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La musique dans la Bible. Tentative d'exégèse du Psaume 150.

Sylvain Perrot



La tenture du tombeau de David à Jérusalem

Il y a peu, certains d'entre nous ont eu la chance de visiter un lieu vénéré à Jérusalem comme celui de la Tombe du Roi David. Les Juifs ont décoré ce lieu saint d'une tenture ornée de divers instruments de musique, rappelant sans aucun doute les versets du Psaume 150. Le roi David passe en effet pour avoir composé les premiers psaumes, et il n'est pas rare de le voir représenté avec une harpe entre les mains. «Un roi chantait en bas, en haut mourait un dieu», écrit le Poète1. Or le Psaume 150 occupe une place particulière dans le livre des Psaumes. Il s'agit tout d'abord du dernier, et donc d'une certaine manière le plus important, ce qui conduit la Bible de Jérusalem à parler de «doxologie finale». Le livre biblique se clôt donc sur une louange universelle à Dieu.






Alleluia !



Louez Dieu en son sanctuaire,
louez-le au firmament de sa puissance,
louez-le en ses oeuvres de vaillance,
louez-le en toute sa grandeur !



Louez-le par l'éclat du cor,
louez-le par la harpe et la cithare,
louez-le par la danse et le tambour,
louez-le par les cordes et les flûtes,
louez-le par les cymbales sonores,
louez-le par les cymbales triomphantes !
Que tout ce qui respire loue Yahvé !



Alleluia !


La traduction de ce texte pose un certain nombre de problèmes qui touchent à une discipline qui m'intéresse tout particulièrement : la musique dans l'Antiquité. Dans ce domaine, le problème est double : il est tout d'abord difficile de parler de la musique avec des mots. Nombre d'écrivains se sont heurtés à ce problème : Balzac dans Gambara et dans Massimila Doni, George Sand dans Consuelo, Proust dans sa Recherche... Alors que faire quand cette musique date de plus de 2000 ans ? Comment avoir la moindre idée d'un son quand on sait les divergences d'interprétation qui règnent entre les archéologues pour l'interprétation d'un tas de cailloux ?

Si l'on ne peut écouter la musique du roi David, nous pouvons au moins essayer de comprendre le type de musique utilisé alors, et ce par l'analyse des familles d'instruments évoquées dans ce psaume puis les circonstances qui justifient l'emploi de la musique. J'aborderai pour finir quelques problèmes spécifiques à l'étude la musique biblique.

1- Les différents instruments

Le Psaume 150 a ceci de particulier qu'il ne célèbre pas directement le Seigneur, mais indique comment le célébrer, en l'occurrence en musique. La première strophe s'ouvre sur une formule hortative, une invitation très vive à louer Dieu dans ce qui fait sa grandeur. Mais c'est surtout la deuxième strophe qui m'intéresse, puisqu'elle consiste en un «catalogue» des différents instruments de musique devant appuyer la louange.

Les percussions

C'est sans doute le type d'instruments le plus ancien dans l'histoire de l'humanité, car le plus simple et le plus rudimentaire. Il suffit de taper dans ses mains pour avoir l'idée même de la percussion. Cela ne suffit toutefois pas pour fabriquer un tambour, mais taper sur un tronc d'arbre avec une branche peut être une évidence à qui contemple la nature. Or il est évident que les percussions mentionnées par le Psaume sont d'un stade plus avancé que le seul battement des mains.

Commençons par le tambour, ou plutôt le tambourin, car l'instrument antique correspond davantage à la forme d'un tambourin que celle d'un tambour. Il s'agit en général d'un cercle de bois recouvert d'une peau, dont la vibration est source de son. Cet instrument est connu des Grecs sous le nom de , tympanon, qui a donné notre français tympan. Le diamètre de la peau et la tension de la membrane sont les paramètres de la hauteur du son qui est produit. En d'autres termes, plus le diamètre est grand, plus le son sera grave. Il semble que celui des Grecs soit plutôt grave, mais la question est plus délicate pour l'instrument du monde sémitique. La gamme de notes peut être étendue, comme le montrent nos timbales modernes, les timpani cisalpines, terme directement emprunté au grec. Mais on ne peut savoir s'il s'agit dans notre psaume d'un petit tambourin, donc plutôt aigu, ou plutôt grave.

