«Dieu nous a fait homme et femme, s'il n'y a sur lui qu'une parole masculine, c'est bien qu'il manque quelque chose» --- la moitié ! On songe en entendant ce propos à la parabole platonicienne de la République : une cité qui néglige l'apport de son élément féminin correspond à un homme qui ne se servirait que de son bras droit --- que dire alors d'une Église !![]()
Le conférencier : Monseigneur Gaucher.
Cela va plus loin. Il y a une façon féminine de parler de l'amour de Jésus, estime l'intervenant, qui à propos des mystiques majeures n'hésite pas à parler du «privilège de la féminité dans l'amour de Jésus». L'amour qu'elles lui rendent est tour à tour «virginal, sponsal, filial et maternel», lance-t-il comme pistes. Elles qui renoncent à avoir des enfants biologiques se font par Jésus les mères de millions d'enfants spirituels, elles qui comme Marie sont présentes de la naissance à la mort, elles ont de ce fait une sensibilité plus grande à la corporéité, de là au mystère de l'Incarnation --- il y eut peu de femmes gnostiques, relève Mgr Gaucher2 --- ou encore, bien entendu, à la figure de Marie. Ce n'est évidemment pas un Jean-Paul II «tout à [la Vierge]», marqué dans ses conceptions mariologiques par la pensée thérésienne comme tout le concile lui-même, qui a pu être insensible à cet aspect de ses écrits. Lorsqu'au missionnaire à qui elle sert de correspondante, Thérèse conseille en matière de célébration eucharistique : «Que le prêtre touche Jésus avec le même amour que Marie l'enveloppait de langes», s'exclame l'évêque, elle exprime, avec des mots qu'aucun homme n'avait jamais trouvés, le mystère de la présence réelle.![]()
Sainte Catherine de Sienne, communiant des mains du Christ.
Faire de la théologie comme sainte Thérèse, et lier intimement devoir d'intelligence de la foi et désir d'annoncer l'Évangile, c'est la recommandation que donna Jean-Paul II aux théologiens conduits par le cardinal Ratzinger, la semaine suivant la proclamation du doctorat de la petite carmélite.![]()
Sainte Thérèse de Lisieux.
En tout cas, le fait est maintenant là. Des femmes prêtres et évêques existent, donc elles sont possibles7. Et ce par une décision de l'Église anglicane dont il faut rappeler la succession apostolique parfaitement valide, reconnue notamment par le pape Paul VI lorsqu'il invita symboliquement l'archevêque de Canterbury à bénir la foule à ses côtés (1965), il faut rappeler que de tous nos frères séparés elle est à ce jour la plus proche de l'Église catholique tant sur le plan dogmatique que pratique et liturgique, et qu'enfin elle a reconnu en 1993 le pape comme «prélat universel».8![]()
Première ordination de femmes en la Cathédrale de Canterbury (1993).
H. Arendt, le penseur des totalitarismes, ne s'est jamais investie dans les problèmes de la foi, en dépit de sa bonne connaissance de saint Augustin et du christianisme, ou de ses belles réflexions sur les concepts de promesse, de pardon, d'oeuvre et de travail... Une de ses pensées amène tout chrétien à réfléchir. S'il n'existait plus un jour sur terre qu'un seul principe de vie et d'explication du monde (idéologie ou religion), nous perdrions toute compréhension des civilisations humaines passées, et deviendrions parfaitement incapables de penser la liberté, la différence et le changement, autant que les sociétés primitives figées et sans histoire des îles perdues, qui avant l'arrivée des premiers explorateurs étaient dans l'incapacité radicale de penser quelque chose de différent de leur culture et par ailleurs susceptible d'évolution13. Or «les îles les plus lointaines entendront son enseignement», disait le prophète. Cette réflexion contredit-elle l'idée d'annoncer la Parole à tous les hommes et de faire reconnaître comme vrai à toute l'humanité l'enseignement transmis par les apôtres ? On ne s'interroge peut-être jamais assez sur ce que serait une planète intégralement chrétienne. Est-ce parce que cet horizon ne semble pas devoir être atteint avant le jugement dernier ? En tout cas, la diversité interne du (des) christianisme(s), la pluralité de voies empruntées pour accéder à un même but (le Christ) serait peut-être une réponse au danger pointé par H. Arendt.![]()
Hannah Arendt.
Comment a-t-elle pu ainsi dissocier de l'Ancien Testament et de l'histoire juive le Christ qui l'a saisie et convertie, ce Jésus qui n'a été «envoyé qu'aux seuls fils d'Israël», qui ne se fait pas prier pour aider un centurion romain qui aime la nation juive, qui met rudement à l'épreuve la non-Juive, qui tient d'autant plus à apporter la joie du salut à Zachée ou à la femme à la main desséchée car eux aussi sont fils et fille d'Abraham ?![]()
Simone Weil.
Edith Stein, soeur Theresia-Benedicta de la Croix au Carmel, gazée à Auschwitz le 8 août 1942, ne butta pas sur le même problème qu'elle. Pour cette convertie née dans une famille juive pratiquante, il n'y eut pas opposition entre judéité et christianisme, mais accomplissement de l'un en l'autre. Car plus encore que les autres, «ceux qui ont grandi dans le judaïsme ont le devoir de rendre témoignage.» Nul reniement de son peuple : «vous ne savez pas ce que cela signifie pour moi d'appartenir au Christ non seulement par l'esprit mais aussi par le sang.» Alertant en vain Pie XI dès 1933, elle compare les outrages aux Juifs à un soufflet sur le visage du plus illustre enfant de leur peuple. Devant les persécuteurs elle rappellera que «le Christ priait à la manière d'un Juif pieux, fidèle à la Loi.» Il lui arrivera --- l'auteur ne le mentionne pas --- d'écrire à un évêque pour le reprendre de ses propos antijuifs. Est-ce un hasard enfin --- ceci eût pu être soulevé --- si elle a intégré le Carmel, le seul ordre, avec les Jésuites, à ne jamais avoir refusé les hommes et femmes de sang juif dans l'Espagne du xviième siècle ? Son entrée au couvent en octobre 1933, souligne en tout cas l'auteur, est le contraire d'une fuite devant le monde qui s'embrase. Et elle savait d'emblée que la persécution l'y rejoindrait.![]()
Sainte Edith Stein.