Previous Contents Next

Historique du sacrement de réconciliation





Clément Meunier
Le baptême est le sacrement par excellence du pardon des péchés en vue duquel le Christ a accepté de prendre notre condition. Cependant, un autre sacrement lui est particulièrement attaché: le Sacrement de la Pénitence ou, pour reprendre la belle traduction française de l'Ordo Pænitentiæ de 1973, de la Réconciliation des Pénitents. Des effets de ce sacrement, de sa difficile articulation avec les autres sacrements (particulièrement avec le Baptême et l'Eucharistie), nous ne parlerons qu'occasionnellement, au travers de l'Histoire très synthétisée des formes prises par ce sacrement dans le monde liturgique latin 1 et de la présentation de maigres réflexions visant à donner à ce sacrement la juste place qui lui revient dans notre vie de catholiques. L'évolution de la pastorale qui lui est attachée, du discours qui le justifie au cours des trois grands âges (pénitence publique, pénitence tarifée, pénitence moderne) que nous allons essayer de présenter ne sera qu'effleurée comme par accident.
Pour faire mentir ce que nous venons de dire, nous commencerons par une remarque à la limite de l'histoire et de la théologie: lorsque les Chrétiens occidentaux commencèrent à formuler leur Foi, ils se servirent d'un vocabulaire que les siècles précédents leur avait légué. Ce passage du latin « classique » au latin chrétien permet d'analyser quelque peu ce que les Pères voulaient dire, la réalité recouverte par les mots choisis. Dans le cas de la dénomination du pardon des péchés, ils ont choisi le terme d'absolutio, terme juridique (le Sacrement de la Pénitence et le Sacrement du Mariage sont les deux sacrements qui ont le plus de liens avec la science juridique) désignant la reconnaissance de l'innocence d'un accusé au terme d'un procès. Le pardon des péchés est une absolutio non pas parce que nous serions innocents (nous n'aurions pas commis ce dont on nous accuse devant Dieu), mais parce que le Seigneur nous rend notre innocence par le pardon et, par là-même, restaure notre liberté de le choisir pleinement ou de le refuser plus profondément encore qu'auparavant. Il restaure en plénitude la grâce baptismale.
C'est bien là que le bât a blessé et c'est pour cela que le Sacrement de la Pénitence est le plus lent à se mettre en place. En effet, si le Baptême nous a pardonné pleinement nos péchés, nous a rendu notre innocence originelle, comment peut-on commettre à nouveau des fautes graves ? Et, si nous avons péché, avons-nous encore droit au Pardon ? La possibilité de se faire pardonner une faute grave après le baptême semble avoir été pour la première fois exprimée dans le Pasteur d'Hermas, vers le milieu du IIème s. À l'inverse, les païens semblent rejoindre les plus rigoristes des chrétiens en considérant que certaines fautes sont si graves qu'elles ne peuvent être remises. La pénitence choquait car elle semblait une incitation au péché et être un crime contre le devoir d'éducation, critique que notre temps adresse aussi à ce sacrement.
Pour le pardon des fautes vénielles, la prière et la pénitence quotidienne ont été reconnues comme suffisantes dès St Augustin et il est possible que les Pères aient accordé une valeur presque sacramentelle à la demande du Pater, Dimitte nobis debita nostra sicut et nos dimittimus debitoribus nostris. En ce qui concerne les fautes graves, l'Église tient alors qu'aucune faute n'est irrémissible mais que la rémission n'est pas réitérable. Elle s'obtenait par une excommunication du pénitent, par des prières spéciales de la communauté à son intention. C'est l'évêque qui jugeait de la possibilité pour le pénitent d'être à nouveau admis dans la communion de l'Église, au moment de la célébration annuelle de la Réconciliation, au cours de la nuit de Pâques, le plus souvent. La question de la durée de la pénitence a été abordée dès la Concile de Nicée, où il fut décidé qu'au seuil de la mort, le pénitent pourra être réconcilié pour recevoir le viatique. On voit aisément que, dans l'Église primitive, le lien entre péché et ecclésialité était clairement affiché: les fautes graves ont des conséquences importantes pour la vie de l'Église et c'est la communauté toute entière qui est engagée dans la demande de pardon. À la Communion des saints correspond forcément la solidarité des pécheurs. Cette pratique de la pénitence a peut-être, à cause de son caractère unique, poussé à retarder le baptême ? Elle s'est en tout cas rapidement révélée insuffisante car tellement rigide que les pécheurs ne s'y soumettaient pas toujours et les chrétiens qui n'avaient pas commis de fautes graves n'en ressentaient pas moins le besoin de faire pénitence pour leurs péchés. Ces deux problèmes profonds trouvèrent dans la pratique celtique une solution.