Pour ce qui est des cymbales, elles sont, contrairement aux tambourins, faites en métal, de cuivre plus précisément. Aujourd'hui elles peuvent être utilisées seules (dans une batterie par exemple), par deux le plus souvent dans un orchestre : on parle alors de cymbales frappées. Dans l'Antiquité, on ne sait pas comment elles étaient employées, mais le caractère triomphant confirme l'idée que ce ne sont pas des instruments en bois. C'est en général le métal qui peut recevoir ce qualificatif, puisque le son résonne davantage dans l'air. Le métal produit de fait un son plus aigu, qui par nature se propage plus clairement.

Les cordes

Les instruments à cordes sont très anciens, puisqu'on en connaît depuis la Mésopotamie et l'Égypte anciennes. C'est le cas notamment de la harpe, dont on trouve un bel exemple dans le monde cycladique.


Cithare de la Basilique de l'Annonciation à Nazareth
Cithara regis sonans (Au son de la cithare du roi)

Le Psaume 150 fait mention du terme générique de cordes. Ce type d'instruments implique un caractère un peu évolué de la civilisation, dans la mesure où ils supposent la domestication animale : il est intéressant de constater que nous utilisons le terme de cordes pour désigner ces instruments, par métonymie donc. Les cordes précisément sont la base, et elles sont faites de boyaux de boeufs souvent. C'est ce que raconte par exemple la mythologie grecque qui fait d'Hermès l'inventeur de la lyre à l'aide d'une carapace de tortue et de boyaux des boeufs qu'il avait volés à son frère Apollon. Lyre et harpe sont deux instruments assez semblables dans leur principe. La harpe apparaît d'ailleurs nominalement dans le Psaume, aux côtés de la cithare.

Le terme de cithare est emprunté aux Grecs qui connaissaient aussi cet instrument. Les tenants de la harpe peuvent être faites en bois ou en corne, ceux de la cithare sont toujours en bois. En outre, la cithare est plus encombrante que la harpe et la lyre. La juxtaposition des deux instruments sert donc à recouvrir l'ensemble des instruments à cordes connus à cette époque.

Les vents

La Bible de Jérusalem propose la traduction flûtes pour le terme qui accompagne les cordes, quand d'autres proposent roseaux. Cette hésitation de la traduction est due au terme hébreu qui signifie roseau, et par suite flûte, comme le grec kalamos. Or il est un point à souligner quand on parle des instruments à vent de l'Antiquité. La grande majorité sont en roseau, du moins à l'origine. Ce n'est qu'à partir du Vième siècle qu'apparaissent des instruments en bois ou en os, matériaux archéologiques qui se conservent contrairement au roseau.


Aulos à Sepphoris

Ce terme de roseau dans le Psaume 150 peut désigner deux instruments. Il peut s'agir de ce qu'on appelle souvent le pipeau, l'instrument traditionnel des bergers. Dans l'Antiquité, c'est un instrument fait de plusieurs tuyaux, sept ou neuf : la flûte de Pan, syrinx en grec. Il est semblable à la flûte qu'utilisent les populations andines. Mais l'instrument évoqué dans le Psaume, malgré le choix fait sur la tenture à Jérusalem, est plutôt celui qu'on connaît sous le nom d'aulos en Grèce, fait de deux tuyaux reliés par une anche double commune. On traduit souvent à tort par flûte, puisque cet instrument est plus proche du hautbois. Il ne vous aura pas échappé en effet que la tenture montre des instruments modernes, tant la batterie que les violons, qui n'ont aucune existence aux dates de rédaction des psaumes. Le choix de la flûte de Pan tient aussi à l'idée de David roi-berger, et on s'imagine mieux un berger jouant de ce type de flûte.

Enfin, le Psaume fait mention du cor, qu'on connaît aujourd'hui en cuivre (et en fa le plus souvent). Ce n'est pas aussi simple dans l'Antiquité, puisqu'on n'est pas certain de la facture même de cet instrument. Il est probable qu'il soit en cuivre, comme l'indique le terme d'éclat, qui se rattache généralement aux instruments métalliques, comme on a pu le voir pour les cymbales. Mais on sait qu'en Grèce, le cor est fait pour une partie au moins en roseau, et qu'en particulier c'est un instrument à anche. Il ne faut donc pas nécessairement penser le cor biblique sur le modèle du cor contemporain.





