La communauté de Sant'Egidio
Élisabeth Fiat
Suite à la veillée de prière organisée le 3 mai dernier à Notre-Dame
par la Communauté Sant'Egidio, j'ai rencontré Karine Guillaume, membre de
la communauté à Paris. Elle m'a donné beaucoup de renseignements sur la
communauté et parlé de son expérience personelle.
Il y a bien longtemps
eurent lieu des manifestations de gens qui croyaient que la paix était
possible et qui décidèrent de changer le monde. On était au printemps
1968. C'étaient des idéalistes, pensent beaucoup. Regardez comme le monde
va aujourd'hui : ont-ils réussi à empêcher tous ces massacres, toute cette
violence? Parmi ces jeunes fous se trouvait un groupe de copains romains,
étudiants, dont Andrea Riccardi. Eux aussi voulaient changer le monde,
mais pour ce faire ils se dirent qu'il fallait commencer par ouvrir
l'Évangile. Qu'y trouvèrent-ils? Rien de bien nouveau : « Je vous laisse
ma paix, c'est ma paix que je vous donne ; je ne vous la donne pas comme
le monde la donne » (Jn 14,27), et nous sommes appelés nous-mêmes à la
propager, cette paix : nous devons avoir « pour chaussures le zèle à
propager l'Évangile de la paix » (Ep 6,15). Comment pouvons-nous faire
cela ? La réponse est toujours à trouver dans l'Évangile : « Quiconque
donnera à boire à l'un de ces petits rien qu'un verre d'eau fraîche, en
tant qu'il est un disciple, en vérité je vous le dis, il ne perdra pas sa
récompense. » (Mt 10,33) À l'époque il n'était pas très difficile de
trouver de l'ouvrage évangélique : Rome possédait de nombreuses banlieues
défavorisées, et voilà nos jeunes bourgeois qui traversent le Tibre et
partent à la découverte de leurs voisins. Ils rencontrent des jeunes qui
vivent dans la rue et dans des conditions d'hygiène déplorables, ils ne
savent pas lire et n'ont aucun avenir ; ils rencontrent des chômeurs, des
personnes âgées ou handicapées. Ils décident de les aider par une aide
alimentaire, des cours d'alphabétisation et surtout insistent sur un point
important : la prière. La communauté ainsi fondée se retrouve tous les
soirs dans une petite église dédiée à Sant'Egidio pour prier, mettant
ainsi la prière « au coeur de [leur] vie de laïcs » car « la prière
faite avec foi peut déplacer des montagnes »1. L'amitié partagée et la vie
ensemble font la force de cette communauté de laïcs.
Peu à peu, la communauté s'agrandit : des amis rejoignent le groupe
initial, et d'autres gens créent des groupes Sant'Egidio dans d'autres
villes d'Italie. À travers des rencontres internationales, des étrangers
découvrent ces petits groupes disséminés en Italie et décident de refaire
la même chose une fois rentrés chez eux en Allemagne, en Belgique, au
Salvador, puis dans de nombreux pays, dont le Mozambique. Ils y ont
rencontré un évêque et commencé comme tant d'autres associations à aider
les victimes d'une guerre qui a duré quinze ans et fait un million de
morts, loin des préoccupations des pays occidentaux. Ils se sont
rapidement rendu compte qu'avec la guerre, cette « mère de toutes les
pauvretés »2, tout ce qu'ils construisaient était voué à la
ruine, aussi firent-ils le pari fou d'apporter la paix. Commençèrent alors
des années de tractations avec les rebelles et le gouvernement marxiste.
Il fallut d'abord réussir à contacter les rebelles et les aider à changer
de mentalité, eux « qui n'avaient cru à autre chose qu'à la lutte armée
comme moyen d'affirmation »3. Une première rencontre eut lieu
entre le gouvernement et les rebelles à Rome, à Sant'Egidio. Deux ans et
de nombreuses explications plus tard, la paix était signée au même
endroit, le 4 octobre 1992.
