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Et tous deux ne seront qu'une seule chair

Une vision chrétienne de la sexualité

Sébastien Ray






L'enseignement de l'Église sur la sexualité est certainement celui qui rencontre le plus d'incompréhension, en particulier parmi les catholiques pratiquants eux-mêmes. La difficulté d'écrire sur le sujet tient tant à la médiatisation passionnée du «débat» et aux déformations caricaturales que subissent les prises de position officielles du Magistère qu'à une réticence liée au sujet lui-même. Le fait qu'il est toujours délicat d'en parler provient moins d'un «tabou» social que d'une conscience plus ou moins précise du fait que l'amour humain nous transcende, vient, selon l'expression de Thierry Boutet, «de plus loin et de plus grand que l'homme... Face à ce mystère, inscrit dans notre propre chair, nous ne cessons pas depuis les origines d'osciller entre le refoulement et la sacralisation hystérique.»

L'enseignement du christianisme sur les relations sexuelles revient en pratique au fait qu'elles ne peuvent avoir lieu qu'entre deux personnes validement mariées. Tout simplement. Or la force de nos instincts rend cette règle si difficile à appliquer que la chasteté est sans aucun doute «la plus impopulaire des vertus chrétiennes»1. Cet article a pour but de donner un aperçu --- bien imparfait --- de la provenance et de la cohérence de la morale sexuelle défendue par l'Église, en montrant je l'espère qu'il s'agit bien de prôner des valeurs positives et non de frustrer une tendance naturelle.

La sexualité, don de Dieu à l'homme

«Homme et femme Il les créa.»2 Dès son origine, l'homme est créé sexué, c'est-à-dire, étymologiquement, «divisé». Il ne s'agit pas là d'une contrainte matérielle sans laquelle l'apparition de l'homme n'aurait pu se faire, mais bien d'une volonté délibérée du Créateur de créer l'homme fondamentalement incomplet : l'homme porte dans sa nature même le fait qu'il ne peut se réaliser pleinement par lui-même. «Il n'est pas bon que l'homme soit seul»3, déclare Dieu dans le second récit de la Création. Le Père Boulad développe : «L'homme n'a pas seulement un sexe (en entendant par là un organe génital), mais il est un sexe (c'est-à-dire une moitié d'être humain qui ne s'achève que dans un autre).»4 La conjugalité, accomplissement terrestre de la tendance sexuelle née de cette incomplétude ontique, est alors le signe de l'Amour des trois personnes trinitaires, amour par lequel les époux ne font plus qu'un. Voilà déjà une manifestation de ce qui est au centre du christianisme : la nature de l'homme ne se réalise pleinement que dans le don total et volontaire de sa propre personne dans son intégralité. Nous y reviendrons.



Ainsi, la différenciation sexuelle et la tendance qui en résulte sont les produits de la volonté divine, donc en soi fondamentalement bonnes. Bien gérée, la tendance sexuelle est une aide précieuse au développement d'une personnalité pleinement adulte et responsable, telle que Dieu la veut, à Son image. La différence des sexes et l'attraction naturelle vers le sexe opposé fondent la richesse de l'amour dans la recherche de l'altérité, signe et préparation à l'amour du Tout-Autre. Il est donc erroné de considérer la sexualité comme fondamentalement impure : «Ne déprécions donc pas ce que Dieu a trouvé beau.»5 On pourra objecter que saint Paul exprime des réticences face à l'état de mariage, mais notons qu'il précise lui-même qu'il ne parle alors qu'en son nom propre --- non en tant qu'apôtre du Seigneur --- et que par ailleurs ces réticences ne sont dues qu'aux difficultés liées aux exigences de la chasteté dans l'état de mariage :

Si tu te maries, ce n'est pas un péché ; et si une jeune fille se marie, ce n'est pas un péché. Mais ceux qui choisissent cette vie y trouveront des épreuves, et c'est cela que moi, je voudrais vous éviter. (1 Co 7 28)



La tendance sexuelle inscrite dans la nature humaine a pour accomplissement naturel l'union charnelle de l'homme et de la femme6 ; les Écritures nous disent que cette union n'est nullement un acte anodin aux conséquences purement matérielles : il s'agit effectivement de l'union de deux corps, composantes à part entières de personnes humaines, par laquelle ils sont «une seule chair»7, y compris, précise saint Paul, dans un cas de prostitution, où aucune autre relation que charnelle n'est établie. «À chaque fois qu'un homme couche avec une femme, il s'établit entre eux, qu'ils le veuillent ou non, une relation transcendante dont ils doivent jouir éternellement ou souffrir éternellement»8, affirme même Screwtape, démon théologien, qui va un peu loin sur ce point, car, précise Jésus --- meilleure référence à coup sûr ---, «lorsqu'on ressuscite d'entre les morts, on ne prend ni femme ni mari, mais on est comme les anges dans les cieux.»9 L'union conjugale n'est donc pas transcendante au point de se prolonger à l'identique jusque dans la vie éternelle. Il reste que l'acte sexuel, signe terrestre du don parfait de soi, ne peut être pris à la légère. N'oublions pas non plus que, matériellement parlant, le but de cet acte est la procréation, c'est-à-dire rien moins que la venue au monde d'un nouvel être humain créé à l'image et à la ressemblance de Dieu. Tout ceci donne à l'union charnelle de l'homme et de la femme une portée effectivement transcendante et spirituelle, ce qui justifie l'existence d'une éthique sexuelle spécifique.