Le Psaume 150 réunit donc tous les instruments représentatifs de la musique ancienne, tant par les familles que par les matériaux. Il faut ajouter que le Psaume fait mention des danses, un des domaines avec la musique chéris des Muses. La danse a ceci de particulier que c'est un art qui fait appel en partie à la musique, et il n'est pas aberrant de la voir ici. C'est une des manifestations corporelles de la louange à Dieu.



2- La musique dans les cultes hébreu et chrétien

Place et rôle de la musique

La musique de louange à Dieu n'est pas née ex nihilo. Il faut la replacer dans le contexte historique et géographique. C'est ainsi que l'aulos grec est né en fait en Mésopotamie vers 2000 avant Jésus Christ et qu'il est passé dans différentes régions : la Phrygie (et de là la Grèce), l'Égypte et enfin la Syrie - et de là en Israël. Tous les instruments mentionnés dans le Psaume 150 ont des origines bien plus lointaines que le seul monde hébraïque. En fait, tous ou presque sont d'origine mésopotamienne, en tout cas dans leur principe.

De même, le rôle de la musique dans les cultes monothéistes n'est pas très différent de celle des cultes orientaux. Dans tous les cas en effet, la musique a une fonction importante dans le culte, puisqu'elle est interpellation de la divinité.


Musique de culte

La musique dans l'Antiquité est étroitement attachée au rite, elle est donc codifiée, adaptée à la circonstance. Le but recherché n'est pas tant de faire de la belle musique que de faire du bruit : ce n'est pas un hasard si le Psaume 150 insiste tout particulièrement sur les instruments au son éclatant.

On en trouve un exemple tout à fait intéressant dans le Livre de Daniel2, où l'on trouve une description assez précise de l'orchestre de Nabuchodonosor : trompe, pipeau, cithare, sambuque, psalterion, cornemuse et toute espèce de musique. Si certains nous sont déjà familiers (pipeau, cithare), d'autres sont plus surprenants. La trompe désigne un instrument proche du cor. La sambuque et le psalterion sont des sortes de harpe. Quant à la cornemuse, il ne s'agit pas ici d'une boutade celtique : la cornemuse est un instrument très ancien, déjà connu de Dion Chrysostome.

Tous ces musiciens s'agitent autour de la statue d'or de Nabuchodonosor : nous sommes donc en présence d'un culte païen qui a de quoi choquer le jeune prophète. Nous voilà revenus à l'épisode du veau d'or3. Un tel tapage a pour objectif avoué d'attirer l'attention des dieux et des hommes, et en l'occurrence d'un homme vénéré à l'égal d'un dieu.

Il s'agit d'airs connus, traditionnels, et l'on voit toute la différence qu'il peut y avoir entre la musique liturgique du VIième siècle avant Jésus Christ et celle du XVIIIième siècle de Bach. Ce dernier compose une oeuvre qu'il veut différente pour chaque célébration, alors qu'on n'hésite pas dans l'Antiquité à jouer la même chose, sans craindre le «comique de répétition».

La musique l'emporte sur les chants. Il faut aussi mentionner ici le rôle de la danse qui est elle aussi tout à fait rituelle. On en trouve un exemple éloquent dans les Bacchantes d'Euripide : ces femmes, prises par le délire inspiré de Dionysos, produisent une musique assourdissante qui accompagne leurs danses effrénées.


Mais pourquoi conserver une musique païenne ?

Un des écrits apocryphes nous apprend que saint Thomas se promenait dans la cité et que par hasard il a rencontré une aulète. Et c'est alors qu'il est tombé en transe, comme possédé par la divinité, à l'instar des antiques Sibylles. La musique a donc un pouvoir sur l'âme, et ce type de musique est inscrit dans les traditions populaires.

Ainsi, dans le Temple de Salomon, était conservée avec l'Arche d'Alliance une flûte datée de l'époque de Moïse. Il s'agissait d'un roseau couvert d'or, auquel on prêtait des vertus et pouvoirs magiques. Il y avait également des petites flûtes, entre deux et douze. Elles étaient utilisés pendant les grandes fêtes du Temple.

Les effets de la musique étaient condamnés par les intellectuels mais il n'empêche que la musique est jouée par la population. Par exemple, on sait qu'un Juif doit toujours avoir un pipeau chez lui, si pauvre soit-il, au cas où lui ou un proche mourrait. On joue donc dans des circonstances tristes, mais aussi joyeuses.

La musique est donc prise dans cette lutte entre intellectuels et peuple, ce qui gêne toujours la bonne compréhension des phénomènes passés à l'homme qui vient 2000 ans après. Se pose aussi le problème de la géographie historique, avec les transferts d'instruments d'une région à une autre.

