Aumônerie de l'École Normale Supérieure


Qui sont les membres de l'aumônerie ?

Si l'on parle de talas partout sur ce site, savoir "qui ils sont" est peut-être plus compliqué. C'est la raison pour laquelle il apparaît judicieux de voir ce qu'en dit la sociologie. Les remarques qui suivent sont ici le fruit du travail d'un étudiant en sociologie, venu étudier les talas, et dont le récit ne manque pas d'un humour certain !

Le texte que vous allez lire est un article paru dans le Sénevé à la rentrée 1997 écrit par Béatrice Joyeux.

Un sociologue chez les talas

Par Béatrice Joyeux

"J'ai peut-être mis en lumière des actions qui n'auraient pas
été décrites de la même manière par les gens qui les font.
Quant à savoir si j'ai fini par dépasser le sens commun..."

Baptiste C.,
Le Dieu sensible,
Sur la foi et quelques-uns de ses engagements., p.105.

"Il était une foi..."

Il était une fois un sociologue, qui cherchant un sujet de maîtrise, eut l'idée saugrenue de tenter d'étudier l'aumônerie de l'école normale supérieure. Baptiste C. (par pudeur nous lui conserverons l'anonymat, de même qu'il le fit avec délicatesse pour les étudiants qu'il analyse dans son mémoire) prit donc son bloc-notes, un bic, et tout son courage pour affronter ce groupe d'indigènes étranges et si différents des autres gens de l'ékhôle... première ambition, savoir ce qu'est un tala, ce personnage mythique dans l'école; mais plus profondément, tenter d'aborder la foi.

L'habit ne fait pas le moine...Ce n'est pas seulement d'aller- t'à-la-messe qui fait le tala. Le tala se définit d'abord par ses activités à l'Ecole, puisqu'il met les pieds de temps en temps à l'aumônerie. Quelques lieux consacrés : la " cave tala ", dans les bas-fonds du site de la rue d'Ulm, la " thurne tala " de Jourdan, la chapelle de l'Adoration (au 39, rue Gay-Lussac), ... et les thurnes des princes et princesses. Mais ! Beaucoup ont déjà pénétré la cave, plus nombreux encore squattaient les thurnes de Xavier ou édouard1 cette année, qui ne participaient pas de la catégorie " tala ". Et Baptiste C. lui-même, suivant à la trace les indigènes catégorisés, lutta toute l'année pour ne pas être assimilé tala...

Tala ou pas tala ?

Participant à la majorité des activités tala, Baptiste pouvait bien passer pour tala. Baptiste, en effet, va à la messe du jeudi soir, s'inscrit et vient à la retraite de rentrée, se lève même à deux heures du matin pour suivre les vigiles de l'abbaye de la Pierre-qui-vire. Il suit les talas à Chartres, " chante à tue-tête "... Il vit avec nous. Présent aux messes, également aux cafés talas, aux chocolats théologiques -mais pas aux laudes !- Le voici partout -ou presque.Mais sa propre situation n'est pas évidente; tala ou pas tala ?

D'un côté, la fréquentation de ces individus grillés à l'école laisse penser à beaucoup que Baptiste va se faire avoir : " "** m'a dit que tu es proche d'eux, finalement"(*, conversation) " (ibid., p.12). De l'autre, Baptiste acquiert vite chez les indigènes qu'il étudie un statut particulier: " pour certains, j'étais en effet "en recherche", c'est-à-dire en voie de conversion, et il ne fait pas de doute que certains des discours qui me furent tenus sont à mettre en rapport avec cette place qui me fut assignée. " (p. 12). Bref, entre deux chaises, notre sociologue apparaît presque comme un demi-tala, d'autant plus mal à l'aise qu'il ne veut pas l'être et que le tala est justement cet objet d'étude - de recherche ! - qu'il tente de cerner. Mais il s'agissait d'une étude ethnographique, peut-on lire dans son mémoire; pas d'observation participante, donc; ou peut-être une observation semi-participante; surtout, de l'observation-tout- court. Phénoménologiser, pour définir précisément ce qu'est le tala, et cette chose par laquelle il se définit le plus souvent : la foi. En deça des manifestations extérieures de la "talasserie" (expression consacrée chez les antitala ), il y a en effet cette chose qui échappe toujours : l'essence du tala. Qu'est-ce que le tala ? demanderait Socrate. T'es tala, t'as la foi. La foi est cette différence spécifique entre l'élève normalien standard et le tala. Baptiste C. l'a bien vu. Et c'est la foi qu'il tente de comprendre dans son étude ethnographique : " Ce mémoire tente de comprendre l'objet apparemment le plus théologique et le moins sociologique qu'il était possible de trouver : la " foi ", manière de ne plus la décrire comme " mauvaise foi " " (p.4).

