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La liturgie des Heures

Anne-Sophie Durozoy









Le terme de liturgie des Heures1 est, depuis le Concile de Vatican II, utilisé de préférence à celui d'Officium Divinum. La liturgie des Heures « témoigne de ce que croit l'Église en prière, aujourd'hui comme hier, mais elle s'exprime dans une langue, une mentalité, une théologie caractéristiques d'une époque»2.

Prière en commun de tous les chrétiens, elle n'est pas réservée aux moines et aux consacrés. Contrairement aux autres actes liturgiques, tels que l'Eucharistie qu'elle ne remplace pas, mais dont elle est complémentaire, la liturgie des Heures consacre tout le cycle du jour et de la nuit; elle aide ainsi à orienter toutes les activités quotidiennes vers la prière incessante et permet de répondre au précepte du Christ qui nous enjoint de prier jour et nuit. Ses composantes restent les mêmes à travers les siècles, même si elle a connu des formes variées qui ont été simplifiées, en Occident, à la suite du Concile de Vatican II. Aucune différence marquée n'existe entre les rites occidentaux et orientaux. Au contraire, une partie du renouveau de la liturgie des Heures en Occident qui a eu lieu suite à Vatican II trouve son origine dans les modèles orientaux.

Fondements de la liturgie des Heures

Déjà, les premières communautés chrétiennes souhaitaient vivre l'idéal de prière incessante recommandé par le Nouveau Testament et mis en pratique par le Christ lui-même et par la communauté apostolique.

Le Christ a repris les coutumes du peuple auquel il appartenait mais il ne s'est pas contenté de celles-ci: pour lui, l'activité quotidienne est intimement liée à la prière. Luc est celui des quatre évangélistes qui insiste le plus sur le prière fréquente de Jésus. Le Christ lui-même se donne comme modèle pour la prière et invite ses disciples à une prière constante et persévérante, qui n'est pas dénuée d'une dimension eschatologique (Lc 21 36).

Les premiers chrétiens suivent les temps de la prière juive, mais y ajoutent l'esprit nouveau apporté par le Christ: la prière nocturne est une innovation par rapport aux rites juifs. La prière des premiers chrétiens doit être unanime, assidue et persévérante, idées auxquelles resteront par la suite fidèles les chrétiens: les Heures sont le temps fort et le rappel de la prière continue.

Les premiers auteurs chrétiens, tels Origène ou Tertullien, insistent beaucoup sur la prière et ne s'adressent pas qu'aux ascètes, aux moines ou aux reclus: leurs incitations à une prière fréquente à des Heures déterminées s'adressent avant tout à des fidèles laïcs. Certains temps de prière sont présentés comme obligatoires et d'autres sont simplement conseillés: ils doivent permettre de mettre en pratique l'idéal de la prière incessante. Les différents temps sont justifiés par des passages de l'Ancien et du Nouveau Testament. Leur présentation à peu près définitive a été faite par Jean Cassien: elle « inspire en grande partie les textes et les gestes qui feront de la liturgie des Heures le rappel quotidien de l'économie du Salut»3.

Au cours du ivième siècle, la prière des Heures s'organise et deux formes coexistent: celle des ascètes et des moines et celle du peuple chrétien. Ces dernières ont des structures différentes mais sont perçues comme complémentaires: il ne faut donc pas les opposer.

Au Moyen Âge, les fidèles sont peu à peu écartés de la liturgie des Heures pour plusieurs raisons. D'abord, ils ne maîtrisaient pas le latin: or, il était difficile de connaître tous les offices par coeur, à moins que l'on ne possédât un livre, qui était coûteux. De plus, l'importance temporelle prise par les offices écarte les personnes actives de leur participation. Cependant, les fidèles ne sont pas totalement oubliés.





Au xixième siècle, l'office est redécouvert comme prière du peuple chrétien, d'abord par les Églises issues de la Réforme. Au siècle suivant, la communauté de Taizé joue un rôle très important dans ce mouvement en faisant découvrir à ses visiteurs les différentes Heures4.

