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Considérations sur le mot « tala »

Sébastien Ray









Cave tala, pot tala... Depuis votre entrée à l'École, ce mot que vous entendez partout vous intrigue. Petit tour dans les coulisses du tétragramme ulmien.

Étude sémantique

L'indispensable « petit glossaire tala » de Frédéric Sarter, réédité tous les ans dans le Sénevé de rentrée1 avec tout juste de-ci de-là quelques variations, donne simplement cette définition (version 2001):

TALA : vieux terme pour désigner les normaliens cathos (voire « catholique militant », d'après un célèbre dictionnaire2) : est-ce parce qu'ils vont « t-à-la-messe » ? Consulter le Père Armogathe pour une étymologie plus savante.
L'affaire semble donc claire en ce qui concerne le sens : le mot tala serait un équivalent local du mot catholique, tout comme ernest signifie poisson... Mais en fait la chose n'est pas si simple. Dans le jargon des initiés, les talas sont spécifiquement ceux qui fréquentent l'aumônerie catholique, ce qui est nettement plus restrictif ; les catholiques non-talas, espèce plus répandue qu'on ne pourrait l'attendre, sont alors vaguement regroupés sous le vocable de « crypto-talas », parfois abrégé en « cryptos ». Sur l'emploi du mot tala et les différents sens qu'il recouvre, on lira avec profit un article plus spécifique paru il y a six ans dans cette même revue3.

Étude grammaticale

D'après la définition du Glossaire, le mot tala est un substantif masculin, formant d'ailleurs un pluriel en -s parfaitement régulier : un tala, des talas. Mais, demanderez-vous, et nos chères normaliennes catholiques dans tout ça ? On ne va quand même pas les appeler les talaës... Non, l'usage est de garder la forme tala au féminin : une tala, de charmantes talas.

Ce n'est pas tout : « tala » est également un adjectif, dont le sens est évident (une activité tala) mais qui pose problème du point de vue de la flexion plurielle. L'usage semble en effet varier entre une flexion régulière (des princesses talas) et une flexion invariable (les princes tala). Plus troublant, il arrive de trouver les deux usages chez le même auteur. Ainsi, on trouvera sous la plume de nul moindre que Béatrice Joyeux, princesse tala 1997, « des activités tala » et « des chants talas », ce dans le même article4... Il faut bien reconnaître que les sources sur ce point précis sont plus que rares. Notons toutefois que l'incontournable Frédéric Sarter, dans son Glossaire précité, écrit « cafés tala », confortant ainsi l'intuitive invariabilité de l'adjectif, convention d'ailleurs adoptée par la principauté en exercice, qui veille à écrire : « les princes tala »5.

Enfin, ce mot phonétiquement plaisant a servi à former toutes sortes de néologismes, des désormais classiques « talassades », rubrique du Sénevé inaugurée à la rentrée 1991 et dont le succès ne s'est jamais démenti depuis, au facile « talapointe du progrès », dont usait et abusait un ancien prince dont nous tairons le nom, en passant par la « talassitude » des soirs de pélé.

Étude étymologique

La tradition populaire tala, confortée par le Glossaire, a consacré l'étymologie de celui qui va-t-à-la messe, tout-à-fait réjouissante pour les intellectuels en mal de folklore ; ce nonobstant, comme le signale le Glossaire, l'Abbé Jean-Robert Armogathe, tala de 1967 et aumônier des talas depuis 1981, affirme que le mot viendrait de talapoin6, qui, outre un singe d'Afrique équatoriale à l'allure vaguement ecclésiastique (miopithecus talapoin)7, désigne un moine bouddhiste, et par extension, en argot, un moine ou un curé. Ce mot français, utilisé par Voltaire en personne8, vient lui-même du portugais talapões, pluriel de talapão, moine bouddhiste de Birmanie ou de Thaïlande.

Sur l'origine de ce mot lui-même, les sources divergent. Certaines9 évoquent le malayalam talipat, en sanskrit talapattra, signifiant « feuille de palmier » (tala = palme, pattra = feuille) : ces feuilles auraient aux temps jadis été utilisées au Siam comme parasols à l'usage exclusif de certains prêtres... D'autres sources, plus sérieuses10, nous indiquent que talapão vient du mon11 tala pói, signifiant « notre seigneur », expression dont ces braves gens gratifiaient (et gratifient peut-être encore pour ce que j'en sais) le clergé bouddhiste. Nous avons ainsi la satisfaction de savoir que tala signifierait à l'origine « seigneur », ce qui ferait d'ailleurs de prince tala une sorte de pléonasme.

Bien sûr, on pourrait trouver, avec un peu d'imagination, bien d'autres étymologies que la traditionnelle et la scientifique. Ainsi, le jeune Samuel, appelé par Dieu, lui répondit sur les conseils d'Élie :

Tala þú, því að þjónn þinn heyrir.
C'est du moins ce que l'on trouve dans la Bible islandaise (1 S 3 10) : tala signifie simplement « parler », et si vous mettez plusieurs talas ensemble, vous constaterez qu'ils ne s'en privent pas.

Pour en rester au sanskrit, le tala de la musique savante hindoue est défini dans le Larousse comme « structure comportant un nombre fixe de schémas métriques, exprimés lors de l'apprentissage par des onomatopées vocales. » Impossible de ne pas penser aux cérémonies secrètes tenues en cave tala le matin à huit heures...

Un gaélisant connaissant les traditions de l'aumônerie pourrait vous expliquer :

Tá lá Aifreann Armo an Déardaoin.
C'est-à-dire tout simplement : le jour de la messe d'Armo est le jeudi.

Plus biblique : Anne Robadey, dans sa traduction du Psaume pré-préinvitatoire II12, signale la racine hébraïque t-l-', pouvant se réaliser en tala', et signifiant « pendre, suspendre » ; tirez-en les conclusions que vous voudrez.

Vous pouvez vous amuser ainsi avec un certain nombre de langues, du berbère --- où le mot tala, signifiant fontaine, fait évidemment référence au dynamisme créateur de l'aumônerie --- au samoan (tala = dollar13). N'oublions pas non plus la ville de Tala au Mexique (État de Jalisco), qui n'a malheureusement rien de particulièrement normalien.

Signalons enfin l'existence d'un authentique Prince Talal (1909--1972), fils du roi `Abd Allah `ibn Husayn de Jordanie, brièvement roi lui-même de 1951 à 1952, déposé pour raisons de santé, remplacé par son fils --- le fameux roi Husayn --- et décédé à Istanbul. À une consonne près on aurait pu bâtir une étymologie grande classe au titre traditionnel des responsables de l'aumônerie...

S.R.





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