Enfin il est, comme nous le verrons plus loin, impensable de dissocier la sexualité humaine de l'amour des personnes, et particulièrement, dans le cas de l'état de mariage, de l'amour conjugal. Celui-ci a dans les Écritures une dignité particulière, d'abord dans l'Ancien Testament comme signe de l'amour de Dieu pour Son peuple --- que l'on pense au Cantique des cantiques, ou au livre d'Osée ---, puis, chez saint Paul et dans l'Apocalypse, comme signe de l'amour du Christ et de l'Église. Les époux ont donc la très exigeante responsabilité d'être ici-bas les représentants de l'amour divin, amour sponsal qui dépasse toute raison.


Quelques remarques préliminaires

L'existence même d'une morale sexuelle est trop souvent contestée par des chrétiens au nom du droit à la vie privée et à la libre utilisation de son propre corps. Il n'est nul besoin de réfuter ici cette objection navrante, mais j'en profite pour préciser quelque peu le statut du corps, non pas possession personnelle mais composante de notre être. Saint Paul rappelle que nos corps sont «membres du Christ»10, et que nous ne nous appartenons pas. «L'opposition moderne à la chasteté vient en grande partie de la croyance des hommes que leur corps leur ``appartient'' --- ce vastes et périlleux domaine, vibrant de l'énergie qui fit les mondes, dans lequel ils se trouvent sans leur consentement et d'où ils sont expulsés au bon vouloir d'un Autre!»11, raille Screwtape. Notre corps, temple du Saint-Esprit, de même nature que le corps du Fils de Dieu et racheté par Lui, ne saurait être notre propriété; il mérite le respect, et «celui qui fornique pèche contre son propre corps.»12


D'autre part, puisque la sexualité est un don merveilleux de Dieu à l'homme, on peut se demander pourquoi l'Église semble y attacher un nombre aussi considérable de lourds interdits. Répondons tout de suite à cette objection : dans toute la suite de cet article, nous dégagerons des «consignes» qui sont à prendre pour ce qu'elles sont : non des règlements policiers concernant la vie privée, mais bien des conditions à la perfection. En effet, le Christ ne nous demande pas d'être raisonnablement bons, mais «parfaits comme votre Père céleste est parfait»13. Or, dans la Chute, la spontanéité originelle de la perfection a été perdue, et tout pas vers la sainteté exige de nous un effort considérable et des sacrifices qui peuvent sembler exorbitants. «Si ta main ou ton pied t'entraînent au péché, coupe-les», va jusqu'à dire le Christ. Comme tous les dons de Dieu, la sexualité, mal utilisée, peut devenir une malédiction, et la gestion correcte de ce don est particulièrement difficile pour l'homme déchu, d'où les contraintes à s'imposer pour parvenir à la sainteté à laquelle il est néanmoins appelé. À la question souvent posée : «Quel mal tel comportement peut-il donc faire?», la réponse de l'Église pourrait être : «Qui n'agit pas en vue du bien risque toujours de mal faire.»14 Tout ce qui ne mène pas à la perfection nous éloigne de l'essentiel. Il ne s'agit pas de nous soumettre à une autorité arbitraire mais de vivre notre sexualité, composante essentielle de notre vie terrestre, comme Dieu l'a voulue. «Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite.»15


Une sexualité de personnes

Bien avant son élection au pontificat, le Père Karol Wojtyla, professeur de philosophie morale à l'Université catholique de Lublin, s'est intéressé de près à l'amour humain et à l'éthique sexuelle. L'important ouvrage intitulé Amour et responsabilité, publié en 1960, constitue la base principale de cet article. Monseigneur Wojtyla y reconstitue l'enseignement traditionnel de l'Église sur la sexualité en se basant essentiellement sur la notion de personne et sur la «norme personnaliste» inspirée de Mounier :

Cette norme, dans son contenu négatif, constate que la personne est un bien ne s'accordant pas avec l'utilisation, ne pouvant être traité comme un objet de jouissance, partant comme un moyen. Parallèlement se déploie son contenu positif : la personne est un bien tel que seul l'amour peut dicter l'attitude appropriée et valable à son égard. (Karol Wojtyla, Amour et responsabilité16, Stock 1978.)
Cette norme personnaliste est opposée à la norme utilitariste, qui place le plaisir comme valeur fondamentale et considère l'univers entier comme un moyen pour y parvenir, une sorte de Big Bright Green Pleasure Machine.


