Résumé de la conférence du Père Armogathe sur l'espérance
Philippe Saudraix
Attention : ceci est un résumé de l'Armoconf du week-end de rentrée,
à partir de mes quelques notes. Ce que je dis donc ici n'engage que moi,
j'espère juste ne pas avoir trop déformé les propos du Père.
Il y a trois vertus théologales : la foi, l'espérance et la charité. Avant
toute chose, il faut se garder de les confondre avec trois qualités
humaines, que sont la confiance, l'espoir et le partage. La confiance,
l'espoir et le partage sont des attitudes humaines, qui partent de l'homme
et qui lui retournent, tandis que la foi, l'espérance et la charité sont
des vertus qui trouvent leur source en Dieu et Lui reviennent : la foi est
donnée par Dieu et est croyance en Lui, alors que la confiance est une
attitude, une discipline humaine ; l'espérance est la certitude en Dieu de
la vie éternelle, alors que l'espoir est la confiance en l'avenir ; la
charité est l'amour que Dieu nous donne et que nous Lui rendons ainsi qu'à
tous les hommes, à l'image
de Son Amour pour nous et de la Passion du Christ, tandis
que le partage est une expression de cet
amour. En ce sens, les vertus théologales ne sont pas des vertus morales,
des virtutes aux sens latin et XVIIième siècle du terme : elles ne
sont pas une
attitude que l'homme peut apprendre à pratiquer ni une morale que l'on
peut inculquer, elles sont une triple grâce donnée par Dieu. Toutefois,
cette grâce finit par s'exprimer dans une attitude humaine : simplement,
elle ne s'y réduit pas.
Puisque c'est le sujet, insistons sur l'espérance, deuxième grande partie
de l'Armoconf, sous le soleil picard. Avant toute chose, le modèle de
l'espérance est le patriarche Abraham : son exemple nous permet de
comprendre à quel point l'espérance est indissociable de la foi, à quel
point elle s'appuie sur la foi. La foi d'Abraham, soit son adhésion
au plan divin du Salut (quand bien même ce plan lui échappe autant qu'à
nous), adhésion qui va jusqu'à l'acceptation du sacrifice de son fils, le
rend capable d'ajouter foi à ce que Dieu lui dit, d'avoir la certitude du
Salut des hommes, autrement dit d'ajouter à la foi l'espérance. L'objet de
notre espérance est la Résurrection et la vie éternelle, l'attente des
biens eschatologiques (et pas du tout l'espoir d'une amélioration de la
vie en ce monde). L'espérance suppose donc la foi : concrètement, ceci
signifie que l'on ne peut être justifié, rendu juste, par sa seule
espérance, mais que seule la foi justifie. Pour le dire autrement : qui a
la foi a l'espérance, sinon c'est qu'il n'a pas la foi. La boucle est
bouclée...
Toutefois, se pose alors le problème du statut de l'espérance par rapport à
la foi. Quand je dis (et pense) : «Je crois en Dieu», l'objet de
ma croyance, «Dieu», est immédiatement saisi en elle. «Je
crois en Dieu» signifie «Dieu est» et non «Dieu sera».
À l'inverse, quand je dis
«Je crois à la vie éternelle» ou «J'attends la vie du monde à
venir», l'objet de mon espérance est à venir : d'une certaine façon,
l'espérance s'oppose à la foi tout comme ce qu'on a s'oppose à ce qu'on
aura. Alors, quid ? Comment accorder ce constat à l'idée que
l'espérance ne peut être sans la foi ? Réponse à l'objection : d'une
certaine façon, l'espérance, tout en se nourrissant d'une attente
eschatologique, n'est pas seulement l'attente de quelque chose à venir.
D'une certaine façon, nous avons déjà ce que nous espérons : celui qui a
la certitude de la vie éternelle, qui n'en doute pas, qui s'en remet à
Dieu, possède déjà l'éternité.
Deuxième interrogation : je peux bien espérer pour moi-même,
avoir la
certitude intime de la vie éternelle, mais puis-je espérer pour les
autres, pour ceux qui sont dans l'Église comme pour ceux qui n'y sont pas
(encore) ? Réponse : oui, car «Je crois en l'Église». L'Église est
l'assemblée1 de ceux qui partagent la même foi : de même que la foi est
partagée, l'espérance est partagée et il n'est pas question de limiter son
espérance à son propre individu de rien du tout.
Ligier Richier, Le Christ délivrant les damnés (Saint-Mihiel)
Les vertus théologales ne sont pas des actes, mais avant tout des
dispositions qui continuent au Ciel. Sainte Thérèse de l'Enfant Jésus et
de la Sainte Face a ainsi pu écrire quelle était son espérance : «Je
compte bien ne pas rester inactive au Ciel» ; «Je sens que ma
mission va commencer», dit-elle juste avant sa mort. On ne peut dire
cela, surtout dans un moment pareil, sans avoir une remarquable certitude
de cette vie éternelle2.
Cependant, cette disposition n'est pas une sorte de yoga, de
discipline individuelle, elle n'est pas une force que l'homme puise en
lui-même, elle vient d'abord de Dieu : la Grâce sanctifiante découle
directement du Christ et agit au niveau des vertus théologales. Pour mieux
le comprendre, on peut examiner ce qu'est le Samedi Saint, entre la
Passion du vendredi et la Résurrection dans la nuit du samedi au dimanche.
Pourquoi laisser un jour complet ? Le Christ mort sur la Croix
descend en Enfer : Il a vécu une Passion physique, une douleur physique
absolument insupportable, Il est allé jusqu'au bout, jusqu'à la mort,
mais cette Passion n'est pas seulement physique, elle est aussi morale. Le
Christ mort expérimente la douleur, mais aussi la certitude d'être au
Saint Sépulcre : pendant tout le Samedi Saint, le Christ est en Enfer, il
se met au rang des damnés. Du même coup, par la Résurrection dans la nuit
de Pâques, le Christ montre que l'éternité peut être donnée même aux
damnés. Même celui qui est au plus profond de l'Enfer a été au-dessus du
Christ et puisque le Christ est «le Chemin, la Vérité et la Vie»,
même celui qui est au plus profond de l'Enfer doit espérer en la vie
éternelle. L'expérience du Samedi Saint, entre la Passion et la
Résurrection, permet l'espérance.
À titre de brève conclusion, il importe de ne pas réduire les vertus
théologales au plan moral, mais de commencer par les considérer au plan
théologique. Elles ne sont pas le résultat d'une discipline que l'homme
exercerait sur lui-même, elles sont d'abord une disposition que, par Sa
Grâce, Dieu met en nous : elles ne se comprennent pas hors du plan divin
du Salut, hors de la Passion et de la Résurrection du Christ et, à
l'image de la Trinité, elles constituent trois composantes indissociables,
quoique distinctes, de la sainteté.
P.S.