Au cours des siècles, la prière des Heures a été perturbée par deux tendances opposées: l'une était d'abolir la référence au rythme des jours et des nuits, l'autre de surcharger l'horaire ou contenu des Heures. Le Concile de Vatican II a tenté de remettre de l'ordre, en veillant à ce que la répartition des offices dans la journée soit équilibrée, tout en respectant les exigences de la vie moderne. Les offices ont été débarrassés de leurs ajouts, leur déroulement a été simplifié: ils peuvent être célébrés dans la langue maternelle.

La liturgie des Heures exprime la prière de l'Église, qu'elle soit prononcée dans un groupe (tout groupe constitué temporairement ou pour une longue durée est invité à célébrer les Heures) ou personnellement. Ces offices ne sont pas célébrés par ceux-là seuls qui en ont reçu députation. La liturgie des Heures peut aussi être célébrée au nom du peuple chrétien: mandat en est donné aux évêques, prêtres et diacres mais aussi aux moines, chanoines et moniales.

Principaux éléments composant les Offices

Les psaumes sont à la base de la liturgie des Heures. Les juifs en avaient une grande connaissance. L'usage chrétien dépasse celui des juifs car il donne aux psaumes une valeur christologique et en fait une voie pour la prière de louange, la méditation de la perfection divine et l'expression de la misère humaine.

Plusieurs méthodes ont été pratiquées pour la lecture des psaumes. L'une consiste à faire une lectio continua de l'ensemble des psaumes : saint Benoît recommandait la lecture de l'ensemble des psaumes en une semaine mais, depuis Vatican II, le cycle des psaumes est réparti en quatre semaines. L'autre méthode de lecture est de spécialiser les psaumes pour certaines Heures en fonction de leur contenu: cela peut se faire en fonction de l'heure, du jour et du temps liturgique. Dans ce but, les antiennes permettent de souligner une interprétation particulière d'un psaume choisi pour un temps liturgique donné.

Les Psaumes sont avant tout des poèmes. Ils sont chantés en une action de louange soit par un soliste soit par l'assemblée (en alternance entre deux choeurs, en insérant des répons...).

L'usage de chanter un « Gloria Patri...» à la fin des psaumes n'est pas nouveau: il remonte au ivième siècle et a été adopté par toutes les règles monastiques latines. La prédication, les titres, les collectes et les antiennes aident à comprendre le sens des psaumes et à prier.

Ainsi, d'autres éléments constituent la liturgie des Heures: les cantiques bibliques (ils étaient très fréquents dans l'Antiquité et leur nombre a encore cru dans l'usage bénédictin et dans l'office romain) et l'hymnographie sont comme un prolongement de la psalmodie tandis que les lectures et les prières sont d'un genre différent.

Les cantiques de l'Ancien Testament, quels que soient les rites, orientaux ou romains, sont surtout présents dans les prières du matin et pour les Vigiles; les cantiques évangéliques sont mieux répartis entre les différents offices. Grâce à Vatican II ont été introduits d'autres cantiques du Nouveau Testament: Apocalypse, Épîtres de saint Pierre, de saint Paul ou encore lettre à Timothée.

L'hymnographie désigne «les chants qui ne sont ni des psaumes canoniques, ni des cantiques bibliques, mais qui font partie de la célébration liturgique : hymnes, tropaires, antiennes, répons...»5.

La distinction avec la psalmodie n'est pas facile. Le père de l'hymnographie est saint Ephrem qui a été traduit en grec par Romanos le Mélode. En Occident latin, saint Ambroise, et non saint Hilaire, est le véritable fondateur de l'hymnodie. Il voulait ainsi toucher les masses populaires. Ses hymnes ont été adoptées par les Bénédictins et l'Église romaine: leur succès ne s'est jamais démenti. Les hymnes doivent répondre à plusieurs exigences qui sont encore valables aujourd'hui: avoir une valeur musicale et littéraire, être justes du point de vue de la doctrine et avoir un caractère populaire. Poètes et musiciens ont donc été appelés, au moment de la réforme de 1971, à composer des hymnes en langue vernaculaire, mais ils doivent être acceptés par les Conférences épiscopales avant d'être diffusés.