La semaine du tala

Le voici donc investi de la tâche immmense d'essayer de définir la foi et le tala. Pour tourner autour de l'animal étrange, il y a plusieurs chemins. Celui de la description, d'abord.Que fait donc le tala de sa semaine à l'école ? Aux messes du jeudi soir, 20h15 à la chapelle de l'Adoration, le chercheur a beaucoup de probabilités de rencontrer quelques talas. Baptiste se rend donc aux célébrations du jeudi, sacrifiant par souci professionnel les cours de danse de l'école, écoutant et notant avec frénésie les sermons de notre bien-aimé aumônier, lisant, analysant les chants...Il participe même à une préparation de messe -C'est ici que se révèlent le mieux les " rapports de pouvoir et domination " au sein de l'aumônerie; les petites habitudes; les chants qu'on aime (les chants de Berthier, de Bach, la page 51 pour les anamnèses, sans oublier les chants chachas2 ); ceux qu'on censure systématiquement -sauf quand c'est Xavier qui prépare la messe tout seul- : l'Agnus Dei-Panthère rose, le Gloire au Christ-trompettes de peplum, ou les cantiques de votre paroisse.

Après la messe vous trouverez les talas à traîner rue Gay- Lussac. Puis si Ichtus l'a annoncé, ils se rassemblent dans une thurne, autour d'un texte, armés de leur bibles, leurs lunettes et leur meilleure volonté pour tenter de comprendre les subtilités théologiques des lignes proposées. Pas seulement autour d'un texte ! ... Il s'agit encore de passer certaines épreuves initiatiques : boire le chocolat à la maïzena de Xavier, ne pas en mettre partout, tout en tournant son breuvage avec l'unique cuiller à disposition chez Marie Bé -baptisée " cuiller de l'amitié ", ou avaler et déglutir une tisane-pisse-mémée (c. Edouard de Pirey).

Autre temps fort de la semaine, où la faune tala n'est pas nécessairement la même que celle du jeudi : les cafés talas du mardi. Tous agglutinés dans la thurne de Cécile par exemple, à se renseigner sur les derniers potins de l'école - eh oui, le tala a ses faiblesses... Le café reste un haut lieu de sociabilité, vous expliquera le sociologue. Vous y rencontrerez des individus parfois étranges : certains piquent-niquent, toujours avec de joyeuses carottes et du fromage de chèvre frais, ou du pâté aux truffes de mamie Vallet; d'autres s'empiffrent de spéculos -à défaut de nutella. D'autres encore sirotent leur café. IL y a ceux qui le prennent avec sucre, celles qui le prennent sans sucre (c'est la grande théorie de Xavier). Ici on découvre que les talas ne savent pas apprécier un " vrai café ", au grand dam d'édouard : jus de chaussette de Xavier, ou encore " non merci " pointu des filles qui ont peur de ne pas dormir cette nuit, quand on leur propose un liquide propre à réveiller les morts...

Où sont les talas ?

Mais au café, aux messes, aux chocolats théologiques, il n'y a pas que des talas ! -Au grand étonnement de Baptiste C., qui note à chaque fois la présence de " quelqu'un d'extérieur " (d'ailleurs, il y a toujours lui quand il est là ! ).Si vous voulez ne trouver que des talas, venez aux laudes ! Que des talas ? pas si sûr, il me souvient de certaines laudes d'un 30 mai 1997, pour la Sainte Jeanne d'Arc, laudes accessoirement festives pour les 22 ans de Xavier, où il y avait non seulement le sociologue C. (qui n'était pas là comme sociologue, précisons-le), mais encore des chartistes, des Science-potards, des facqueux ou des ensaeilliens, sans oublier des chanteurs de cantiques zanticléricaux... D'ailleurs, aux laudes il y a toujours Madeleine Wieger, qui se définit rigoureusement comme " talo ", puisqu'elle va-t-à-l'o-ffice protestant.

On pourrait aussi parler de ceux-qui-vont-aux-retraites. Retraite de rentrée, Week-end des Rameaux à Chartres, semaine sainte et Pâques...

Ici, le chercheur risque de ne plus s'en sortir... Pire, les néologismes s'accumulent : après le " tala " ou le " talo ", il y a aussi le " tolo ", celui qui va-t-aux-laudes (c. Papageno). Certains ont même parlé de " tochas " (non, pas les Aristochats, mais ceux-qui-vont-au-chapelet), on annonce la naissance des " tocon " (on propose de dire les complies de temps en temps cette année ). De quoi faire des dizaines et des dizaines de maîtrises de sociologie !