3- Le problème des écrits bibliques

Comment reconstituer la musique des Ancien et Nouveau Testaments avec la Bible ?

Un cruel manque d'informations

Tout d'abord, les pratiques populaires sont assez rarement au coeur des préoccupations d'un auteur. En outre, lorsqu'on vit une réalité quotidienne, on ne songe pas toujours à en parler, mais on s'attache plutôt à raconter ce qui n'est pas commun.

En outre, la mention de la musique est souvent secondaire par rapport à l'événement rapporté. L'épisode du Livre de Daniel fait un peu figure d'exception, mais même à cette occasion, l'adoration de la statue l'emporte sur la manière d'adorer.

Il ne faut pas oublier non plus dans cette perspective le fait que la Bible, si elle est écrite à un moment donné, est avant tout un ensemble de récits transmis par voie orale : c'est en cela qu'elle participe du même schéma que le mythe, et donc il s'agit d'un système de représentation qui nous échappe : c'est dans ce contexte qu'il faut replacer le choix des instruments, mais aussi les présupposés de l'auteur qui échappent au lecteur moderne.

Un dernier problème, last but not least, est que l'on ne dispose pas, pour le monde proche-oriental, de sources archéologiques, en particulier de partitions, alors qu'on en a quelques-unes dans le monde grec, en particulier dans le grand sanctuaire de Delphes.

Bible et vérité historique

Tous les éditeurs de la Bible doivent se poser un jour la question de la date des écrits. Et cette problématique est essentielle sur le sujet musical. En effet, assez peu de livres bibliques en fait sont contemporains des événements qu'ils racontent. Et tout se complexifie avec les livres écrits dans la période hellénistique, car les références s'emmêlent entre monde grec et monde proche-oriental. On peut reprendre l'exemple du Livre de Daniel : dans un monde babylonien apparaissent des instruments aux consonnances plutôt grecques ! Il est courant en effet de vouloir parler de faits passés, parfois très lointains, mais avec les conceptions propres à une époque, dans un système culturel frisant l'anachronisme. Et il faut bien avouer qu'on n'en connaît pas toujours le vocabulaire étranger, et que de fait, on fait ce que l'on peut avec ce que l'on a. Et parfois, on ne sait plus exactement de quelle origine est l'instrument qu'on évoque, d'où quelques mélanges savoureux !

Conclusion

À n'en point douter, il existait une musique hébraïque. Mais on n'a que très peu d'informations à disposition, parfois douteuses. On travaille sur trois types de sources : la Bible, la tradition rabbinique et quelques témoignages archéologiques, essentiellement iconographiques. Il faut se garder du danger de considérer la musique de l'Ancien Testament avec un regard chrétien : la musique de Moïse n'est pas celle de Bach4. Il faut donc avant tout replacer cette musique dans son contexte de naissance et d'exécution, à savoir dans le Proche-Orient. C'est une musique païenne, qui a été introduite dans la liturgie hébraïque, puis chrétienne.

Mais elle connaît une évolution radicale, puisque si elle ne change pas de forme, elle change de sens. Ce n'est plus un vacarme frénétique, mais une tentative de saisir le divin dans sa gloire. Dans l'Antiquité païenne, la musique est un acte intéressé : on essaie de se faire entendre du dieu comme on le fait du roi au XVIIième siècle. Dans le monde monothéiste en revanche, la musique est l'expression même de l'harmonie de l'univers, son agencement parfait, en un mot Dieu. C'est pourquoi le Psaume 150 évoque la création tout entière : que tout ce qui vit chante Dieu. Le tout, c'est dans le macrocosme la création, et dans le microcosme l'orchestre psalmique : une telle énumération d'instruments a pour but évident de suggérer la présence d'un orchestre étendu, composé de tous les types d'instruments. Mais cette multiplicité repose sur une unité : tous s'accordent, au sens propre et au sens figuré, pour la louange. C'est le sens étymologique de la symphonie, la . C'est ce principe musical qui apparaît dans la liturgie orthodoxe, qui donne la part belle à la musique polyphonique.

Dans le monde moderne, cette dimension est encore visible. Mais la musique est plus que l'occasion de chanter la louange divine : c'est le moyen de révéler au monde son génie, du moins quand on s'appelle Bach ou Charpentier.
S.P.

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