Wojtyla commence par réfuter deux interprétations opposées et également erronées de la tendance sexuelle. La première est le «rigorisme» ou «puritanisme» : il s'agit de ne voir dans la tendance sexuelle que la volonté du Créateur que l'espèce humaine se reproduise, et de considérer le plaisir qui y est lié comme une impureté et un mal nécessaire, qu'il faudrait dans la mesure du possible éviter tout en accomplissant la volonté divine de perpétuation de l'espèce. Cette interprétation teintée de manichéisme est évidemment pernicieuse, niant la possibilité d'un amour humain libre et créateur ainsi que l'origine divine du plaisir. La seconde interprétation est celle de la libido, portant à l'extrême les théories de Freud, professant que la volupté est la fin dernière de la tendance sexuelle et que les relations interpersonnelles qui en découlent ainsi que la procréation n'y seraient qu'accidentellement liées. Cela ferait du comportement sexuel un pur utilitarisme incompatible avec la norme personnaliste énoncée plus haut. Wojtyla oppose à ces deux analyses celle de l'Église, selon laquelle la tendance sexuelle a pour fins la procréation et l'aide mutuelle, toutes deux fondées sur l'amour-vertu.


Les considérations sur le puritanisme et le freudisme nous amènent au problème du plaisir, fondamental en morale sexuelle. Il n'est pas acceptable de rejeter le plaisir comme appât du Mauvais, pas plus que de le sacraliser comme fin en soi. Il est important de souligner dans un premier temps que le plaisir est voulu par Dieu, qui, incarné, a consacré Son premier miracle à renflouer les réserves de vin d'une assemblée de noceurs. «Il est hédoniste au fond... Il est vulgaire... Il a un esprit bourgeois. Il a rempli Son monde de plaisirs !»17, grince Screwtape, scandalisé par tant de divine légèreté. Mais la différence du christianisme et de l'hédonisme --- car il y en a une --- tient au fait que le plaisir n'est pas fait pour être recherché comme tel, mais pour être reçu comme un don gratuit de Dieu. «Autant le plaisir pris dans une dynamique d'amour est beau, pur, sain, constructif, autant, recherché comme un but en soi, il peut être nocif... Ce qui exorcise le plaisir, c'est l'amour, c'est-à-dire une rencontre en profondeur, une rencontre d'âmes, une rencontre de personnes. Le plaisir jaillit alors au coeur de l'étreinte comme la pure fleur de la communion.»18 Le plaisir est le fruit de l'acte sexuel, mais son contenu doit être l'amour, seul mode de relation valable entre les personnes :

Goûter le plaisir sexuel sans traiter pour autant la personne comme un objet de jouissance, voilà le fond du problème moral sexuel... Il existe une joie conforme à la nature de la tendance sexuelle, et en même temps à la dignité des personnes ; dans le domaine étendu de l'amour entre l'homme et la femme, elle découle de l'action commune, de la compréhension mutuelle, et de l'accomplissement harmonieux des buts choisis ensemble. Cette joie, ce frui, peut provenir aussi bien du plaisir multiforme créé par la différence des sexes que de la volupté sexuelle que donnent les rapports conjugaux. Le Créateur a prévu cette joie et l'a liée à l'amour de l'homme et de la femme. (AR)



L'amour conjugal

Il est temps de s'intéresser à ce que peut être l'amour interpersonnel dans l'optique de la tendance sexuelle. Wojtyla, à la suite de saint Thomas d'Aquin, distingue trois degrés de l'amour humain : la concupiscence, la complaisance et la bienveillance.

L'amor concupiscentiæ est le désir porté vers une autre personne dans ses valeurs sexuelles : il est simple sensualité. Il ne s'agit pas pour autant, souligne Wojtyla, d'une mauvaise tendance : «Une sensualité exubérante n'est qu'une matière, riche mais difficile à manier, de la vie des personnes et qui doit s'ouvrir d'autant plus largement à tout ce qui détermine leur amour.»19 Les réactions sensuelles «confèrent à l'amour sa ``saveur''» et ne doivent pas être systématiquement refoulées ; néanmoins, il est évident que, la sensualité ne s'intéressant pas par elle-même à la personne, le désir purement sensuel ne doit pas devenir hégémonique dans une relation. En effet, la déchéance de l'homme fait que la concupiscence tend à faire du corps de l'autre un objet de jouissance, contredisant notre chère norme personnaliste. À ceux qui affirment qu'«il n'y a pas de mal à suivre la nature», C.S. Lewis fait remarquer qu'aucun instinct naturel n'est plus fiable depuis la Chute20. Un véritable amour doit se construire, progressivement, par-dessus la concupiscence. Celle-ci, du fait de son inclination vers la jouissance utilitariste, est «brandon de péché» ; mais il n'y a péché que si la volonté s'investit dans ces tendances spontanées de la sensualité.


L'amor complacentiæ est l'attirance par les diverses valeurs discernées dans la personne, puis, s'il mûrit, vers la personne elle-même dans son intégralité. Il correspond à l'affectivité, au domaine des sentiments, et en particulier au sentiment amoureux. Wojtyla met en garde contre un tel amour qui n'irait pas au-delà des qualités apparentes de la personne aimée : la vérité sur cette personne, ses défauts apparaissant, pourrait alors tuer cet amour, voire le transformer en haine. Apparemment, cette forme d'amour est en elle-même pure et séparée de la concupiscence, mais n'en est pas un remède efficace car il lui manque l'objectivité (l'amour étant généralement ramené à la «vérité des sentiments») et, d'après Wojtyla, elle finit, si elle n'est pas dépassée, par être vaincue par la concupiscence.