Dans les Églises d'Angleterre et d'Irlande (qui n'auraient pas connu les formes publiques de la pénitence) avait cours une pratique privée de la pénitence. Cette pratique privée de la pénitence ne subira, après le IXème s., que des modifications sur des points particuliers en ce qui concerne le rituel, bien entendu. Cette forme nouvelle de la pénitence, que les historiens appellent tarifée, s'applique à tous, y compris aux enfants (qui n'étaient pas encore aptes à remplir les exigences de l'ancienne pénitence publique) et aux clercs, dont le statut dans l'Église ne permettait pas une admission dans l'ordre des pénitents.
Le rituel de l'accusation des péchés se déroulait le plus souvent dans l'Église, et le pénitent pouvait soit s'accuser de ses péchés soit répondre aux questions du prêtre. Il existait également de longues prières où le pénitent s'accusait de tous les péchés possibles mais on ne sait pas si cette pratique était ou non suivie d'une accusation des péchés personnels. Le jugement pénitentiel était prononcé après de longues prières, l'absolution souvent reportée une fois la pénitence accomplie et elle se faisait par une série de prières. Et surtout, d'où son appellation de « pénitence tarifée », à chaque faute correspondait une pénitence précise. Cette nouvelle pratique n'a cependant pas empêché la restauration de la pénitence publique sous les Carolingiens, dans les pays francs, avec une évolution notable cependant: la première imposition des mains sur les pénitents, le premier jour du Carême, a reçu un développement liturgique très important qui ne signifiait plus l'entrée dans l'ordo pænitentium mais l'expulsion des pénitents hors de la communauté chrétienne. Jusqu'au Jeudi Saint, jour de la réintégration, les pénitents n'avaient plus le droit d'entrer dans l'Église. Cette liturgie solennelle de l'expulsion et de la réconciliation a été intégrée dans le Pontifical romain à la fin du XVème s. et y est resté jusqu'à nos jours sans jamais s'implanter vraiment dans la pratique. En revanche l'imposition des cendres, non pour les seuls pénitents mais pour tous les fidèles (pratique attestée dès le XIème s.), le premier jour de Carême a eu la fortune que l'on sait et ce sacramental a durablement marqué l'âme populaire. Enfin, la présence à la messe du jour de Pâques d'une forme développée du rite pénitentiel collectif, avec prière d'absolution sans valeur sacramentelle, prolongeait la grande démarche commune de confession annuelle prescrite par le 21ème canon du IVème concile du Latran (1215) qui avait certainement plutôt consacré une pratique existante que créé une nouvelle obligation.
La pratique moderne de la pénitence trouve ses racines au XIIème s., lorsque l'on abandonna petit à petit les tarifs de la pénitence, considérant déjà l'aveu comme une première « humiliation » qui devait être parfaite par une pratique pénitentielle adaptée à la situation de chacun. C'est cette disparition des tarifs qui donne naissance à la « pénitence moderne ». Mais, à peu près au même moment, le rite sacramentel de la pénitence privée a été dépouillé de tout droit à une liturgie par les théologiens scolastiques qui prétendirent à la suite de St Thomas d'Aquin, que l'imposition des mains et la prière d'absolution ne pouvaient être essentiels au sacrement, se fondant sur la parole évangélique « Ce que vous délierez sur la terre sera délié dans le ciel ». Il fallait donc que la forme de ce sacrement résidât dans la parole à l'indicatif Ego te absolvo, et non dans une prière, ce qui fut adopté par l'Église lors des conciles de Florence et de Trente, sans pour autant juger les formes passées de ce sacrement qui, tout comme les liturgies orientales, avaient totalement ignoré cette formule. Le passage s'est alors fait dans le rite latin d'une forme déprécative (type Misereatur vestri omnipotens Deus etc.) à celle que nous connaissons et qui met en lumière le pouvoir de rémission que le prêtre possède du fait de sa dignité.
