De Cracovie à Czestochowa
Martin Dumont
Rompant le traditionnel cycle des pélés talas (Compostelle,
Assise, Terre Sainte et Rome), la situation en Terre Sainte risquant
de nous obliger à tronquer le pèlerinage prévu1,
les talas
sont partis
au mois d'août en Pologne, sous la férule de Damien, éminent
spécialiste des rapports de l'Église et du Parti communiste après 1945
en Pologne2 depuis une année passée à Varsovie. Munis d'un si bon
guide, toutes les portes de la Pologne se sont ouvertes à nos yeux
émerveillés, d'abord à Cracovie durant une semaine chargée en visites
(le château de Wawel, la vieille ville de Cracovie, les mines de sel
de la Wielicka, etc), puis à pied sur les routes de Cracovie à
Czestochowa en compagnie de mille deux cents étudiants venus de toute
la Pologne. Le monastère de Jasna Gora, à Czestochowa, haut lieu de la
nation polonaise et de sa résistance spirituelle, draine vers lui
chaque année des milliers de Polonais venus se recueillir devant
l'icône de la Vierge Noire; nous avons mis nos pieds dans leurs traces
durant une semaine de prière et de chants.
Après une semaine un peu "touriste", qui nous avait cependant
déjà plongés dans la vie polonaise, nos rudimentaires connaissances en
polonais firent un bond (mesuré, néanmoins...) lors du pélerinage
lui-même, qui nous a vraiment permis de prendre la mesure de la
vitalité de la foi chrétienne en Pologne, et d'en repartir raffermis
et grandis. Le premier choc eut en réalité lieu à Cracovie même,
quand, suite à des problèmes d'horaires du père Armogathe, qui
finissait de son côté son deuxième roman de science-fiction à une
terrasse ombragée en sirotant une salutaire et ambrée Okocim, nous
avons assisté à une messe de semaine à l'église des Dominicains de
Cracovie. Deuxième messe du mardi soir dans une des nombreuses églises
de Cracovie, avant une troisième une heure plus tard : difficile
pourtant de trouver une place assise! Nous avons tout de suite été
guéris de nos clichés de petits Européens de l'Ouest sur la prétendue
religiosité purement sociologique et rituelle des Églises d'Europe de
l'Est, et vu que nous aurions beaucoup à apprendre, pour la vie de nos
propres communautés, de la ferveur polonaise. Cette foi nous fut
immédiatement perceptible malgré la barrière de la langue par la
beauté de la liturgie. Tous nous sortîmes avec l'impression d'avoir
profondément communié dans cette célébration; l'étrangeté de la langue
nous avait au contraire conduits au coeur de la messe, puisque chacun
nous devions en faire la transposition mentale dans les structures que
nous connaissions, guidés par la beauté des chants et la ferveur de
l'assistance, attentifs désormais à d'infimes détails particulièrement
perçus et dont la portée nous avait jusque là échappé... Voilà qui
promettait le meilleur pour la semaine de marche!
À l'heure des comptes les piqûres de moustiques, innombrables
comme les succès d'Ulm aux inter-Ens, la pluie et la fatigue ne
comptent plus rien face à la richesse des rencontres avec les
étudiants polonais. Le pèlerinage, organisé à la manière du pèlerinage
étudiant de Chartres3 nous faisait marcher par groupes d'une
centaine. Le nôtre, "international", regroupait des polonais parlant
français ou anglais et une dizaine de hongrois. Y sont nées des
amitiés solides auxquelles nous espérons bien pouvoir donner d'une
manière ou d'une autre des prolongements. Sur la route l'accueil était
impressionnant, avec des habitants groupés au bord de la route qui
nous saluaient, donnaient qui de l'eau, qui des pommes, etc. À chaque
étape les plus chanceux étaient logés également chez l'habitant,
occasion là encore de s'émerveiller du soutien apporté par les
polonais à ce pèlerinage étudiant, et de la gentillesse de leur
accueil.
Nous eûmes bien sûr à coeur de nous illustrer par un
tempérament rebelle aux services d'ordre, quittant parfois le bruit
des hauts-parleurs le temps de nous retrouver en queue de peloton pour
un partage d'Évangile, dire les offices4, chanter. Mais nous fûmes
bientôt intégrés à la vie du groupe par les traductions
d'enseignements polonais que faisait Damien, les enseignements du père
Armogathe (en anglais!) ou l'animation des chants, qui permit à
certains de faire briller leur voix de crooner. Après une mémorable
interprétation des "Champs Élysées" de Joe Dassin pendant une veillée
festive nous étions définitivement adoptés.
Il est impossible de résumer les innombrables discussions, des
échanges sur nos études aux plus hautes sphères théologiques, que nous
eûmes entre nous et avec les Polonais, et encore plus pour moi de
donner un aperçu exhaustif de ce que tous ont vécu différemment, mais
il est certain que ces deux semaines d'amitié dans la prière, la
découverte d'un pays et de sa beauté, nous ont tous donné, chacun à sa
manière, une nouvelle envie d' « avance[r] au large »5 dans notre
vie de chrétiens!
M.D.