Je me permets ici un petit détour : la lecture des romans et le cinéma ont mis dans la tête de bien des braves gens l'idée que l'amour entre l'homme et la femme se réduit à l'état amoureux, et que celui-ci est une sorte d'absolu. Cette idée, examinée de près, se révèle dangereuse. Elle revient en effet à dire que l'existence de sentiments amoureux entre un homme et une femme engendre pour eux un droit, voire un devoir, d'être unis, quel que soit l'état dans lequel ils sont lorsqu'ils s'en rendent compte, par exemple s'ils sont déjà mariés par ailleurs --- parce que dans leur mariage précédent ils n'avaient pas choisi «le bon / la bonne», qu'en fait ils n'en étaient pas «vraiment amoureux» et que la preuve, maintenant ils ne les aiment plus, donc la parole donnée au mariage n'est plus valide.

Rappelons que le sentiment amoureux, comme tout sentiment spontané, est instable et s'évanouit naturellement. Il est impossible de construire une relation stable sur la base de ce seul sentiment : l'engagement de la volonté est nécessaire pour que l'amour conjugal dure par-delà l'effacement du sentiment des jeunes mariés. Que l'on ne me reproche pas d'être «contre» le sentiment amoureux : il s'agit d'une grâce merveilleuse, d'un «glorieux» état où l'homme ressent avec force un désir de communion qui garde la nostalgie du paradis terrestre, où les vanités de ce monde matérialiste se retrouvent soudainement descendues de leur piédestal et où les riens de la Création reprennent leur inestimable valeur, mais il doit conserver sa juste place dans la construction de l'amour conjugal. Il est certes souhaitable qu'un mariage se fasse sur une base affective --- et sensuelle --- créant des situations favorables à l'amour, mais celui-ci nécessite leur dépassement pour s'élever au niveau des personnes, grâce à quoi les époux «peuvent avoir cet amour (love) l'un pour l'autre même aux moments où ils ne s'aiment (like) pas»21.

Mais continuons notre exposé. L'amor benevolentiæ constitue le degré supérieur de l'amour naturel humain : «Il ne suffit pas de désirer la personne comme un bien pour soi-même, il faut en outre --- et surtout --- vouloir son bien à elle... L'amour d'une personne pour une autre doit être bienveillant pour être vrai, autrement il ne sera pas amour, mais seulement égoïsme.»22 Cette forme d'amour ne remplace pas les deux précédentes, mais les élève à un niveau digne des personnes : la concupiscence et la complaisance, gardées à leur juste place, enrichissent l'amour conjugal qui doit être profondément bienveillant.


Toutefois, la forme suprême et proprement divine de l'amour se trouve encore au-delà : il s'agit de l'amour sponsal, don total de sa personne. Cette notion, remarque Wojtyla, est paradoxale, car la personne en elle-même est inaliénable et incommunicable. Pourtant, il nous est demandé de donner même ce qui est si proprement nôtre que nous n'en concevons pas la possibilité du don. Il est un tel don de soi qu'il donne même les biens que nous en recevons.

    L'amo ur ne promet qu'une chose à celui qui aime de cet amour-là:
non pas l'organisation de sa vie,
non pas nécessairement son confort sexuel,
mais sa propre perte encore qu'elle soit un gain.
L'amour veut l'éternité, il est plus proche de la mort que de la vie:
rien ne peut empêcher qu'il soit tôt ou tard crucifié.
--- Jean Sulivan, Car je t'aime, ô éternité.

Cet amour est celui qui règne au sein de la Trinité ; il est celui du Christ S'abaissant vers nous et donnant Sa vie pour notre salut ; il est celui auquel les époux chrétiens sont appelés l'un pour l'autre ; il sera enfin l'accomplissement total de l'homme sauvé dans la Vie éternelle. Il ne s'agit pas d'une chose extraordinaire réservée aux hommes de qualité, mais d'une loi universelle voulue par Dieu pour toute Sa création. «Du plus haut au plus bas, le moi existe pour être abdiqué et, par cette abdication, devient d'autant plus vraiment moi, pour être là-dessus encore d'autant plus abdiqué, et ainsi pour toujours... Ce qui est en-dehors de ce système de don de soi n'est pas la terre, ni la nature, ni la ``vie ordinaire'', mais purement et simplement l'enfer.»23

Cet amour complet et sans réserve doit être celui de l'homme et de la femme dans le mariage, et toutes ses manifestations, la sensualité, les sentiments, la tendresse, en sont les signes. Les corps sont des composantes essentielles des personnes, et l'amour sponsal passe donc par le don total des corps accompli dans l'union sexuelle. C'est ce qui fait sa grandeur, et c'est ce qui justifie l'affirmation paulinienne que toute tentative d'isoler ce type d'union de l'union des personnes entières est un péché contre le corps. «La donation totale serait un mensonge si elle n'était pas le signe et le fruit d'une donation personnelle totale dans laquelle toute la personne, jusqu'en sa dimension temporelle, est présente.»24