La réforme de 1971 a conservé l'usage romain d'introduire dans les offices une lecture biblique, patristique ou hagiographique. Les lectures bibliques n'avaient pas de place dans la liturgie orientale. Vatican II a recommandé un cycle de lecture sur deux ans qui respecte les livres de l'année liturgique et permette de parcourir chaque année l'histoire du Salut. Cependant, des problèmes d'édition empêchent que cette recommandation soit bien suivie et le cycle se déroule bien souvent sur une année. La tradition de faire lire des commentaires bibliques à l'office existait en Orient; en Occident, elle a probablement été introduite par saint Benoît. Une refonte totale a été faite au moment de Vatican II. Le répertoire a été élargi car la lecture en est devenue quotidienne. Les lectures ne se limitent plus aux Pères et «ouvre[nt] l'accès aux richesses du Patrimoine spirituel de l'Église»6. En Orient, aucune lecture hagiographique n'est faite, tandis que, en Occident, le contraire est plus fréquent. Cependant, les récits de vies de saints étant souvent sans fondements historiques, la réforme de 1971 a écarté beaucoup de textes pour n'utiliser que ceux dont les sources étaient sûres.

Un office comprend presque toujours un Notre Père, des intercessions et la prière du célébrant. Les intercessions peu à peu délaissées ont été réintroduites en 1971 à l'Office du Soir, tandis que des invocations sont préférées pour le matin.

Rites

En Orient, les rites sont très variés, tant pour le nombre et la répartition des Offices que pour leur contenu: le rite d'Egypte et de Cappadoce est différent de celui des Syriens orientaux ou de celui de Palestine, d'Antioche et de Cappadoce aux ivième et vième siècles, de l'office byzantin, de l'arménien ou de celui des Syriens occidentaux et des Maronites.

Le monachisme latin a une plus longue expérience de la liturgie des Heures que ne l'a la prière cathédrale, c'est-à-dire celle du matin et du soir. La Règle de saint Benoît est celle qui témoigne de l'effort le plus grand de synthèse et d'équilibre. Elle s'appuyait sur l'Office Romain qu'elle a voulu alléger. Ce dernier s'est en effet sans cesse alourdi. Depuis le xviième siècle, de nombreuses tentatives de réforme ont été faites mais elles étaient sans cesse rendues caduques par de nouveaux ajouts. Une réforme profonde est commencée après la seconde guerre mondiale et menée à son terme grâce au concile de Vatican II: ses principes sont inscrits dans l'Institutio generalis et dans Liber Liturgiæ Horarum.

Avec cette réforme est instituée une hiérarchie des Heures alors que ces dernières étaient auparavant considérées comme un ensemble uniforme. Chaque Heure a ses particularités. Les Laudes et les Vêpres sont les deux offices les plus importants. Selon la réforme, chaque Heure est rattachée à un mystère du Christ. Les psaumes ont toujours une interprétation christologique, ce qui est nouveau par rapport au bréviaire romain, mais est une idée ancienne.

Les Laudes sont la prière du chrétien qui commence sa journée, il y a donc toujours un psaume qui évoque le matin. Elles sont chantées au moment où se lève le soleil, qui est comme un symbole du Christ: elles rappellent donc la Résurrection du Christ. Elles insistent aussi sur l'harmonie de la Création et sur la venue du Jour eschatologique. Elles sont avant tout un moment de louange divine, les cantiques en font une part importante. La lumière y joue un grand rôle. Depuis le ivième siècle, la prière finale est tout à fait particulière: elle comporte les intentions diaconales avec des répons stéréotypés, puis l'oraison dominicale et l'intervention du célébrant pour une oraison ou une collecte. La lecture biblique n'est pas systématique: elle peut être accompagnée d'un sermon.

Les Vêpres ont lieu à l'heure où l'on arrête les travaux et où l'on allume les lampes. La Prière rappelle la Passion et est une action de grâce pour l'harmonie du cosmos. Elles sont aussi une prière d'attente du retour du Seigneur. La structure des Vêpres faite en 1971 ne garde que très peu d'éléments anciens: le texte est extrait du Nouveau Testament, comme le cantique; la lecture peut être brève comme longue. D'autres liturgies ont des spécificités particulières.