Le Rituel de 1614 redonna une certaine solennité à ce sacrement que le prêtre devait célébrer revêtu du surplis et de l'étole, dans l'Église, au confessionnal. L'élévation de la main droite au début de la prière de l'Indulgentiam est une preuve de la volonté des réformateurs romains de restaurer le vieux geste de la réconciliation des pénitents. L'histoire de la pastorale du sacrement de pénitence entre 1614 et 1974 (date de publication de l'Ordo pæenitentiæ réformé), pour passionnante qu'elle soit, ne trouverait pas sa place ici. Pas de modification importante du rituel durant cette période.
Le nouveau Rituel romain de 1974 s'appuie en particulier sur les nn. 8 et 11 de la Constitution dogmatique Lumen Gentium qui met en lumière la dimension ecclésiale du sacrement de la pénitence: le pécheur, en étant réconcilié avec Dieu, est aussi réconcilié avec l'Église. Cette vision du sacrement conduit à proposer trois modes de célébration: le rite individuel, le rite communautaire avec confession et absolution individuelles et le rite communautaire avec confessions et absolutions générales ce dernier mode étant soumis à des conditions très strictes. En ce qui concerne le rite de confession individuel, c'est surtout le mode de célébration qui a évolué. Quant aux deux rites communautaires, ils sont semblables sauf que celui avec absolution collective ne comporte pas d'accusation individuelle des péchés.
Cette réforme est l'une de celles qui a le plus de mal à entrer dans la pratique: elle appelle les catholiques à faire porter leurs efforts sur trois points, qui sont la redécouverte de l'ecclésialité de ce sacrement, la synthèse entre le psychologique et le spirituel et la conversion du pénitent. Pour ce qui est de la restauration de la place de l'Église dans la réconciliation des pénitents, Rome nous appelle à vivre ce sacrement dans le cadre de la célébration communautaire avec absolution individuelle dès que cela nous est possible, et particulièrement pendant les deux grands temps liturgiques de la pénitence, l'Avent et plus encore le Carême. Espérons que cet appel sera entendu et mis en pratique !
Notre temps souffre d'une véritable crise de la pénitence et peut-être est-ce en partie dû à la difficulté que nous éprouvons à faire la synthèse entre le psychologique et le spirituel. Ceci est admirablement résumé dans cette phrase que nous avons tous déjà entendu: le psychanalyste a de nos jours remplacé le confesseur. C'est vrai, mais c'est mal comprendre les relations entre la confession et la connaissance de soi. Tout d'abord, mais nous n'entrerons pas dans cette question très profondément, les sacrements ont pu, au sein des sociétés chrétiennes, jouer des rôles qui leur étaient extrinsèques, sans pour autant que leur dignité en soit le moins du monde atteinte. La messe elle-même a pu servir dans l'ancienne France de lieu politique (lecture d'édits, par exemple). Il est possible, et ce serait à vérifier, que le sacrement de la pénitence ait pu être le lieu où se réalisait la réconciliation avec la société telle qu'elle est décrite par Bergson dans une célèbre page: par l'aveu même, le criminel est soulagé. Il est important de noter que, même dans la confession, le sentiment de libération ressenti par le criminel que nous sommes peut être dû à la fonction purement psychologique de l'aveu et non à la grâce sacramentelle, qui appelle la foi et ne se fait qu'exceptionnellement et par égard pour notre nature faible, sensible. C'est pourquoi il est important de ne pas limiter le sacrement à la confession des fautes, pour pouvoir en faire une confession de la Miséricorde divine. Les sciences psychologiques sont plus dangereuses lorsqu'elles proposent une anthropologie tronquée, qui voit le péché comme un lieu d'épanouissement de la personne et la religion comme une névrose guérissable. Nous devons alors au monde de lui dire que cette vision, si elle cherche à excuser le péché, est vouée à l'échec. Les lieux de nos tentations trouvent leur genèse dans notre histoire, certes, mais leur création relève d'une stratégie de défense que nous avons élaborées face à certaines situations et non d'un fatum. En d'autres termes, la découverte dans mon histoire personnelle de causes secondes au péché (causes secondes qui déterminent plus la forme du péché que son essence) ne doit pas me conduire à le considérer autrement que comme un refus de Dieu, en soumettant la définition de sa gravité au discernement de l'Église. Limitées à leurs objets propres, les sciences psychologiques sont bonnes et sont un moyen privilégié de ce que Catherine de Sienne appelait la « connaissance de soi en Dieu » qui permet de retrouver dans le miroir de son âme l'image du divin créateur.