Le péché tient en effet au refus de subordonner la sensualité et le sentiment à la personne et à l'amour. Il en résulte ce qui est désigné par la paradoxale expression «amour coupable» ; la situation que j'évoquais plus haut dans ma digression anti-sentimentaliste en est un exemple. «Évidemment sa culpabilité n'est pas due au fait qu'il est plein de sentiments, ni non plus aux sentiments mêmes, mais au fait que la volonté les met au-dessus de la personne, que les sentiments suppriment les lois et les principes objectifs qui doivent gouverner l'union des personnes.»25 Un amour qui n'est pas amour de volonté sera forcément emporté par la tendance de la concupiscence à la jouissance utilitaire. S'il n'est basé que sur la sensualité, il ne s'agit pas d'un véritable amour réciproque, mais de deux égoïsmes coïncidents. «Il y a bien deux êtres, mais ils sont seuls, isolés, parallèles. Leur but n'est pas la rencontre mais la jouissance réciproque, si bien que le plaisir qu'ils goûtent à deux peut être encore considéré comme un plaisir solitaire.»26 Comme nous le remarquions plus haut, la bonne question à se poser à ce propos n'est pas «quel mal cela fait-il ?» mais «quel bien cela peut-il faire ?»



La chasteté

Nous en arrivons maintenant aux vertus positives permettant de respecter le critère de l'amour défini dans la partie précédente. Le premier mot à citer ici est «chasteté». Il fait peur. Plus que cela, il est assez généralement perçu négativement. Wojtyla, conscient de ce problème, l'analyse comme une réaction de «ressentiment», c'est-à-dire de dévalorisation plus ou moins consciente d'un bien objectif que l'on se sent incapable d'atteindre :

Pour atteindre ou réaliser une plus haute valeur, il nous faut fournir un plus grand effort de volonté. Donc, pour se libérer subjectivement de l'obligation de fournir cet effort, pour se convaincre de l'inexistence de cette valeur, l'homme réduit son importance, il lui refuse le respect auquel elle a droit en réalité, il va jusqu'à y voir un mal quoique l'objectivité oblige à y voir un bien. (AR)
En l'occurrence, la chasteté est d'abord perçue comme une contrainte artificielle, un refoulement d'une tendance naturelle. Or il ne s'agit nullement de cela au départ : il s'agit d'orienter et de maximaliser nos capacités d'aimer, selon l'expression d'Henri Boulad. C'est le contrôle que la volonté impose aux mouvements spontanés vers les biens sensibles, c'est une manifestation de l'humilité du corps vis-à-vis de la personne aimée et de l'amour, dont il n'est pas la substance essentielle. Un refoulement aveugle serait effectivement dangereux mais la chasteté «est d'abord un ``oui'' dont ensuite résultent des ``non''» :

Il ne s'agit pas de détruire les valeurs du corps et du sexe dans la conscience en refoulant leur expérience dans le subconscient, mais d'accomplir une intégration durable et permanente : les valeurs du corps et du sexe doivent être inséparables de la valeur de la personne... La chasteté est une vertu difficile et dont l'acquisition demande du temps ; il faut attendre ses fruits et la joie d'aimer qu'elle doit apporter. Mais elle est la voie infaillible à la joie. (AR)
La chasteté, vertu positive, peut d'ailleurs être généralisée par la tempérance, c'est-à-dire en détachement de l'instinct de propriété, tentation de mainmise sur les choses, sur les personnes, voire sur Dieu même... c'est une condition à l'amour sponsal évoqué plus haut.

Un autre de ces comportements victimes du ressentiment est la pudeur, trop souvent confondue avec la pudibonderie, qui est soit une hypocrisie par rapport aux véritables intentions sexuelles d'un comportement, soit une négation du lien entre l'amour et la sexualité. Rien de cela dans la pudeur, qui n'est que la dissimulation de ce qui doit rester intime car représentatif de valeurs purement sexuelles, et qui, visible, ressortirait comme objet de jouissance au détriment de la valeur de la personne. C'est une simple défense des valeurs personnelles contre les conséquences du péché originel. Wojtyla développe longuement le fait que, dans le cadre des rapports conjugaux, la pudeur n'est pas annulée mais absorbée par l'amour : une fois établi un amour de personnes dépassant l'utilitarisme, le risque d'être perçu par l'autre comme objet de jouissance disparaît dans une relation de confiance. Les rapports conjugaux ne sont donc pas de l'impudeur légale mais sont effectivement pudiques.

