À sa sortie d'école, un séjour au séminaire français de Rome5 le voit revenir à Paris en ayant reçu les ordres mineurs, et en complétant d'une licence de théologie son déjà riche palmarès. Pour atténuer le chagrin de son père, il renonce à se faire ordonner dans l'immédiat, et malgré son attirance pour la vie contemplative, n'entre pas dans l'ordre trappiste. Restant dans le vième arrondissement, il donne des cours d'Histoire de l'Église au séminaire de Saint-Nicolas-du-Chardonnet6. Ses Cours sur l'Histoire de l'Église, issus des conférences qu'il donnera longtemps sur une matière qui le passionne, n'occuperont pas moins de 12 volumes lors de leur réédition des années 1960 !
Henri Huvelin.
Comme intellectuel, ses conférences connaissent toujours un grand succès, drainant beaucoup de représentants d'une jeunesse qui commence à se détacher de deux décennies d'hégémonie positiviste jugées desséchantes. Comme pasteur, c'est un homme nourri de la spiritualité de son temps, représentatif du renouveau considérable de l'attachement aux sacrements, au culte du Sacré-Coeur ou surtout à la confession. Le curé d'Ars ne confessait-il pas jusqu'à quatorze heures par jour ? L'abbé Huvelin ressemble beaucoup à celui auquel certains contemporains n'hésitent pas à le comparer, à son agacement. Dans son confessionnal entouré d'un profond silence respectueux, il administre à toute heure du jour le sacrement de la réconciliation. Il écoute des heures durant les fidèles afflués de tout Paris, qui font une longue queue dans la sacristie. Sorti de l'église, son appartement du 6 rue de Laborde ne désemplit pas de gens qui défilent chez lui, assurés d'être reçus tôt ou tard. Rares sont ceux qui ayant été entendus par lui, refuseront de leur vie d'avoir un autre confesseur que lui. Tout ne s'arrête donc pas au moment où le sacrement est administré. Il écrit aussi beaucoup de lettres à ceux qui le prennent comme directeur de conscience. De tout cela il ne cherche pas à tirer gloire : «Le prêtre n'est pas là pour poser des idées, mais pour aider la grâce.»
L'église Saint-Augustin.
Est-il besoin de rappeler qui est Charles de Foucauld lorsqu'il vient à l'abbé Huvelin ? Orphelin à sept ans, ayant perdu la foi adolescent, cet ancien officier de l'armée coloniale a beaucoup en commun avec le fils prodigue : il est parti dans un pays lointain (il a arpenté le Maghreb), a dilapidé son héritage paternel, mené une vie de désordre et multiplié les liaisons féminines. Il fréquente même un instant le sinistre marquis de Morès, cet aventurier de l'armée coloniale dont les bandes d'activistes antisémites, recrutés parmi les plus brutaux des garçons-bouchers des abattoirs de la Villette, sèmeront l'intimidation dans Paris au temps de l'Affaire Dreyfus. Qui sait s'il ne s'en est fallu de peu pour qu'il ne bascule pas en plus dans le racisme militant, en cette décennie où se forge l'antisémitisme racial à base politique et pseudo-scientifique, remplaçant le vieil antisémitisme religieux de jadis. Heureusement en cette année de retour en France, il s'interroge sur les religions, la spiritualité, la foi ; entrant incroyant ou du moins agnostique dans des églises, il ne chercherait pas s'il n'avait quelque part déjà trouvé, et souvent il répète la célèbre et belle prière : «Mon Dieu, si vous existez, faites que je vous connaisse.»![]()
La chapelle où Charles de Foulcaud s'est converti, et son confessional.
Il l'initie à l'oraison, au silence. Il doit parfois réfréner l'ardeur du néophyte, la fougue et l'impatience bien dans le tempérament de ce lointain héritier des moines-soldats. Pour laisser parler Mgr J.-C. Boulanger : «Nous n'aurions pas le Frère Charles sans la présence de ce prêtre. L'abbé Huvelin a accompagné Littré aux derniers moments de sa vie. Il avait fait Normale Sup. C'est à la fois un grand intellectuel de l'époque mais aussi un grand spirituel. C'est donc ce saint homme de Dieu qui va conduire Charles de Foucauld : ce ne sera pas facile d'accompagner un tel homme et un tempérament aussi fougueux. Il y a toujours plus de différence entre les âmes qu'entre les visages. Tout accompagnateur spirituel doit avoir beaucoup d'humilité. L'abbé Huvelin est un homme rempli de bonté, avec une patience inouïe, et Dieu sait s'il en fallait avec un Charles de Foucauld ! Les personnes qu'il a rencontrées sur son chemin sont aussi le fruit de la grâce. L'abbé Huvelin, sa cousine Marie de Bondy, sa soeur Marie, la famille qu'il va retrouver sont des présences que Dieu a mises sur la route du Frère Charles. L'abbé Huvelin dira souvent : ``On verra plus tard, continuez, persévérez.'' Quand on a en face de soi quelqu'un qui a une telle soif de vivre et un tel désir de perfection, qui est toujours en perpétuel mouvement, qui change d'idée, on dit : ``patience, patience.'' C'est la sagesse spirituelle. Combien de fois l'abbé Huvelin dira, et même avant sa mort en 1910 : ``Ah ! Avant tout, laissez agir la grâce, cela vient peut-être de vous, ce sont peut-être des projets que vous-même vous formez. Est-ce que c'est l'appel du Seigneur ?'' Il l'invitera toujours à prendre le temps du discernement !»
Charles de Foulcaud.