraisemblablement assimilée au Saint-Sépulcre d'autant que la
liturgie de ce monastère suivait d'assez près celle de Jérusalem.
Les antéglises ont évolué dans deux directions pour se fondre à l'ensemble basilical.
La «crypte» disparut à l'époque post-carolingienne comme à Verden en Rhénanie ou à Saint-
Pantaléon de Cologne. Parfois, elle fut démolie comme à Reims. Ceci est à mettre en relation
avec une nouvelle liturgie où les fidèles n'avaient plus qu'un rôle passif. Sur une tribune qui
subsista au revers de la façade, un jeu liturgique évoquait la déposition au tombeau, la
Résurrection et la visite au tombeau vide.
Avec la disparition de l'église haute, la tour occidentale n'eut plus sa raison d'être,
mais les deux tourelles subsistèrent et se développèrent même.
L'antéglise s'intègre aussi aux édifices à deux absides opposées qui ont connu une
grande faveur en Allemagne. Cette disposition subit l'influence des basiliques romaines
associée aux traditions locales. Le prototype en était la seconde abbatiale de Fulda, construite
à la fin du viiiième siècle et qui comportait un transept
très débordant à l'ouest. À Saint-Gall (i--ixième
siècles), il était à l'est. La synthèse s'est effectuée à la collégiale
d'Essen (dès le milieu du
xiième siècle).
Élévation
Elle a des antécédents anciens : les basiliques païennes du mouseion
d'Éphèse et de l'agora de Smyrne comportaient des tribunes. Leur fonction est très variable.
À Jérusalem, Constantinople et Aix, elles permettaient à l'empereur et aux dignitaires
d'assister aux cérémonies sans se mêler à la foule. C'était aussi le cas à Versailles. En Grèce,
elles étaient destinées aux femmes («gynécée»). Et après la suppression des antéglises hautes,
la tribune occidentale servit de scène pour la représentation des jeux liturgiques. Dans l'art
roman, elles avaient pour fonction d'accueillir un plus grand nombre de fidèles lors des fêtes.
Conclusion
Les lieux destinés au culte doivent être beaux mais aussi parfaitement adaptés à leur
destination. L'art sacré n'est pas un art autonome mais un serviteur du culte divin. Il est
expression de la foi et exprime les valeurs liturgiques avec le langage de son époque et de sa
culture.
I. M.-M.
Bibliographie
-
Louis Bouyer, Architecture et liturgie, Paris, 1967.
- Aimé Georges Martimort, L'Église en prière, introduction à la liturgie, Paris, 1984.
- Pour le xxième siècle, J. Spiri, « Tradition et modernité dans l'architecture religieuse »,
Sénevé «Tradition», Pâques 2003 (!)
Élévation nord de l'église prieurale de Saint Étienne de Nevers.