Bien entendu, la chasteté nécessite dans une large mesure la continence. Celle-ci n'est pas une vertu en soi : vécue comme refoulement, comme peur ou dépréciation du corps, il s'agit d'une faiblesse alors que les vertus sont des forces. La continence vécue dans le cadre de la chasteté doit avoir pour source le respect de la personne et nous permettre de nous élever vers l'amour. Étant donné la force de l'impulsion sexuelle, les seuls interdits sont insuffisants à nous faire accéder à une saine continence : ils génèrent la frustration s'ils ne sont pas issus de valeurs librement acceptées. «L'humanité est appelée à redécouvrir la loi morale comme une loi d'autonomie et de liberté»27, et non une contrainte arbitraire. Le mot «diplomatie» est utilisé par Wojtyla et Boulad pour définir les rapports que l'on doit établir avec ses pulsions sexuelles pour gagner la continence : non pas réprimer, mais gérer, dériver, sublimer.

Contrairement à une opinion répandue, ces exigences --- qui sont, rappelons-le, des préliminaires nécessaires à la perfection --- ne sont nullement impossibles à remplir. Chacun passe certes par des périodes où les tentations de type sexuel se font très fortes, mais il serait faux de penser que le seul moyen d'y mettre un terme est d'y céder : ces périodes, comme toutes choses terrestres, ont une fin. Bienheureux qui sait l'attendre sans céder au découragement. Les difficultés liées à la pratique de la chasteté sont réelles et importantes, mais Dieu connaît notre situation, et nous jugera en conséquence.

Avant de parler du mariage, j'aborde ici brièvement le sujet des fiançailles. Comme il a déjà été dit maintes fois, l'union charnelle ne s'accomplit dans la vérité que dans le cadre de l'amour des personnes dégagé de l'utilitarisme, et idéalement dans l'amour sponsal. L'amour vrai suppose un engagement de la volonté qui demande à être construit : la chasteté des rapports ne vient pas en un jour, et tout l'intérêt des fiançailles est de construire un temps où la sensualité et l'affectivité liées aux premiers sentiments amoureux peuvent s'épanouir en amour véritable, sans être gâchées par la transition soudaine à une union charnelle qui replacerait la relation dans la jouissance. Rappelons-nous notre discussion sur le plaisir : il n'a son sens plénier que goûté comme fruit de la relation soigneusement bâtie, et non recherché pour lui-même. Les fiançailles sont un temps d'attente, qui a une importante valeur ; que l'on songe à ce délicat passage du Cantique des cantiques:

Je vous en conjure, filles de Jérusalem,
Par les gazelles, par les biches des champs,
N'éveillez pas, ne réveillez pas mon amour
Avant l'heure de son bon plaisir.
--- Ct 3 5.

Le mariage

Mon bien-aimé est descendu à son jardin, aux parterres embaumés,
pour paître son troupeau dans les jardins, et pour cueillir des lis.
Je suis à mon bien-aimé, et mon bien-aimé est à moi!
Il paît son troupeau parmi les lis.
--- Ct 6 2--3.

Explicitons maintenant le cadre adapté à la grandeur de l'union sexuelle. «L'union de l'homme et de la femme nécessite un cadre adéquat où les rapports sexuels soient pleinement réalisés, mais de manière à garantir en même temps une union durable de personnes»28, nous dit Wojtyla, qui conclut sans grande surprise : «Nous savons qu'une telle union s'appelle mariage.» Sa caractéristique principale est d'engager totalement la volonté de l'homme et de la femme, qui se font ainsi mutuellement don de leur personne dans son intégralité et sans rien retenir : ceci fait du mariage le cadre naturel de l'amour sponsal sous sa forme conjugale. L'amour que se portent les époux est magnifiquement décrit par Paul VI dans l'encyclique Humanæ Vitæ29 (§ 9):

C'est avant tout un amour pleinement humain, c'est-à-dire à la fois sensible et spirituel. Ce n'est donc pas un simple transport d'instinct et de sentiment, mais aussi et surtout un acte de la volonté libre, destiné à se maintenir et à grandir à travers les joies et les douleurs de la vie quotidienne, de sorte que les époux deviennent un seul coeur et une seule âme et atteignent ensemble leur perfection humaine.

C'est ensuite un amour total, c'est-à-dire une forme toute spéciale d'amitié personnelle, par laquelle les époux partagent généreusement toutes choses, sans réserves indues ni calculs égoïstes. Qui aime vraiment son conjoint ne l'aime pas seulement pour ce qu'il reçoit de lui, mais pour lui-même, heureux de pouvoir l'enrichir du don de soi.

C'est encore un amour fidèle et exclusif jusqu'à la mort. C'est bien ainsi, en effet, que le conçoivent l'époux et l'épouse le jour où ils assument librement et en pleine conscience l'engagement du lien matrimonial. Fidélité qui peut parfois être difficile, mais qui est toujours possible... Elle est source de bonheur profond et durable.