La constatation de cette crise a conduit les autorités romaines à nous rappeler régulièrement le rôle essentiel du sacrement de la pénitence dans la vie des catholiques et à insister à nouveau sur la notion de péché mortel à laquelle certains préféraient la notion de péché grave. Négliger la confession n'est jamais qu'une attitude inversée par rapport à celle qui aurait fait souffrir nos grands-parents, qui ne pouvaient communier qu'après s'être confessé et que l'on assommait de listes de péchés véniels (très courtes) et de péchés mortels (très longues). Mais les deux attitudes extrêmes se rejoignent en ce qu'elles se placent au même niveau et qu'elles ne correspondent ni l'une ni l'autre à la doctrine catholique. L'articulation entre Eucharistie et Confession est l'un des défis de la conscience catholique dans sa vie sacramentelle de nos jours. En lien avec cette dernière, la juste articulation entre conscience de la gravité extrême du péché et Miséricorde divine est difficile à accomplir. L'appel à la conversion et la possibilité qui est offerte au pécheur de se convertir sont le centre du sacrement. Il ne faut pas considérer le Sacrement de Pénitence comme une lessive « Super Croix » qui nous rendrait plus blanc que blanc et nous permettrait ainsi de nous resalir en toute bonne conscience, pensant qu'après tout, le péché ce n'est pas « si grave que ça » puisque la Miséricorde est infinie. C'est justement parce que le péché est très grave que la Miséricorde doit être infinie pour nous en libérer. Même si nos sociétés ont en grande partie perdu le sens du péché, les catholiques doivent avoir le courage de regarder le mal qui les habite en face et une méditation sur les fruits du péché dans le monde suffira à nous convaincre de la nécessité de la conversion personnelle pour l'établissement de la justice sur la Terre: injustice faite à des peuples innocents (Irak, Cuba, Tibet), enfance bafouée, guerres qui n'ont pas pour cause la recherche de la justice mais la haine raciale ou la préservation d'intérêts économiques et politiques. Il est possible que la difficulté que nous avons tous à croire en notre péché soit accentuée par notre situation matérielle: il est plus facile de ne pas voir les conséquences de nos actes lorsque nous sommes étudiants dans des grandes écoles parisiennes que lorsque nous souffrons directement des maux sociaux que nous avons engendrés. La restauration de notre innocence qui s'accomplit mystérieusement dans ce sacrement sera vaine si elle ne nous pousse pas à la conversion afin que nous restions la Lumière de ce monde des ténèbres, duquel nous sommes en partie responsables... Ce n'est qu'en acceptant de regarder les fruits de notre péché que nous accèderons à la pleine connaissance de la Miséricorde du Père. En d'autres termes, il nous faut faire intérieurement dans le sacrement de la Pénitence cette expérience décisive de St Silouane de l'Athos que je vous livre en guise de conclusion et qui est la preuve de l'incompréhensibilité de l'Amour de Dieu en qui tout se trouve: dégoût face à notre péché mais dégoût qui ne nous enferme pas dans le mal et, bien au contraire, nous pousse à la conversion: « Que les hommes sachent combien est grand l'amour de la toute pure Mère de Dieu à l'égard de tous ceux qui sont dans le péché ! J'ai expérimenté cela pour ma part. Je ne connaissais pas la Mère de Dieu mais le Saint Esprit me la fit connaître. Voilà plus de quarante ans qu'Elle me visita, moi pécheur, et m'instruisit. J'en serais mort, moi misérable, mais j'entendis sa voix et recueillis ces paroles: « Ce que tu fais me répugnes ! » Elle était si pleine d'amour, si agréable, si douce était sa voix que je ne puis jamais oublier ces mots si doux et ne sais comment remercier, moi pécheur, la Mère de Dieu, pleine de grâce et de miséricorde 2. »
C.M.





Previous Contents Next