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La fin de la transition congolaise ?

Léonard Dauphant

Le bêtisier sanglant de l'ONU au Congo.

Des « lâches »

La Mission des Nations Unies au Congo (MONUC) est la plus importante des missions de l'ONU jamais entreprise, avec plus de 13 000 hommes (dont un quart à Kinshasa, on peut se demander à quoi ils servent). Un rapport interne à la MONUC vient de dresser un bilan accablant de leur action, ou plutôt de l'absence d'icelle. Il y a un mot qui revient dans ce rapport, publié par le Financial Times : « lâcheté ».

Exemple l'an dernier dans le Kivu, une troupe de « rebelles » à la solde du Rwanda marche sur la capitale de l'Est du pays, Bukavu, qui a déjà subi plusieurs prises sanglantes depuis 1998. Les seul(e)s à réagir sont alors les femmes de Bukavu, qui manifestent dans la ville au cri de : « Cette fois nous ne nous laisserons pas violer dans nos maisons, il faudra le faire dans la rue ! ». La ville est prise et recommencent les scènes de massacres. Les casques bleus laissent faire, ils ne sont qu'à 3 contre 1, sans compter les hélicoptères d'assaut. Dans tout le pays, c'est le ras-le-bol contre les casques bleus et, à Kinshasa, des émeutiers brûlent les Land Rover et autres jolies voitures de l'ONU. De tout cela, la presse européenne ne retient que ces mots : « xénophobie des populations », « haine contre l'ONU ». ..



« Faisceau d'indices »

En décembre2004, quand des rwandais ont passé la frontière et envahi encore une fois le Congo, la porte-parole de la MONUC nie obstinément les faits (il faudrait réagir). Non, on ne peut pas dire que les soldats venus du Rwanda sont des Rwandais, pas de preuve, juste un « faisceau d'indices ». Puis, début janvier 2005, quand la fumée des villages ne peut plus ne pas être vue, quand 50 000 réfugiés fuient la région, Mme la porte-parole aura cette phrase qui tient du sublime : « Bon, il y a peut-être des soldats dans la zone, mais après tout ils ne tracassent pas la population ».

Des affaires comme celles-ci, il y en eut des centaines, et des milliers de victimes civiles que l'ONU a lâchement abandonnées à leur sort. Dernière information : le budget de la MONUC est de un milliard de dollars US par an. Vous avez bien lu, un milliard.



Dutroux au Congo

Autre scandale tout récent, celui des abus sexuels perpétrés par les Casques Bleus. En fait, c'est un gigantesque système de prostitution organisé par les soldats avec la complicité passive des supérieurs. Les soldats de l'ONU payaient par exemple les « services » d'enfants de douze ans contre un oeuf ou vingt cents... Ce sont des centaines de femmes, filles et enfants qui ont été victimes de ce genre de « transactions », « sexe contre nourriture ». On a par ailleurs découvert dans le PC d'un employé français de la MONUC l'équivalent d'une cinémathèque pornographique, tournée au Congo en exploitant des enfants pauvres. Il sera jugé... en France.



« Attaque pédagogique »

Et pourtant... Quand on leur tire dessus, les Casques Bleus prennent soudain conscience de leur mission : préserver la paix à tout prix. La région de l'Ituri, au nord du Kivu, tout aussi riche (or, diamant, bois précieux) a été occupée par l'Ouganda. Avant de faire semblant de partir, l'armée ougandaise a distribué des milliers d'armes à des tribus rivales. Résultat : les conflits fonciers traditionnels ont cédé en 2002--2003 la place à une guerre atroce entre milices ethniques, puis maintenant à un affrontement entre mafias surarmées qui n'ont plus rien d'ethniques mais instaurent la terreur pour régner sur les richesses du pays. Et puis, après 100 000 morts, ils ont fini par abuser : en février, une milice tend une embuscade à une patrouille de Casques bleus bengalis. 9 morts, et d'un coup, l'ONU réinvente le discours martial, on parle de « représailles », de « nettoyage », et même on invente la notion d'« attaque pédagogique1 ». Concrètement, les Casques bleus cessent pour une semaine toute aide humanitaire aux camps de réfugiés de la zone (trop risqué!) et attaquent un village avec des hélicoptères de combat. Quelques dizaines de miliciens meurent, le village est brûlé. Evidement, personne n'a dit (mais on peut supposer) que la moyenne d'âge des méchants miliciens devait tourner autour de 14 ans et demi, l'essentiel est que pour la première fois de sa mission, l'ONU fait quelque chose, ce qui entraîne la reddition de chefs de milices d'Ituri. Certains ont reçu des grades dans l'armée congolaise et sont désormais en résidence surveillée. On est encore loin d'atteindre la sécurité, mais il y a des signes d'espoir : plusieurs milliers de désarmements volontaires depuis un mois.