C'est enfin un amour fécond, qui ne s'épuise pas dans la communion entre époux, mais qui est destiné à se continuer en suscitant de nouvelles vies.
Inutile de gloser là-dessus. Qu'il suffise de rappeler que le don d'eux-mêmes que se font les époux est évidemment à entendre jusque dans sa dimension temporelle : on ne donne pas sa personne telle qu'elle est maintenant, mais tout son être jusque dans l'avenir. Étant basée sur la valeur propre de la personne, une telle union ne se conçoit que durable. Les difficultés qui surgissent au cours des années de la vie conjugale ne justifient aucunement la reprise de ce qui a été donné, et en particulier --- pardonnez-moi d'insister --- la disparition de la passion initiale dans la relation entre les deux époux doit être acceptée comme un sacrifice nécessaire, et remplacée par un amour plus calme et plus stable qu'il faut construire dès le début du mariage. «L'amour excuse tout, il croit tout, il espère tout, il endure tout.»30

Ajoutons une brève remarque sur l'union libre («le mariage à quoi ça sert ?») : il faudrait plutôt se demander s'il y a de bonnes raisons de refuser le mariage proposé par l'Église. Monseigneur Julien disait cette jolie chose : «L'amour n'a pas peur de la légalité.» Le mariage n'est pas un contrat, c'est une alliance, une inscription de la relation entre l'homme et la femme comme partie de la vie de l'Église à laquelle il doit être ouvert. Il s'agit enfin et surtout d'un sacrement que le Christ a Lui-même restauré dans sa dignité première en abrogeant les clauses de la loi de Moïse dues à la dureté du coeur de l'homme31, et qui apporte aux époux une grâce qui «élève ainsi et perfectionne les forces naturelles, afin que les époux puissent non seulement comprendre par la raison, mais goûter intimement et tenir fermement, vouloir efficacement et accomplir en pratique ce qui se rapporte à l'état conjugal, à ses fins et à ses devoirs.»32

Si le Christ a donné aux chrétiens un Mariage «restauré» avec de telles exigences (de fidélité, de chasteté, de profondeur) et capable de devenir Signe efficace du Sien, il se devait de donner à cet amour une grâce correspondante qui lui donne la Capacité d'être Signe, «la Capacité de l'Impossible». (Gustave Martelet, s.j.)
Bien entendu tout n'est pas réglé du point de vue de la chasteté une fois qu'un homme et une femme sont mariés : leurs relations, en particulier sexuelles, doivent rester dignes des engagements qu'ils ont pris. Sur ce point, les anciennes encycliques pontificales restent prudemment floues («la sainte pudeur de la couche conjugale»33...), mais Wojtyla n'hésite pas à entrer carrément dans les détails :

Les sexologues constatent que la courbe d'excitation de la femme est différente de celle de l'homme : elle monte et descend plus lentement... L'homme doit tenir compte de cette différence de réactions, et ce non pour des raisons hédonistes, mais altruistes. Il existe dans ce domaine un rythme dicté par la nature que les conjoints doivent retrouver pour arriver au même moment au point culminant d'excitation sexuelle. Le bonheur subjectif qu'ils éprouveront alors aura les traits de frui, c'est-à-dire de la joie que donne l'accord de l'action avec l'ordre objectif de la nature... Une harmonisation est donc nécessaire, qui ne peut avoir lieu sans un effort de volonté, surtout de la part de l'homme, et sans son observation attentive de la femme. (AR)
Suit une effrayante description des diverses calamités qui peuvent s'abattre sur le couple si ses relations sexuelles ne se passent pas bien : névroses, frigidité, impuissance... Wojtyla en déduit la nécessité d'une éducation sexuelle «dont l'objectif essentiel serait d'inculquer aux époux la conviction : l'``autre'' est plus important que moi». Heureusement, nous rassure-t-il par la suite, «la tendance [sexuelle] crée chez un homme normal et chez une femme normale une science instinctive de la manière dont il faut ``faire l'amour'' ; la ``technique'' risque de nuire, car seules comptent ici les réactions spontanées [...] et naturelles. Cette science instinctive due à la tendance doit cependant atteindre le niveau d'une certaine ``qualité'' des rapports.» La chasteté dans les rapports conjugaux nécessite une culture préalable de la tendresse entre les deux époux, développant la faculté de discerner les états d'âme et les expériences de l'autre personne, faculté qui «peut jouer un grand rôle dans les efforts pour harmoniser les rapports conjugaux... Le mariage ne peut se réduire aux rapports physiques, il a besoin d'un climat affectif qui est indispensable à la réalisation de la vertu, de l'amour et de la chasteté.»34

La procréation

Il était inconcevable de finir cet article sans parler de la procréation et des problèmes qui y sont liés, d'abord à cause du lien profond qui l'unit à la sexualité, ensuite parce que les positions de l'Église dans ce domaine sont les plus mal comprises. «Le très grave devoir de transmettre la vie humaine, qui fait des époux les libres et responsables collaborateurs du Créateur, a toujours été pour ceux-ci source de grandes joies, accompagnées cependant parfois de bien des difficultés et des peines», dit Paul VI au commencement de son encyclique Humanæ Vitæ, qui fit si grand bruit en 1968. Il parle bien d'un devoir, et ce n'est nullement anodin. L'amour des époux mène naturellement à la procréation, et cette tendance ne saurait être volontairement frustrée sans grave dommage pour l'amour lui-même, qui n'est pas fermeture sur deux mais, par l'union de deux, ouverture et force créatrice.