Signature des accords de paix mozambicains
Ce fut le début d'une reconnaissance internationale pour cette petite
communauté qui avait réussi là où les diplomaties des plus grands avaient
échoué. Depuis ils ont été appelés dans de nombreux endroits pour apporter
leur aide : dans les Balkans, au Guatemala, en Algérie, récemment en Côte
d'Ivoire... Pourtant, ils n'étaient pas des diplomates, mais des
chrétiens qui pensaient simplement que « la paix est possible à travers
la négociation et le dialogue », qu'elle « se construit avec la douceur
de la parole »4. Ils ont montré au monde entier qu'une autre
voie que la lassitude est possible. Nous vivons dans un monde de luxe où
les guerres se regardent à la télé et donnent de bonnes idées pour faire
des sujets de séries. Et, finalement, nous croyons facilement que la
guerre est une fatalité historique, qui a toujours existé et existera
toujours. « Mais il faut avoir foi que du chaos d'aujourd'hui devra
sortir un nouvel ordre international, où la guerre comme moyen juridique
de tutelle devra être abolie comme le furent la polygamie, l'esclavage, la
servitude de la glèbe et la vengeance de famille. »5 Il faut avoir foi en l'Évangile qui nous indique comment
détruire l'empire du Malin : par la prière et l'Amour. Il faut avoir foi
en ce Dieu « prince de la paix » qui nous appelle à ouvrir notre coeur
aux autres, à reconnaître en chacun de nous cet être humain, à ne refuser
à personne le droit d'habiter dans l'humanité. Frère Christian, enlevé en
1996 par des membres du GIA, écrivait : « On entend dire qu'il s'agit de
bêtes immondes, qu'ils ne sont pas des hommes, qu'on ne peut pas négocier
avec eux. Je dis : si nous parlons de cette manière, il n'y aura jamais de
paix. »
C'est donc à nous de faire le premier pas et d'oser croire que la paix est
possible, car l'exemple de Sant'Egidio montre qu'en effet elle est
possible. Cette foi en la paix fait partie de notre foi tout court, c'est
« justement parce qu'une communauté de chrétiens » que nous devons
travailler et prier pour la paix. En effet, c'est par la prière que Dieu
peut venir jusqu'au fond de nous et nous déranger, agacer nos petites
convictions de gens enfermés dans leur bien-être. Par la prière, Dieu
amène la paix dans nos coeurs, dans nos vies, dans nos rapports entre
hommes, toutes cultures confondues. C'est cela le pouvoir de Dieu : la
paix qu'il nous propose. Notre espérance de chrétiens nous appelle chaque
jour à croire que « cette souveraineté de Dieu dans la paix se révèle
toujours, même au coeur de la guerre la plus atroce. Il y a un noyau de
paix invincible, même lors des moments les plus terribles. Jésus appelle
tous à vivre dans la paix et à recevoir le don de la paix » car « la
paix est chez elle dans l'Église. »6
Andrea Riccardi
En 1997, lors des JMJ de Paris, des jeunes de Sant'Egidio sont venus, et
leur témoignage a donné à des parisiens l'envie de faire naître une
communauté à Paris. Six ans plus tard, ils se retrouvent tous les jeudis
soir à l'église Saint Merry pour la prière commune, et la paroisse St
Hippolyte (13ième) a mis à leur disposition une salle. Ils
peuvent ainsi accueillir tous les samedis après-midi des jeunes du
quartier pour l'« école de la paix », qui est bien plus qu'un simple
soutien scolaire : les enfants y passent l'après-midi, font des jeux,
participent aux cours d'alphabétisation... Ces jeunes sont tous
immigrés ou enfants d'immigrés. Ils traînent dans le quartier, dans la rue
ou au supermarché, et chez eux personne ne peut les aider. Souvent, la
communauté représente leur seule chance d'être aidés dans leur travail et
dans leur insertion dans la société. Aujourd'hui, la communauté accueille
également des ados, qui sont d'anciens enfants ou les grands frères et
soeurs des enfants actuels. La communauté s'occupe également de
personnes âgées, et un repas à Noël, un autre fin mai, réunissent tous les
gens qui participent à Sant'Egidio, avec les familles des enfants.
Pour Karine, Sant'Egidio est devenue une seconde famille : tout le monde
se connaît, elle a l'occasion d'aller chez les enfants dont elle s'occupe
et d'aider les familles, et surtout elle rencontre des gens qui viennent
d'univers lointains, de l'Europe de l'Est à l'Afrique en passant pas
l'Asie. Rencontrer des gens si différents demande de se remettre en cause,
mais confronté à d'autres réalités, on se rend compte que malgré les
différences, la paix est possible. La paix n'est pas juste le contraire de
la guerre, c'est un rêve de vie. C'est aller manifester pour la paix le
jour du nouvel an devant l'hôtel de ville et Notre-Dame avec des
Musulmans, des Orthodoxes, des athées. C'est aussi apprendre qu'on peut
aider les autres même quand tout le monde prétend le contraire : pour
Noël, les enfants ont récupéré des jouets vieux ou cassés, les ont
réparés, vendus, et ont envoyé l'argent au Mozambique (qui compte
aujourd'hui au moins 70 communautés) pour aider les femmes séropositives à
accoucher dans de bonnes conditions et à s'occuper de leur enfant dans les
premiers mois. En effet, c'est lors de l'accouchement et de l'allaitement
que les enfants ont le plus de risques d'être infectés, il faut donc aider
les femmes à nourrir leurs enfants autrement qu'avec le lait maternel.
Jusqu'à récemment, beaucoup avaient coutume de penser en Occident que les
conditions de vie africaines empêchent ce genre de soins, pourtant les
premiers résultats, tombés l'été dernier, ont prouvé qu'au contraire tout
est possible si on a confiance, et aujourd'hui d'autres ONG commencent à
monter des programmes d'aide contre le sida. Pour les enfants, cette
expérience a aussi été l'occasion de s'affirmer au sein de leur école,
d'organiser et d'aider les autres, ces enfants qui comparés à nous n'ont
presque rien. Même la pauvre veuve, si elle donne son aumône avec son coeur, peut faire plus que toutes les pièces d'or des riches.
Quelques adresses utiles :
-
Prière : église Saint Merry, 78 rue St Martin, 4ième, le jeudi à
20h00
- École de la Paix : église Saint Hippolyte, 27 av de Choisy,
13ième
- Communauté Sant'Egidio, 8 rue Bernard de Clairvaux, 3ième, 01 40 29
97 82
- http://www.santegidio.org et santegidio@aol.com
E.F.