La prière nocturne a toujours beaucoup d'importance dans la liturgie chrétienne car elle indique l'attente du Seigneur. Elle est caractérisée par des lectures étendues qui doivent permettre les méditations de la Bible. Aux fêtes, elle peut être prolongée en Vigiles. Cet office seul n'est pas centré sur un mystère particulier du Christ.

L'Heure de Prime a été supprimée en 1971 car elle était un doublet des Laudes. En revanche, Tierce, Sexte et None ont été conservées car elles rappellent l'idéal primitif de la prière incessante, tout en faisant mémoire de la Passion du Christ et de la première propagation de l'Évangile. Une seule des trois peut être célébrée (sauf pour ceux qui mènent une vie contemplative ou font une retraite): c'est pour cela qu'on l'appelle hora media. Tierce rappelle la Pentecôte et permet de prier pour les dons de l'Esprit, Sexte insiste sur la Crucifixion et None sur la mort rédemptrice du Christ.

Les Complies sont les dernières Heures de la journée. Elles sont un moment de prière intime consacré au mystère du Christ et un abandon confiant au Christ.

Théologie de la liturgie des Heures

Il n'existe pas de théologie de la liturgie des Heures jusqu'au Concile de Vatican II. Ensuite, la théologie de la liturgie des Heures insiste sur deux dimensions importantes. En premier lieu, «la liturgie des Heures ne peut se comprendre qu'à partir de son centre: le mystère eucharistique dont elle est l'extension tout au long de la journée.»7

En second lieu, «la structure de la liturgie des Heures est dialogale : Dieu parle à son peuple et son peuple lui répond dans et par le Christ.»8

La liturgie des Heures est une liturgie de louange: elle loue Dieu et sanctifie l'homme. Le premier motif de louange est l'Incarnation auquel il faut associer la Résurrection. Sont alors mêlés action de grâce, bénédiction et sacrifice de louange. Elle ne dépend pas de l'Eucharistie mais est en relation étroite avec cette dernière dont l'éclat rejaillit sur elle: en effet, l'Eucharistie est le «sommet du culte de la Nouvelle Alliance»9.

Cette prière s'adresse au Dieu unique en trois personnes, tandis que Dieu parle non seulement par les lectures, mais aussi par les psaumes et les prières. Le baptême crée les conditions de ce dialogue qui aussi est rendu possible par la médiation du Christ. Parallèlement, cette liturgie célèbre la mémoire du Christ tout en le rendant présent. L'Église participe donc au mystère du Salut continuellement réactualisé, la liturgie des Heures est la «mémoire multiquotidienne des mystères»10. La théologie catholique souffrait jusqu'au Concile de Vatican II d'un manque concernant le rôle de l'Esprit Saint dans l'économie du Salut. Or la liturgie des Heures est une louange et une demande du don de l'Esprit. L'Esprit Saint doit donc y avoir une place particulièrement importante car il envoie en mission, ce qui permet l'Unité et la Sanctification. La Vierge a un rôle d'intercession et les anges commes les saints ont une grande place aussi.

La liturgie des Heures doit devenir une prière personnelle: elle nécessite donc un cheminement. Prière continuelle, elle accorde une place à nos préoccupations quotidiennes tout en nous obligeant à savoir nous en extraire. A. G. Martimort indique que le chrétien d'aujourd'hui pourrait être tenté de préférer la prière personnelle et de ne se servir de cette liturgie que comme une source à laquelle puiser. Il ne doit pas céder à cette envie et, au contraire, profiter de cette expérience pour prendre conscience de la valeur de la liturgie: la prière des Heures doit permettre de dépasser les goûts personnels pour préférer la prière de l'Église, tout en laissant une place aux particularités. Elle permet aussi de contempler toujours mieux l'oeuvre de Dieu dans le monde. Enfin, elle est une action de grâce.

A.-S. D.












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