L'enfant qui jaillit subitement au coeur de l'union conjugale semble un défi lancé à cette union, et comme sa négation. En fait, il en est l'affirmation et l'accomplissement, car par lui l'amour du couple va se fonder de façon stable et définitive. En faisant craquer par le dedans le cercle magique de l'étreinte, l'enfant permet à l'amour de se réaliser à un autre niveau, celui de la famille. (Henri Boulad, op. cit.)
Il est bien entendu que la paternité responsable, notion importante dans les textes pontificaux, exige une décision réfléchie sur le moment de donner la vie. «L'homme et la femme ayant des rapports conjugaux doivent savoir à quel moment et comment ils peuvent avoir un enfant ; en effet, ils sont responsables de chaque conception devant eux-mêmes et devant la famille qu'ils créent ou qu'ils augmentent ainsi.»35 Il ne s'agit pas d'avoir une volonté positive de procréer dans chaque acte sexuel --- ce qui serait une forme d'utilitarisme --- mais que le couple reste ouvert à cette éventualité comme possible don de Dieu venant couronner leur union. L'exclusion volontaire et absolue de la possibilité de procréer constitue d'une part une dénaturation de la valeur de l'acte et d'autre part un important risque de déviation vers la concupiscence. L'Église «condamne» donc l'usage de méthodes contraceptives artificielles, d'autant plus qu'il engendre un état d'esprit dangereux vis-à-vis de l'éventuelle conception d'un enfant malgré ces mesures : «La vie qui pourrait naître de la relation sexuelle devient ainsi l'ennemi à éviter absolument, et l'avortement devient l'unique réponse possible et la solution en cas d'échec de la contraception.»36

Rien n'empêche par contre de «renoncer à l'usage du mariage dans les périodes fécondes quand, pour de justes motifs, la procréation n'est pas désirable, et en user dans les périodes agénésiques, comme manifestation d'affection et sauvegarde de mutuelle fidélité. Ce faisant, ils donnent la preuve d'un amour vraiment et intégralement honnête.»37 La différence fondamentale entre la régulation naturelle des naissances et la contraception artificielle tient essentiellement à ce que celle-ci consiste à agir sur le corps tandis que celle-là ne fait que s'abstenir. Bien entendu, si elle est vécue dans un esprit de fermeture à la fécondité perçue comme un mal, la continence périodique est tout aussi mauvaise que la contraception, la continence par intérêt n'ayant rien d'une vertu. Au contraire, une telle méthode sainement vécue permet de ne pas fonder la relation conjugale uniquement sur les rapports sexuels, auxquels elle nécessite de renoncer régulièrement. Étant basée sur un rythme biologique, cette méthode est forcément faillible, d'où l'esprit d'ouverture qu'elle requiert de la part des époux qui la pratiquent : si l'enfant survient dans une période jugée indésirable, qu'il soit accueilli comme un don que Dieu nous envoie pour briser ce qui peut devenir un égoïsme sécuritaire.

Il est également important de «reconnaître que nous ne sommes pas les maîtres des sources de la vie humaine, mais plutôt les ministres du dessein établi par le Créateur»38 : le mystère de la procréation, acte humain ratifié par Dieu qui imprime Son image et Sa ressemblance à une nouvelle créature voulue par Lui, doit être préservé, sans quoi nous nous approprierions la procréation comme simple fonction reproductive, et aurions tendance à considérer l'enfant comme notre propriété et non la personne autonome qu'il est.

«On peut prévoir que cet enseignement ne sera peut-être pas facilement accueilli par tout le monde»39, remarque candidement Paul VI. Je tiens à souligner de nouveau le fait que l'Église ne veut pas poser des interdits mais montrer la voie vers la perfection. Cette perfection a des degrés successifs qu'il faut respecter : on ne commencera pas un prêche à un Dom Juan moderne en lui recommandant d'éviter la contraception artificielle : qu'il stabilise d'abord ses relations dans un mariage tel que l'Église le demande, on en reparlera après...

En guise de conclusion...

Je conclurai sur ce rappel : l'impression générale que les manquements à la chasteté constituent pour l'Église le vice suprême est totalement erronée. Les péchés contre la chasteté font sans doute partie des moins graves, parce que la volonté y est pour si peu et l'instinct pour tant. Si l'Église élève la voix sur ces problèmes, c'est surtout parce que ces vices sont couramment justifiés comme «normaux», voire «sains». Or dans notre marche vers le salut «la seule chose fatale est de s'asseoir, satisfait d'un état moindre que la perfection.»40 Et dans ce domaine, la perfection est d'une telle beauté --- si mal rendue dans cet article --- que c'est un grand gâchis que de passer à côté. Face aux exigences du mariage, on pourrait se dire comme les disciples : «Si telle est la condition de l'homme envers sa femme, il n'y a pas intérêt à se marier!», ce à quoi Jésus nous répond : «Aux hommes c'est impossible, mais à Dieu tout est possible.»41

S.R.


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