« Sortir de la Monuc » (Koffi Annan)

Le mandat des troupes a été prolongé pour six mois, avec ordre (nouveau) de se servir de leurs armes et de désarmer par la force les rebelles hutus rwandais (les FDLR, responsables du génocide de 1994). Ces groupes de miliciens errent dans la forêt de l'est du Congo depuis 10 ans, ils terrorisent la population et s'ils ne menacent pas vraiment la stabilité du régime tutsi rwandais, ils lui fournissent un prétexte en or pour continuer à occuper le Congo2. Or jamais on n'a été plus prêt d'une solution à ce qui est le noeud du problème depuis 11 ans. L'ONU et l'Union africaine s'investissent militairement pour le désarmement, et à Rome, la communauté Sant'Egidio joue les facilitateurs pour des négociations (objet : désarmement, retour des FDLR au Rwanda), toutefois sans implication du régime rwandais, en tout cas officiellement. La paix presque en chemin ?

« Place et parole aux pauvres ! » : l'Église en première ligne pour la démocratie.

Dans les dernières années de sa dictature, Mobutu avait du accepter une Commission Nationale Souveraine pour amorcer un processus de démocratisation de son régime. La société civile s'est alors retrouvée en première ligne pour reprendre le pouvoir au clan prédateur qui le confisquait et qui s'est révélé maître dans l'art de la manipulation et de la division des opposants. La transition actuelle après la guerre parviendra-t-elle à achever ce dialogue national ?

En février de cette année, les Kinois ont fêté le dixième anniversaire de la « Marche des chrétiens » pour la démocratie. En 1995, cette immense manifestation pacifique avait tourné à l'horreur quand la Garde présidentielle avait ouvert le feu. On n'a jamais su le nombre des victimes : des centaines, des milliers ? Prudemment, l'Église a cette année évité de donner tout caractère partisan à la commémoration du massacre.

L'Église est par ailleurs extrêmement impliquée dans le processus qui doit mener à des élections libres, pour sortir de la situation actuelle, mais quand toute la vie politique consiste à se partager les postes juteux (comme l'administration des sociétés minières publiques), que faire d'autre que des discours sur le bien commun, que seule la société civile écoute ? Là est en fait un plus vaste chantier que ceux du Parlement : éduquer les masses abandonnées par l'État et diffuser les droits de l'Homme, pour donner au peuple les moyens intellectuels et spirituels de prendre son destin en main. Seules les Églises assument cette mission : les politiques auraient-ils intérêt à ce que l'éducation ne se diffuse pas ?

Sur la scène politique, nouveau bras-de-fer en février-mars quand la CENCO3 a exigé la fin de la « prime » versée par les parents aux instituteurs : depuis dix ans, la part de l'éducation et de la santé dans le budget de l'État est de 0% tout rond, ce sont les parents d'élèves qui financent les écoles, les malades qui entretiennent les hôpitaux, ou ce qu'il en reste. La CENCO veut que l'État tienne ses promesses de reprendre en main l'éducation ; au-delà, l'Église aspire à ce que la transition ne soit pas un simple partage des postes entre clans rivaux, mais qu'elle ouvre la voie à un minimum de justice sociale, sans quoi les institutions démocratiques ne sont qu'un paravent de la kleptocratie. On a donc vu ces derniers temps se multiplier les grèves des instituteurs puis celles des médecins, le gouvernement s'est donc fendu encore de quelques promesses.

Tout repose encore sur les élections qui auront lieu peut-être cette année. Outre les lenteurs des clans politico-militaires, il faut compter avec l'absence de routes pour transporter les urnes, l'absence de recensement depuis quinze ans, etc. Une peur est dans tous les esprits, que le clan qui sera vaincu par les urnes reprenne les armes.
L. D.

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