Comment dire ?

Au bout de cette description, le tala est devenu un être fuyant et indéfinissable. Pire, il y a du tala dans tout.Vous trouverez des fiancés talas, des chants talas, des princesses talas, des princes talas, du chocolat théologique tala, du café tala, des chants talas (c. Xavier Morales, notre compositeur préféré ), des tisanes apocalyptiques talas, et même de la cuisine biblique tala... D'ailleurs, où sont les talas ? il sont partout ! vous en trouverez à la K-fêt, au COF, au club tennis, au P.O.U.M.3, au club danse, au rugby, au club Moyen-âge, au petit Pot, au Pot, et même au Mouvement des citoyens -mais ici c'est un cas spécial : le ministère de l'Intérieur a envoyé quelque espion... Bref. La phénoménologie du tala peut en laisser de perplexes. L'essence du tala, si c'est la foi, se laisse-t-elle alors cerner ? pas évident. Au delà des entretiens, des pratiques de la sociabilité tala ou des "affinités électives", pour adopter le jargon sociologisant, il est une réalité qui tout en étant éminemment " sensible ", échappe quand-même au discours scientifique.

" La foi, ai-je envie d'écrire, ne demande qu'à se dire " (Le Dieu sensible, p.15 ) . Si Baptiste C. a pu ressentir cette présence de la foi, il reste pourtant à distance d'un objet fuyant et donc propre à toutes les mystifications, ...auxquelles paradoxalement la sociologie conduit le mieux.

Difficile, d'" éviter la surinterprétation " ! ( p.69 ). La prière en particulier n'est pas une catégorie qui se laisse facilement appréhender, et Baptiste en convient lui-même : " Je faisais part, au terme des notes que je citais plus haut, de ma perplexité devant le travail que j'avais accompli: je n'avais rien vu ! " (p.69 ). Parce qu'il y a des façons de prier qu'on ne peut expliquer, parce que la prière la plus " communicable ", dont on peut parler le plus facilement, est celle qui " canalise l'imagination " et propose de mettre à profit les capacités réflexives de l'orant, le sociologue a pu croire que le tala prie toujours comme un khâgneux... Le mémoire de Baptiste C. nous présente plus l'idéal-type du tala formé à l'école des Jésuites, que la réalité que nous pouvons avoir l'impression de côtoyer.

C'est peut-être parce que la seule façon de prier que nous pouvions communiquer le plus clairement au "chercheur", que le khâgneux-Baptiste pouvait comprendre, est l'oraison réfléchie et réglée, telle que la propose Ignace de Loyola. C'est d'ailleurs surtout parce que Xavier notre vénéré prince est un féru de lectures ignatiennes..., et nous a proposé cette année de nombreux textes inspirés des Exercices, que le tala est apparu si intellectualiste.

Problème méthodologique de taille... Voici que du fait des difficultés de dire la foi, du fait aussi des orientations proposées par certains textes élevés en exemples caractéristiques, la foi et la prière deviennent sous le clavier de Baptiste des concepts intellectuels, l'adoration une " prière d'élite ", une " oraison de virtuose ".

Au delà de la méthodologie (problèmes du "dire" et de la généralisation), ce phénomène révèle que transmettre et faire comprendre notre vision du monde et notre manière de vivre la relation à Dieu, ne se fait pas sans quiproquo. Certes le réflexe du sociologue intervient, poussant Baptiste à chercher partout des limites : entre sacré et profane, discussions et prière, prière et imagination - mais que celui qui arrive à prier sans son imagination vienne me voir ! -; limites foi et principe de réalité ou croyance et rationalité (bonjour, M. Weber ), entre dogme et vie quotidienne, visible et invisible... Y-a-t-il pourtant des frontières, alors que tout s'interpénètre ?

Cependant il est à réfléchir sur cette maladresse que nous éprouvons quand il nous faut dire notre foi à celui qui ne la partage pas. Elle, qui nous paraît si évidente parfois, qui " ne demande qu'à se dire ", et poutant ne se dit pas si facilement. Comment dire l'intime, le profondément enfoui, l'intérieur ; mais pourquoi taire ce qui nous fait vivre ? Non, le tala ne souffre pas d'un problème de communication, ni le sociologue de l'emprise étouffante de ses outils méthodologiques (quoique l'autorité d'un Weber se fasse un peu trop ressentir ). Tout, ou presque, a trait à l'objet " foi ". L'essentia du tala, toujours là quand est là le tala, reste ce qu'il faut rechercher, mais nous échappera dans son évidence, ou dans son opacité.

B.J.

Site de l'aumônerie de l'ENS.
Dieu vous bénisse !